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CHAPITRE 2 : APPRÉHENDER LE TRAVAIL D’ARTICULATION « SITUÉ »

3. VERS UNE UNITÉ D’ANALYSE INTERMÉDIAIRE : LA SITUATION DE GESTION ET

Les différents modèles théoriques que nous venons de rappeler brièvement s’inscrivent tous dans cette perspective de l’ « activité » qui nous intéresse ici. Ils partagent ainsi un certain nombre de convictions, tant sur le plan conceptuel que méthodologique, mais

87 Si les auteurs montrent, par là, la manière dont les objets peuvent favoriser la coordination entre les acteurs, notre analyse va au-delà puisque nous nous attachons également à identifier le rôle de certains espaces de travail, de certaines procédures ou fonctions formelles dans le travail d’articulation (notamment l’articulation opérationnelle). Ce sont ainsi les ressources organisationnelles au sens large que nous examinons ici.

s’opposent aussi sur certains aspects. Nous nous proposons dès lors, dans cette partie, de revenir sur les contradictions du « carré de l’activité » dessiné par Licoppe (2008a) (3.1) pour, dans un second temps, présenter le cadre d’analyse retenu dans ce travail (3.2). Compte-tenu de la perspective adoptée dans la thèse et présentée au préalable (première section), nous décèlerons en effet, à travers la critique des différents modèles proposés, la nécessité de s’équiper, en Sciences de gestion, d’un concept particulier qui « pense » cette articulation entre activité collective et organisation.

3.1. Les contradictions du « carré » : apports et limites des modèles

Tous les modèles proposés s’accordent ainsi sur un aspect essentiel dans une perspective tournée vers l’activité : ils suggèrent que l’action ou l’activité est « ancrée » dans un environnement matériel et social. Trois conséquences importantes découlent de cette idée :

(1) L’ancrage de l’activité dans l’environnement fait jouer aux artefacts un rôle actif dans l’ensemble de ces modèles. Ces courants théoriques déplacent ainsi le regard du chercheur de l’activité individuelle ou collective vers une unité d’analyse plus large qui englobe l’environnement matériel, social, organisationnel, dans lequel se déroule l’activité, tel que le « système fonctionnel » (pour la cognition distribuée), le « système d’activité » (dans la théorie de l’activité) ou encore le « réseau de traduction » (pour la sociologie de l’acteur-réseau)88. L’analyse de « l’interaction » entre les différentes ressources du

système est au cœur des différents modèles : là où la théorie de l’action située met l’accent, avec Suchman (1987), sur le rôle du langage et donc sur l’étude des interactions entre les acteurs, d’autres courants, comme la cognition distribuée, la théorie de l’activité, la SAR ou même l’ergonomie avec les écrits de Rabardel (1995), s’intéressent à la question de l’interaction entre les objets techniques, les artefacts et les acteurs, parfois centrée sur la notion de « médiation » (un terme qu’on retrouve aussi bien dans la théorie de l’activité, et dans les écrits de Rabardel (1995) que dans ceux de Vinck (1999) sur les objets intermédiaires). Sur cette question, nous constaterons toutefois qu’il existe des divergences entre les courants sur la nature mais aussi sur la place dans le système des artefacts qu’ils considèrent (2.1.1).

88 Ceci suggère une dimension de l’activité maintes fois mise en évidence : l’activité est toujours collective. Ainsi, Lorino (2006) reprenant les travaux de Clot (notamment Clot et Faïta, 2000) écrit que « l’acteur n’est jamais seul face à l’objet de son travail et face aux moyens techniques dont il

dispose : le travail apparemment le plus solitaire est en fait « hanté » par une foule d’« interacteurs » avec lesquels le sujet échange dialogiquement, à travers l’espace, le temps et la société » (p. 10).

(2) Par ailleurs, l’ensemble des courants théoriques converge pour souligner le caractère singulier ou encore « situé », pour reprendre Suchman (1987), de l’activité, constamment soumise à la contingence ou à la variabilité de cet environnement. En cela, l’activité ou le travail réel s’éloigne toujours du plan (Suchman, 1987) ou du travail prescrit (Ergonomie, psychologie clinique du travail). Compte-tenu de ce premier constat, nous préférons, avec Vernant (2005), parler d’ « activité » plutôt que d’ « action » (Suchman, 1987 faisant, elle, référence à l’action située), pour renvoyer au « processus ouvert, imprévisible et créatif qui dépend en temps réel, d’une série de choix ponctuels et précis » (Vernant, 2005, p. 38) dont il est ici question. En effet, « si l’action peut être programmée, seule l’activité est réalisée. Si l’action peut se représenter, se planifier, se rationaliser et se justifier, l’activité ne peut que se réaliser, se produire » (p. 38). Dès lors, le vocabulaire employé pour décrire l’activité toujours singulière, celui de « choix », de « créativité », suggère l’existence d’infractions, ou encore de « transgressions » (Girin et Grosjean, 1996) à la règle ou à la prescription qui parvient aux acteurs. Cette notion de « transgression » sera elle-même à expliciter et nous verrons ainsi qu’elle est plus ou moins envisagée par les différents modèles ce qui n’est pas sans impact sur la dynamique de chacun d’eux (2.1.2).

(3) Enfin, la dernière conséquence est de nature méthodologique. Elle découle des deux propositions que nous venons de stipuler. Tous les modèles appellent en effet au renouveau des méthodologies de recueil de données et d’intervention dans les organisations en se focalisant sur les situations de travail réelles, sur les interactions entre les acteurs et avec leur environnement. Les chercheurs de ces différentes perspectives remettent dès lors en question les expérimentations menées en laboratoire et de nouvelles méthodes émergent de leurs réflexions, de l’ethnographie à l’auto-confrontation croisée par exemple. Toutefois, des différences entre les courants surgissent également sur le plan méthodologique. En découlent des divergences fondamentales sur la perception du réel entre les différents modèles, sur lesquelles nous reviendrons afin d’introduire la perspective théorique que nous portons dans ce travail (2.1.3).

3.1.1. Nature et place dans le système des artefacts étudiés

a. Les artefacts mis en scène dans chacun des courants : de l’artefact cognitif à l’instrument de coordination

Tous les courants théoriques que nous avons présentés auparavant placent au cœur de leur réflexion le rôle des « artefacts » dans l’action - un terme emprunté à Rabardel (1995) afin de faire référence aux objets au sens large, matériels tout autant que symboliques. Tous ne s’intéressent pas en revanche aux mêmes artefacts. Ainsi, certains modèles se penchent

plus spécifiquement sur les artefacts matériels - le courant de la cognition distribuée semble principalement focalisé sur les objets techniques ou les « supports techniques » (Hutchins, 1994, p. 451), par exemple les « repères de vitesse » (p. 458), et à leur répartition dans l’espace – tandis que d’autres étendent cette perspective aux artefacts symboliques – la théorie de l’action située s’intéresse également au rôle tenu par le « plan » et à la question du langage. La théorie de l’activité s’intéresse quant à elle aux ressources conférées par l’organisation dans son sens large, formelle comme informelle, en tenant compte, à l’instar de l’ergonomie et de la psychologie clinique du travail, des « instruments », des « règles », de la « division du travail » et de la « communauté ».

Si cette perspective appelle finalement à prêter attention, dans l’activité, aux ressources à la fois matérielles et symboliques que l’organisation met à disposition des acteurs, ce n’est pas tant sur cet aspect que nous souhaiterions revenir ici. Ce qui nous intéresse bien davantage, c’est la nature de ces artefacts par rapport au rôle que chacun des modèles leur fait jouer dans l’action. Ainsi, le courant de la cognition distribuée ne s’intéresse qu’aux artefacts cognitifs. Pourtant, le caractère intrinsèquement collectif de l’action, que le modèle considère finalement peu (Borzeix et Cochoy, 2008) - plutôt focalisé sur la façon dont l’activité cognitive se répartit entre le cerveau individuel et les artefacts au sein du système (Hutchins, 1994)89 - place la question de la coordination au cœur d’une

perspective centrée sur l’activité, nous l’avons vu dans la première partie. On pourrait ainsi, avec Borzeix et Cochoy (2008), s’intéresser à la « dimension sociale de la cognition distribuée » (p. 280) et parler « d’artefacts relationnels (…) capables de connecter des acteurs (…), de contribuer activement à l’amélioration des échanges » (p. 277). On pourrait encore, avec la sociologie de l’acteur-réseau et les écrits sur l’objet-intermédiaire et l’objet-frontière, mettre l’accent sur le rôle des objets dans la coordination des acteurs, à l’instar de Callon (2006) qui appelle à ajouter aux « formes habituelles de coordination (marché, hiérarchie ou confiance), (…) la coordination par les dispositifs techniques » (p. 247). Cette perspective semble plus proche des considérations qui nous intéressent dans cette thèse, tournées vers les processus de coordination.

89 La question de la coordination est envisagée dans le modèle mais elle s’appuie sur les artefacts cognitifs et sur la façon dont ils sont disposés dans l’espace et à portée de regard pour l’acteur. Dès lors, on pourrait dire, avec Licoppe (2008a) qu’elle « se réduit à un enchaînement de bas niveau

entre perception (voir les données mesurées) et action (effectuer des opérations arithmétiques dans lesquelles elles sont impliquées) » (p. 426).

b. La place tenue par les objets dans le système étudié : entre co-acteur et ressource pour l’action humaine

Il nous semble par ailleurs essentiel de revenir sur un autre aspect de divergence entre ces différents modèles : la place tenue par les objets dans le système étudié. En effet, s’intéresser non plus seulement aux pratiques des acteurs mais à la manière dont celles-ci s’inscrivent dans un environnement matériel et social particulier peut conférer aux objets différents statuts dans l’action. Ainsi, la théorie de la cognition distribuée et la sociologie de l’acteur-réseau donnent aux objets ou aux artefacts la même place qu’à l’acteur dans le système étudié. Tandis que la cognition distribuée considère sur le même plan les « états représentationnels » provenant des supports techniques externes et ceux que l’acteur détient90 (« dans la tête » de l’individu, Licoppe (2008a), p. 296), la SAR

apparente les acteurs et les objets à des « actants » (Callon, 2006, p. 271) conduisant finalement Vinck (1999) dans son analyse des « objets intermédiaires » à leur « reconnaître un statut de co-acteur » (p. 408) dans les cours d’action. Ce constat avait déjà été formulé par Licoppe (2008a) qui soulignait le « traitement symétrique» qu’opèrent les modèles de la cognition distribuée et de la SAR « entre les personnes et les choses (…) quant à leur capacité d’agir » (p. 296). Nous nous situons sur ce point davantage en accord avec la théorie de l’activité, l’ergonomie, la psychologique clinique de l’activité et la théorie de l’action située. Ces modèles, s’ils reconnaissent le rôle joué par les artefacts dans l’action, ne les placent pas toutefois au même plan que les acteurs qui restent les protagonistes de l’action. Les artefacts ne sont alors que des ressources dont les acteurs peuvent ou non se saisir dans les cours d’action91. La théorie de l’activité

et les courants de recherche français qui lui sont liés (ergonomie et psychologie clinique du travail) accordent sur cet aspect « une part essentielle à l’intentionnalité et à la capacité d’initiative » (Licoppe, 2008a, p. 296) du sujet. C’est le cas par exemple lorsque Rabardel (1995) écrit : « L’artefact (…) est institué comme instrument par le sujet qui lui donne le statut de moyen pour atteindre les buts de son action » (p. 119). La perspective est alors presque inversée : le primat du sujet dans l’action, loin d’être remis en cause, est même réaffirmé, l’objet (et la façon dont il est mobilisé dans les cours d’action) étant lui-même astreint au sujet.

90 Licoppe (2008b) écrivait à ce sujet : « Dans la cognition distribuée, les mémoires internes des

acteurs sont comparées à des mémoires d’ordinateur, avec une mémoire vive et une mémoire à long terme » (p. 426).

91 C’est à cet égard que nous traiterons dans la thèse des « ressources organisationnelles » que mobilisent les acteurs dans les cours d’action : c’est bien dans cette perspective que l’ « organisation » sera examinée (on observera par exemple le rôle de la période de relève, de certains outils de gestion, etc.).

3.1.2. La question du changement organisationnel

Nous l’avons vu précédemment, l’ensemble des courants théoriques présentés s’accordent à considérer l’action comme « située », signifiant par là qu’elle s’inscrit dans un environnement matériel et social spécifique. Cependant, cette notion cache de profondes disparités entre les différents modèles, sur lesquelles nous nous proposons ici de revenir.

Derrière le terme « situé », Béguin et Clot (2004), s’intéressant à la place de l’organisation dans l’action, distinguent en réalité deux perspectives envisageables dans ces modèles. La première suggère que l’organisation préexiste d’une certaine manière aux individus, auquel cas, parler d’action « située » fait référence à l’idée qu’une partie de l’action est prise en charge par l’environnement. Dès lors, on cherchera dans l’environnement « les éléments qui orientent et structurent l’action du sujet » (Béguin et Clot, 2004, p. 39). La seconde, que défendent les deux auteurs, considère que l’action est organisée in situ par les acteurs qui exploitent l’environnement à leur disposition. Cette distinction nous semble fondamentale car elle questionne plus profondément la dynamique de changement et d’apprentissage du système que nous avons placée au cœur de nos préoccupations, mais aussi le contenu même du travail réalisé par les acteurs.

L’action située et la cognition distribuée s’inscrivent clairement dans la première perspective. Ainsi, la cognition distribuée stipule que « certaines actions complexes peuvent (…) être effectuées sans plan ni délibération, par un individu « adapté » à un environnement préparé » (Licoppe, 2008b, p. 418). Les notions d’environnement « préparé » et d’individu « adapté » sont particulièrement révélatrices de la conception portée par le modèle : un environnement stable, sur lequel les individus n’ont pas de prise, mais au contraire, à la limite, auquel ils doivent s’adapter. L’activité, bien que « situé », est elle-même « stabilisée et reproductible » (Licoppe, 2008a, p. 297). Dès lors, les communications, les « délibérations » pour reprendre l’expression précédente, dans l’optique de faire des choix en situation, ne sont pas ou peu envisagées dans le modèle. Dans la théorie de l’action située, préoccupée par la façon dont les individus produisent de l’intelligibilité mutuelle en situation, le sens émerge progressivement de l’interaction entre l’individu et son environnement sans que ce dernier ne semble se trouver affecté ou modifié par cette interaction prolongée. Ainsi, si la dynamique d’apprentissage n’est pas exclue à priori (Licoppe, 2008a), le modèle n’y fait pas explicitement référence. Finalement, dans les deux modèles, le problème réside dans l’existence « d’invariants de l’action » (Béguin et Clot, 2004, p. 35), des invariants distribués à l’extérieur du sujet, qui « organisent la conduite et l’activité du sujet » (p. 42). Dans ces deux théories, « ce qui rend possible la pensée individuelle c’est l’existence d’un environnement stable de

pensées, de conceptions, de représentations et de significations qui ne sont celles de personne, bref d’un « esprit objectif » » (de Fornel et Quéré, 1999, p. 28). L’action « située » dans les modèles fait alors référence à la « détermination de l’action par les variables situationnelles » (Béguin et Clot, 2004, p. 42). « L’action est située parce qu’elle a lieu dans un environnement et qu’elle s’organise « par le moyen » de cet environnement, celui-ci fournissant directement les informations, les indications, les significations nécessaires » (de Fornel et Quéré, 1999, p. 25). De ce fait, le caractère situé de l’action ne présage en rien de la capacité de l’acteur ou du collectif à agir sur cet environnement et à le modifier. Dès lors, l’action située et la cognition distribuée ont de sérieuses difficultés à rendre compte du changement organisationnel (Licoppe, 2008b), à traiter des aspects dynamiques du système, entre « donné » et « créé » (Béguin et Clot, 2004).

Mais compte-tenu de ces constats, peut-on encore parler d’une entrée par l’ « activité » pour ces deux modèles, quant on sait justement que, « l’activité ne saurait être réduite à des procédures d’exécution mises en œuvres plus ou moins passivement » (Béguin et Clot, p. 43) ? On pourrait plutôt penser, comme les auteurs le soulignent que les deux modèles constituent plus « un déplacement » qu’un « renversement de la psychologie cognitive traditionnelle » (p. 43). Sur ce point, nous nous accordons davantage avec la perspective dynamique défendue par Béguin et Clot (2004), celle qu’adoptent la sociologie de l’acteur- réseau, la théorie de l’activité et ses prolongements français (ergonomie et psychologie clinique du travail). Ces modèles mettent en évidence les possibilités d’action et de transformation des acteurs sur l’environnement. La SAR est une sociologie de l’innovation et l’activité des acteurs est dans cette perspective résolument créative. Les acteurs y jouent un rôle actif dans la conception des objets ; un rôle actif qu’Akrich (2006) étendra de la conception à l’usage des outils dans les cours d’action, en montrant que les acteurs vont intervenir sur ces objets et les détourner de leurs usages prescrits. La théorie de l’activité octroie elle aussi aux acteurs la possibilité d’agir sur le système et de le faire évoluer : l’identification des contradictions qui le traversent, dans les cours d’action, donne ainsi lieu à la construction de solutions locales par les acteurs. L’ergonomie et la psychologie clinique du travail s’inscrivent également dans cette perspective. On retrouve par exemple dans les écrits de Rabardel (1995) la possibilité pour l’acteur d’agir sur l’artefact, à travers un processus d’appropriation que l’auteur qualifie d’ « instrumentalisation ». En psychologie clinique du travail, le collectif dans lequel s’inscrit le sujet réalise un véritable travail d’organisation (de Terssac et Lalande, 2002). Il développe de nouveaux modes d’organisation du travail (les « genres ») desquels le sujet est en mesure de s’émanciper pour à son tour les faire évoluer. Dès lors, ces modèles

portent une perspective dynamique, ils rendent mieux compte du changement organisationnel que ne le font les courants précédents. Et, le contenu du travail lui-même diffère par rapport à la conception portée par la cognition distribuée et l’action située. Si une partie du travail est tournée vers la réalisation de l’objet – une dimension que l’on pourrait rattacher à « l’activité productive » de Rabardel (Flocher et Rabardel, 2004) par laquelle l’acteur réalise les tâches -, l’autre est tournée vers l’exploitation des ressources disponibles dans l’environnement que l’acteur sélectionne et fait évoluer selon ses besoins – cette dimension se rattacherait alors à l’ « activité constructive » de Rabardel (Flocher et Rabardel, 2004), à travers laquelle l’acteur produit les conditions et les moyens de son activité future.

Ces différences fondamentales entre les modèles sur la place de l’organisation dans l’action et, partant, sur la question du changement organisationnel, viennent tout naturellement questionner le rapport à la conception portée par chacun des courants. Nous verrons que ces perspectives, poussées à l’extrême, génèrent de nouvelles contradictions dans le « carré de l’activité ». Ce constat appelle à se munir d’un nouveau concept en Sciences de gestion si l’on veut dépasser ces différents clivages.

3.1.3. Le rapport à la conception

a. De l’analyse de l’activité à la conception des situations de travail

Sur cette question, les différents courants s’opposent tout d’abord sur le plan méthodologique. Ainsi, la théorie de l’action située et les démarches méthodologiques qu’elle prône ne sont pas orientées vers la conception des situations de travail. Cette théorie, dans la lignée de l’ethnométhodologie, cherche avant tout à générer « un corps de connaissances empiriques sur des objets théoriques précis » (Relieu et al., 2004, p. 6). Elle s’oppose en cela à l’ergonomie qui « place naturellement les questions de conception des situations de travail au centre de ses préoccupations » (id., p. 6), mais aussi au courant de la cognition distribuée qui, nous l’avons montré précédemment, « ne constitue pas simplement une manière de décrire l’activité », le paradigme qu’il porte étant au contraire « rendu explicite et délibérément incorporé dans les artefacts par leurs concepteurs » (Licoppe, 2008a, p. 290). Dès lors, les recommandations sont relativement absentes des travaux autour de l’action située. Ce n’est pas la perspective que nous retenons dans ce travail. Nous l’avons vu dans la première partie, nous souhaitons dans la thèse interroger le rapport dynamique que l’activité entretient avec l’organisation. Nous pensons dès lors qu’une réflexion sur l’activité ne peut faire l’économie d’un retour sur des questions de conception. Ainsi, si la thèse ne s’apparente pas à une recherche de type

recherche-action – nous le verrons par la suite -, elle n’en cherche pas moins à produire des connaissances « actionnables » (Hatchuel, 2005) sur le système étudié. On cherchera, par là, à interroger la façon dont l’organisation peut soutenir l’activité dont nous avons au préalable mis en évidence les caractéristiques : une activité collective, se déroulant dans un environnement matériel et social particulier, et de cette façon, toujours singulière.

b. L’organisation comme ressource ?

Tous les modèles ne reviennent ainsi pas nécessairement sur les questions de conception. Mais parmi ceux qui s’intéressent explicitement à ces questions, Béguin et Cerf (2004) notent qu’ « il existe différentes manières de penser et de définir le statut et les enjeux de l’activité de travail des opérateurs » (p. 55).