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Nous nous intéressons à l’action de certains outils sociomatériels dans la gestion des tensions (ou gestion malgré les tensions) de gouvernance (collaboration-contrôle) et d’objectifs (sociaux vs. économiques). Plus particulièrement, c’est du matériel empirique qu’ont émergé les chiffres (et outils chiffrés) ainsi que certains textes (sites Internet) comme outils sociomatériels agissant sur ces tensions. En termes d’unités d’analyse, nous nous intéressons aux rôles des chiffres à travers le temps, de même qu’aux pratiques inscrites dans certains textes et qui révèlent une médiation des tensions de gouvernance et des tensions entre le social et l’économique dans une organisation pluraliste.

Dans le premier article empirique (l’article 2, qui s'intéresse aux chiffres), les tensions sont repérées dans les trajectoires d’enjeux (« issue streams », plus de détails dans l’article 2) de la gouvernance, et plus particulièrement des instances formelles de participation que sont le conseil d'administration et l'assemblée générale. Nous y reviendrons directement dans l’article 2 mais, pour l’heure, nous définissons les trajectoires d’enjeux comme des suites d’épisodes importants autour de certains enjeux de développement de la coopérative au cours desquels des décisions sont prises et/ou des justifications sont articulées. Ces trajectoires sont reconstruites dans le temps (ou suivies en temps réel, selon les cas) afin de saisir l’évolution, dans le temps/l’espace, du rôle des chiffres dans ces moments. Dans le deuxième article empirique (l'article 3, avec les sites Internet comme outils sociomatériels), nous nous penchons sur la médiation de la tension entre le social et l’économique à travers les textes composant les sites Internet de la coopérative.

2.3. Échantillonnage

Bien que nous ayons choisi de nous concentrer sur une coopérative pour réaliser l'étude de cas en profondeur d'un cas unique, nous n'avons pas qu'un échantillon. En effet, notre unité d'analyse étant le rôle des chiffres et des pratiques textuelles, l'échantillon se compose non pas de coopératives, mais plutôt de trajectoires d’enjeux pour le premier article empirique, et de deux textes (un site Internet régulier et un site transactionnel, de vente en ligne), pour le second.

Mentionnons tout de même quelques mots sur le choix de la coopérative étudiée parmi des centaines de coopératives de solidarité québécoises. En février 2011, on répertoriait au

Québec 514 coopératives de solidarité.29 Ces coopératives interviennent dans plus de 27 secteurs d’activités, mais se retrouvent principalement dans le secteur tertiaire (notamment les services personnels et les loisirs) et hors des grands centres urbains (Montréal, Laval et la Capitale nationale). Au moment d’amorcer l’étude empirique en 2005, nous avons sélectionné la coopérative étudiée à partir de différents critères relatifs au secteur d’activité, à l’âge de la coopérative, à la composition du sociétariat et à la facilité d’accès au terrain. Tout d'abord, nous souhaitions étudier une coopérative de solidarité (et non un autre type de coopérative) inscrite dans la mouvance du développement durable et dont la mission et les activités économiques avaient explicitement un lien avec l'environnement. Au moment de choisir un terrain, en 2005, nous avons épluché toute la liste de coopératives de solidarité (il y en avait alors environ 200 au Québec selon les listes du ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation ; le type « coopérative de solidarité » est celui ayant affiché le plus grand taux de croissance au cours des dernières années ; Chagnon, 2008), avec une attention particulière aux secteurs pouvant toucher l'environnement (par exemple, l'agriculture, l'alimentation, les autres services, le commerce, la récupération, les services conseil, etc.). Nous souhaitions maximiser les tensions potentielles et pensions que le secteur environnemental, puisqu’il ajoute à la tension social-économique une dimension écologique, était un secteur particulièrement intéressant. Les recherches sur Internet (notamment sur le site du Registraire des entreprises du Québec, www.registreentreprises.gouv.qc.ca) nous ont aidée à en savoir plus sur les coopératives potentiellement pertinentes pour notre étude (par exemple, sur la mission, la date de fondation, les secteurs d’activités, etc.). Cette première étape nous a permis de repérer un sous-groupe de trente coopératives de solidarité.

Deuxièmement, la coopérative à étudier ne devait pas être trop jeune (rappelons que la création de la forme juridique de la coopérative de solidarité remonte à 1997). Nous voulions étudier une coopérative dans le temps et étions consciente des différentes phases théoriques du cycle de vie des coopératives (Cornforth, 1995 ; Gherardi et Masiero, 1987).

29 Selon le Répertoire des coopératives du ministère du Développement économique, de l’innovation et

de l’exportation du Québec, http://www.mdeie.gouv.qc.ca/objectifs/creer- liens/repertoires/page/repertoires-

9757/?tx_igaffichagepages_pi1[mode]=single&tx_igaffichagepages_pi1[backPid]=39&tx_igaffichagepag es_pi1[currentCat]=&cHash=bd7cfe222d7338a1d93d847716af95d6 (dernière consultation le 14 février 2011).

Ce critère nous a permis d'éliminer un certain nombre de coopératives trop récemment formées.

Troisièmement, nous souhaitions maximiser le pluralisme et les tensions potentielles. Certaines coopératives de solidarité ne comptent que quelques membres, et deux catégories plutôt que trois, ce qui limitait potentiellement le pluralisme. Nous souhaitions étudier une coopérative dont le sociétariat se compose des trois types de membres (travailleurs, utilisateurs et de soutien).

Enfin, d'un point de vue bien pratique et logistique (échantillonnage pragmatique ; Patton, 2002), pour faciliter la collecte de données (observations fréquentes et prolongées, coûts de déplacement), un autre critère était que la coopérative soit facile d'accès pour nous (proximité de notre domicile ou de celui de nos proches, pour hébergement). La coopérative choisie devait aussi nous donner accès à ses archives et nous admettre à ses réunions (conseil d'administration, assemblée générale) à titre d'observatrice.

La coopérative de solidarité choisie, que nous appellerons ci-après « ÉcoloMonde »30, était celle qui répondait le mieux à chacun des critères énoncés. Cette coopérative vend des produits écologiques et socialement responsables dans un espace qui combine commerce de détail et café. La coopérative a été légalement constituée en 1999, mais l'idée a germé en 1998, ce qui nous permettait d'avoir accès à des données rétrospectives sur une longue période (considérant que la forme juridique remonte à 1997, il s'agit d'une « vieille » coopérative de solidarité). Elle compte des milliers de membres issus de trois différentes catégories, mais à très grande majorité des utilisateurs (moins de dix travailleurs, une centaine de membres de soutien, et pour le reste, des milliers de membres utilisateurs). Un aspect particulièrement intéressant découlant de cette répartition des membres est que malgré l'inégalité de leur participation au sociétariat, la structure de gouvernance prévoit leur représentation à voix égales au conseil d'administration : 3 travailleurs, 3 utilisateurs et 3 membres de soutien composent le conseil d'administration, selon les règlements de la coopérative. Finalement, la coopérative nous a accordé l'accès complet à toutes les réunions et tous les documents souhaités. Nous y reviendrons dans les articles, mais mentionnons qu’ÉcoloMonde constituait un cas unique très riche (Eisenhardt et Graebner,

30 Nom fictif; notons aussi que certaines informations sont modifiées ou camouflées pour atténuer les

2007) à partir duquel choisir des trajectoires d’enjeux, des tensions et des textes. Nous aborderons directement dans les articles concernés les critères et principes nous ayant permis d'en composer l'échantillon.

Alors que la coopérative étudiée représente, selon le vocable de Miles et Huberman (1994 : 60 , basé sur Kuzel, 1992 et Patton, 1990), un « cas intense » puisque « riche, qui exprime le phénomène [pluralisme et tensions] avec intensité mais sans caractère extrême », la démarche qui a précédé le choix de nos unités d’analyse (et permis l’émergence des outils sociomatériels chiffres et textes) peut quant à elle, toujours selon Miles et Huberman (1994) être qualifiée d'opportuniste, puisqu'elle « cherche à suivre de nouvelles pistes et tire partie de l'imprévu », ce qui témoigne de notre ouverture à refléter la réalité sociale de l'organisation étudiée (un critère de qualité pour évaluer une étude « naturaliste », selon Bantz, 1983: 70). De fait, c'est cette « flexibilité inhérente aux études qualitatives (les temps et les méthodes de collecte des données peuvent être modifiées en cours d’étude) [qui] renforce la conviction pour le chercheur qu’une compréhension réelle du phénomène a été atteinte. » (Miles et Huberman, 1994 : 27, italique dans le texte)