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La liste vue à travers quelques éléments du corpus

3. Monographies

3.1. Liste IAI : une liste professionnelle entre formation et évaluation

3.1.4. La liste vue à travers quelques éléments du corpus

Sur une liste de diffusion, entreprendre une revue exhaustive des messages semble impossible du fait de l’abondance des points de vue et de l’éparpillement des messages (Gillet, 2000). Cela a conduit à ne s’intéresser ici qu’aux acteurs dont la contribution s’insère dans une discussion suivie, dessinant ainsi une évolution possible portant sur un point spécifique. Au sein des messages, quelques threads (fils de discussion) ont été isolés, portant tous sur la construction de sites d’écoles. Ces threads qui s’enchaînent en élargissant le débat témoignent bien d’une modalité d’échange courante sur la liste. En même temps ils permettent de limiter le champ d’investigation et rendent la recherche opérationnelle.

Les éléments présentés ici sont donc assez représentatifs des propos où les membres font part de leurs difficultés sur le terrain ou de leurs succès dans leur fonction, exposent des éléments techniques très pointus et se forment mutuellement à la mise en place des dispositifs techniques et pédagogiques relevant des technologies les plus récentes dans les écoles (réseaux, serveurs, choix d’un système d’exploitation, organisation des équipes…). Mais dans ces threads, en marge des échanges portant sur les informations techniques, les membres s’entraident, s’invectivent, prennent la parole parfois pour contester la légitimité des choix de leur hiérarchie, tout cela dans un espace qu’ils savent contrôlé par elle.

Au sein d’une base, constituée de près de cinq mille messages depuis la création de la liste en août 1999, ces quelques échanges autour du thème de l’élaboration d’un site permettent de suivre quelques moments forts et cernent les préoccupations de la « tribu », ou de certains de ses membres. Certains types de relations, qui relèvent plus du débat d’idées que de l’échange d’informations, existent entre les membres et mettent en évidence une prise de distance certaine et un repérage des phénomènes importants dans les pratiques de terrain.

3.1.4.1. La fonction évaluative

Les listes électroniques de diffusion sont des dispositifs qui peuvent remplir deux fonctions : pensées comme des instruments de mutualisation et de médiatisation, elles sont au service de l’information des acteurs de terrain. Mais pour le ministère, elles peuvent sans doute contribuer à une évaluation des pratiques des membres de la liste (agents de l’Education Nationale) et ainsi permettre une meilleure connaissance des pratiques de terrain. Une des caractéristiques de ce cadre particulier d’expression est, pour reprendre les termes de Gillet (2000), « l’indépendance du dispositif par rapport à l’institution de référence et l’appartenance quasi-générale des participants à cette même institution ». On peut donc se demander si la mise en place de ces listes « officielles » ne relève pas d’une démarche d’évaluation institutionnelle (cela ne m’a jamais été confirmé ouvertement) comptant

sur la contribution quasi-spontanée des acteurs eux-mêmes. On peut le constater facilement à travers un exemple : au début du premier thread isolé, l’un des membres intervient pour demander leur avis aux colistiers grâce au message suivant :

Jusqu’à présent les écoles de notre département pouvaient bénéficier d’un accès gratuit à Internet par l’intermédiaire du serveur du Rectorat. Cette possibilité est maintenant supprimée car le serveur est saturé. Le Recteur nous propose de faire appel aux prestataires d’accès gratuit. Cette procédure ne nous satisfait pas (voir le débat antérieur sur la liste). Qu’en est-il dans vos départements ? Les écoles ont-elles la possibilité de faire appel à un FAI gratuit institutionnel (Conseil Général par exemple) ?

Ce contributeur, qui occupe à cette époque les fonctions de modérateur dans la liste, obtient en retour la contribution de 21 membres qui font état de la situation dans leur département ou leur académie en termes de Fournisseur d’Accès à Internet (FAI). Cette contribution semi-publique permet donc à chacun des membres, contributeur ou non, d’évaluer sa propre situation par rapport aux autres. Dans le cas présent, elle permet notamment de pointer les écarts considérables en termes d’équipement et de politique d’implantation des TIC, que l’analyse d’implantation des sites laissait suspecter. Ainsi, d’une académie ou d’un département à l’autre, les fournisseurs d’accès sont-ils institutionnels, privés (en général, ils sont laissés à la discrétion des établissements) ; certains assurent un service, d’autres sont saturés, etc., ce qui montre un flou certain en termes de pilotage institutionnel et une très large autonomie décisionnelle des instances académiques.

Ces informations qui auraient pu apparaître à une époque récente comme confidentielles, difficiles à obtenir, sont donc livrées, brutes, en moins d’une semaine, sur la liste à l’ensemble des abonnés (et indirectement à la hiérarchie). Pour le ministère ce type d’information peut donc sans doute utilement compléter les enquêtes officielles longues, coûteuses et parfois peu fiables ou permettre des vérifications quasi-instantanées. L’évaluation s’appuie donc sur le « point de vue » des acteurs, à un moment donné, sur la politique éducative menée par leur propre institution. Néanmoins, l’originalité la plus importante du dispositif, par son inscription dans une activité discursive instrumentée, fait que chaque contributeur est bien simultanément évaluateur et évaluataire (Chardenet, 1999), ou, pour le dire autrement, acteur institutionnel légitime en formation dans un dispositif de coopération textuelle (destinateur-destinataire).

3.1.4.2. Les deux types d’usage

Anis (1998) distingue deux usages au sein des listes, vertical informationnel et horizontal de discussion. Dans cette étude ont été écartés les brefs échanges verticaux éclaircissant un point extrêmement technique qui, bien qu’ayant une dimension indiscutablement (in)formatrice (au sens de l’apport d’information), n’offrent pas un débat horizontal suffisamment régulateur pour apprécier la dynamique des échanges. Ensuite, les thèmes retenus l’ont été soit parce qu’ils permettaient de réaliser un panorama de repérage d’une situation de terrain, soit parce qu’ils ouvraient un débat sur des prises de décision, soit qu’ils déportaient le débat vers une question plus large. Les threads examinés ici sont « reliés » sur le plan du sens et forment un débat cohérent au sein d’un thème ; le changement de fil correspond alors à des glissements de sens comme on peut les observer dans des débats oraux. Le premier « FAI pour les écoles » forme débat des conditions d’accès, pour les écoles, à des Fournisseurs d’accès Internet Institutionnels ou privés. Le second « FAI gratuits » traite de la question des possibilités de connexion et part de la question de la gratuité d’accès à Internet et de l’égalité des écoles à cet accès. Le troisième « Liberté et FAI » dérive du thème de l’égalité d’accès aux questions de liberté du choix (ou liberté tout court) pour un établissement. Dans le dernier « Les sites web, liberté ou vitrine » la discussion prend un tour critique sur les manipulations et l’effet-vitrine pouvant exister sur le web et la manière dont certains utilisent le média pour se donner à voir.

Les participants sont des habitués de la liste, et la répartition des tours de parole obéit à une répartition régulière (quasi-rituelle). Après vérification sur la totalité des messages de 1999 et 2000, il

apparaît que ce sont les « ténors » habituels de la liste (Goffman dirait « ceux qui tiennent la face ») qui débattent dans les threads 3 et 4. Les événements verbaux de ces threads sont assez représentatifs des échanges les plus récents sur la liste (2001) et de l’alternance entre discours informatif, discours polémique et discours réflexif (alternance équilibrée entre liste de diffusion/liste de discussion). Les analyses menées s’intéressent à l’énoncé et aux principes de coopérations (Grice, 1979) propres à la compréhension des phénomènes cognitifs de la conversation. Les particularités des codes électroniques (Anis, 1998) ont dû être prises en compte également car un certain nombre d’éléments sémiotiques issus des textes, topogrammes et logogrammes conventionnels, sont porteurs d’un sens bien supérieur à celui des mots : l’émoticon classique évoquant une mine dépitée :-(( , ou un clin d’œil appuyé ;-)) en sont des exemples. On remarque notamment, en termes d’implicature conversationnelle, que l’usage des points de suspension est très répandu pour indiquer au destinataire qu’il peut laisser libre cours à son interprétation en se référant aux messages antérieurs. Ce sont donc ces éléments qui ont servi à tirer, à partir des commentaires du débat, des points invariants ou récurrents permettant de mettre en évidence ces actes de langages indirects, l’orientation de la recherche étant ici exploratoire et compréhensive.