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CHAPITRE 2 : APPRÉHENDER LE TRAVAIL D’ARTICULATION « SITUÉ »

2. REGARDS SUR L’ACTIVITÉ : LE « CARRÉ DE L’ACTIVITÉ »

« L’activité est un objet qui déborde toutes les réductions disciplinaires qu’on peut en faire » (Leplat, 1997, p. 4). Ainsi, différents courants de pensée se sont intéressés à l’analyse de l’activité, que ce soit en sociologie, en psychologie du travail, ou encore en ergonomie. Il nous semble nécessaire dans cette perspective de faire un détour par ces différentes approches, afin de saisir plus avant les implications d’une entrée par un tel niveau d’analyse, mais aussi de nous situer par rapport à elles. C’est de cette façon que nous pourrons expliciter le cadre théorique retenu dans la thèse.

68 Cette perspective appelle, avec Conein et Jacobin (1994), à se doter d’une unité d’analyse qui « intègre à la fois la relations entre les personnes et avec l’environnement » (p. 497), ce que nous tâcherons de faire dans le développement qui suit.

69 Pour faire écho à l’expression d’activité « située » organisationnellement proposée par Lorino et Teulier (2005, p. 13)

Cherchant à inscrire ce courant de l’activité sur le plan international, Licoppe (2008a) décrit l’espace de recherche ainsi constitué comme un « carré » bordé par quatre perspectives (p. 289, voir figure n°3) sur lesquelles nous nous proposons de revenir brièvement pour bien comprendre l’approche retenue dans ce travail : le courant de l’action située (Suchman) (2.1), le modèle de la cognition distribuée (sous l’influence des travaux d’Hutchins) (2.2), la théorie de l’activité (Vygotsky, Leont’ev et plus récemment Engeström) et ses déclinaisons françaises (la psychologie clinique du travail portée par Clot et l’ergonomie) (2.3), et la sociologie des sciences et des techniques (Callon, Latour, Akrich) (2.4).

Figure n°3 - Le « carré de l’activité »

2.1. La théorie de l’action située

La théorie de l’action située résulte des travaux de Suchman70 et notamment de ses écrits

sur l’interaction homme/machine71, développés en 1987 dans son ouvrage Plans and

70 La référence à Suchman est intéressante dans nos travaux puisque l’auteur a elle-même travaillé sur la question du travail d’articulation (1996). Elle le définit comme « l’effort permanent

nécessaire pour assembler des éléments discontinus » (p. 407) et appelle à reconnaître ce travail de

façon à l’équiper, le soutenir. Ainsi, on voit bien que, pour cet auteur, on ne peut envisager d’équiper le travail d’articulation sans lui redonner une certaine visibilité, ce qui corrobore les réflexions que nous avons menées au préalable. La nécessité de « rendre le travail visible » pour mieux le soutenir est au cœur des écrits de Suchman (1995).

71 Suchman s’intéresse ici à l’interaction entre deux acteurs et une photocopieuse évoluée car munie d’un « système expert d’aide » qui dicte ainsi aux acteurs ce qu’ils sont censés faire (Theureau, 2004, p. 13).

situated actions. The problem of human-machine communication, que nous nous proposons de rappeler dans un premier temps. Ces écrits s’inscrivent dans un courant particulier, l’ethnométhodologie, que nous présenterons brièvement dans un second temps.

2.1.1. Les écrits de Suchman

Remettant en question le « paradigme computo-représentationaliste alors dominant » (Relieu et al., 2004), Suchman (1987) s’oppose à la vision traditionnelle du plan qui prédit et induit l’action. Valléry (2004) synthétise très bien les principaux points d’importance de cette théorie, sur lesquels nous allons revenir de façon plus approfondie. Il écrit ainsi que, dans le courant de l’action située, « l’action n’est pas seulement mise en rapport avec des objectifs ; elle est construite en situation, ne se réduit pas à une simple exécution des règles, et dépend étroitement des circonstances locales, matérielles et sociales qui la déterminent et la signifient » (p. 123).

Ainsi, selon Suchman (1987), le plan n’a pas de valeur prescriptive pour l’action. En effet, le plan ne peut anticiper « les circonstances matérielles et sociales de l’action » dans ses moindres détails (p. 50 et 52). Or, pour l’auteur, l’action est nécessairement située, elle dépend et s’ajuste aux contingences locales, à la fois matérielles et sociales, dans lesquelles elle se déroule : Suchman introduit ainsi le concept de l’ « action située » (1987, p. 50) ou encore de l’action in situ (p. 51) pour mettre l’accent sur l’« ancrage matériel et social » de l’action (Relieu et al., 2004). On est bien ici dans une « approche contextuelle de l’action » (Béguin et Clot, 2004, p. 38). Dans cette optique, Suchman met l’accent sur la capacité d’improvisation des acteurs, à contrario des machines et sur l’opportunisme de l’action « contre » la planification (Rogalski, 2004, p. 108).

L’auteur s’intéresse alors à la façon dont les acteurs produisent de l’intelligibilité mutuelle. Elle souligne en effet, à l’instar de Weick (Weick 1995 ; Weick et al., 2005) que le sens de l’action n’est jamais donné mais toujours reconstruit. L’auteur pointe ici le rôle du langage qu’elle apparente à une « forme de l’action située » (p. 59). C’est à travers le langage, à travers l’interaction, que les acteurs aboutissent à une compréhension partagée de l’action : « l’action est sociale dans ce sens que nous comprenons son développement selon les façons dont nous l’avons construite dans les cours d’interaction avec les autres » (Theureau, 2004, p. 14). Finalement, la stabilité du monde social ne tient pas à une structure permanente mais à des actions situées qui génèrent des compréhensions partagées lors d’interactions (Suchman, 1987). Favorisant par là « le passage de la notion de plan-programme à celle de plan-communication » (Grison, 2004, p. 29), l’action située conduit à un déplacement de l’attention vers de nouveaux objets théoriques (Relieu et al.,

2004), et notamment vers l’interaction sociale72 qui constitue l’unité d’analyse au cœur du

courant de l’action située (Darses et al., 2004).

Par ailleurs, Suchman (1987) rappelle l’indexicalité du langage : l’interprétation, la compréhension des échanges langagiers dépend du contexte. Elle écrit ainsi : « Notre utilisation située du langage, et conséquemment la signification de ce que nous disons,

présuppose et implique un ensemble de choses qui ne sont jamais mentionnées en soi73 »

(p. 60). Dès lors, pour comprendre les échanges, l’arrière-plan de la situation est essentiel. L’action « ne peut être interprétée qu’en référence à des éléments repérables en situation, faisant appel à un ensemble de ressources matérielles et sociales de son environnement » (Valléry, 2004, p. 122). De ce fait, si les actions ne sont pas déterminées par les plans, ceux-ci constituent une ressource importante (mais pas la seule) pour « produire du sens dans l’action » (Suchman, 1987, p. 66). Le plan soutiendra notamment les acteurs, en les orientant, lors des interactions locales et plus précisément lorsqu’éclatent des « délibérations » ou des « discussions » (p. 52) entre les individus.

2.1.2. La proximité avec l’ethnométhodologie

Pour conclure sur la théorie de l’action située, rappelons que les écrits de Suchman s’inscrivent dans une branche particulière de la sociologie : l’ethnométhodologie. En effet, dans cette « posture empirique », « les descriptions (…) sont traitées sous l’angle de leur rapport « indexical » à l’action » (Licoppe, 2008a, p. 292). L’indexicalité dont traite la théorie de l’action située est donc au cœur de l’ethnométhodologie. Cette posture appelle à des modes de collecte de données particuliers à travers lesquels les chercheurs analysent les conversations : il s’agit de méthodes d’analyse en situations réelles, telles que l’ethnographie. Or, selon Theureau (2004), « Pour Suchman, si l’action a pu apparaître comme suivant des plans symboliques (…) c’est grâce à une illusion rétrospective, celle qui est engendrée par les récits réflexifs que nous faisons de nos actions. Cette illusion rétrospective, c’est que nous croyons que les descriptions que nous effectuons ainsi de nos actions, qui nous apparaissent comme des récits suivant un plan, rendent compte de la production (ou genèse) de ces actions » (Theureau, 2004, p. 14). Cette « illusion rétrospective » appelle, dans la lignée de l’ethnométhodologie, à déployer de nouvelles

72 En ce sens, la théorie de l’action située s’inscrit dans le prolongement de la sociologie interactionniste notamment goffmanienne, Goffman (1988 et 1991) définissant la « situation

sociale » par le biais des interactions entre les acteurs.

73 Traduit de l’expression d’origine : “Our situated use of language, and consequently language’s

significance, presupposes and implies an horizon of things that are never actually mentioned”

méthodes de recueil de données (autres que les expérimentations en laboratoire), à travers lesquelles le chercheur est en mesure d’observer des séquences d’interaction74.

2.2. La théorie de la cognition distribuée

La théorie de la cognition distribuée constitue le second courant présenté par Licoppe (2008a) dans le « carré de l’activité ». Elle provient notamment des travaux d’Hutchins (son article sur la mémoire du cockpit de 1994, puis son ouvrage Cognition in the wild de 1995) et constitue une critique du paradigme des sciences cognitives alors dominant. Ce courant représente selon de Fornel et Quéré (1999) une « orientation écologique du paradigme de l’action située » (p. 25) car il cherche à « alléger la cognition des agents en transférant une partie des tâches cognitives sur l’environnement. (…) De plus, en aménageant et en structurant leur environnement, les agents pré-organisent leur champ pratique » (p. 24). Revenons de manière plus poussée sur ces différentes propositions. S’intéressant à la « cognition dans des situations du monde réel » (1994, p. 452), Hutchins défend l’idée selon laquelle l’activité cognitive ne résulte pas uniquement de processus mentaux internes à l’individu, mais d’un « système fonctionnel » (p. 471) qui inclut des « agents humains, des artefacts et des objets en interaction » (Darses et al., 2004, p. 198). Dans son analyse du pilotage des avions, Hutchins (1994) étudie les différents supports informationnels des pilotes. Il interroge ainsi le système fonctionnel que constitue le cockpit, qualifié de « système cognitif » (Hutchins, 1994, p. 460), dans sa capacité à livrer des informations (de Fornel et Quéré, 1999) ou des « états représentationnels » (Hutchins, 1994, p. 464). Il montre que le cockpit est doté d’une « mémoire » (p. 464) qui permet d’alléger l’effort cognitif qu’exige, pour les pilotes, l’atterrissage d’un avion.

De ce fait, l’unité d’analyse mobilisée dans la théorie de la cognition distribuée diffère de celle de l’action située : on passe de l’analyse des interactions à l’analyse d’un système fonctionnel (le « cockpit » dans son article de 1994). Mais l’auteur ne délaisse pas pour autant l’interaction puisqu’au sein du système fonctionnel étudié, ce sont justement « les interactions des personnes entre elles et avec la structure physique de leur environnement » (Hutchins, 1994, p. 470), « les interactions entre les représentations

74 Ce constat conduit Theureau, dans le prolongement de l’ethnométhodologie, à proposer un nouvel objet théorique, le « cours d’action », et à ouvrir un observatoire qui développe ses propres méthodes de construction de données empiriques par rapport à cet objet d’étude (méthode de verbalisation simultanée, auto-confrontation…) (Theureau, 2004). Le « cours d’action », représente « ce qui, dans l’activité observable à l’instant t d’un acteur dans un état déterminé, engagé

activement dans un environnement physique et social déterminé et appartenant à une culture déterminée, est préréflexif, significatif pour cet acteur à cet instant, ou montrable, racontable et commentable par lui à cet instant à un observateur-interlocuteur moyennant des conditions favorables » (Theureau, 2005, p. 119).

externes et internes » (id., p. 471) qui l’intéressent. La question de la coopération (Conein et Jacobin, 1994) ou de la coordination s’inscrit ainsi au cœur du modèle de la cognition distribuée. Les acteurs et les artefacts qui composent le système fonctionnel vont se coordonner pour accomplir des fonctions cognitives (Licoppe, 2008b), comme le montrent Heath et Luff (1994) dans leur analyse de l’activité de régulation du métro lorsqu’ils mettent l’accent sur une forme de complémentarité entre les outils, les acteurs et les modes d’organisation du travail (p. 539).

L’environnement est ainsi d’une certaine façon habilitant : il offre des perspectives aux acteurs puisque les artefacts, en prenant en charge une partie des fonctions cognitives nécessaires à l’action, vont permettre un « allégement cognitif » (Licoppe, 2008b, p. 426). Mais l’environnement décrit par le modèle de la cognition distribuée est dans le même temps contraignant : il restreint, d’une certaine manière, les capacités d’action des acteurs puisqu’« une grande partie de l’organisation de la conduite est soustraite à l’agent, prise en charge par la structure de l’objet ou du système avec lequel il se coordonne » (Béguin et Clot, 2004, p. 42). Le courant de la cognition distribuée donne aux objets et aux acteurs la même place dans le système fonctionnel : ces artefacts ne se contentent pas d’aider, de soutenir la mémoire des pilotes, « une large partie de la fonction mémorielle se tient en dehors de l’individu » (Hutchins, 1994, p. 471). Les artefacts, lorsqu’ils sont des supports informationnels efficaces, vont finalement guider l’activité (Conein et Jacobin, 1994). Dans cette perspective, le modèle de la cognition distribuée sous-tend une « dimension holiste » (Licoppe, 2008a, p. 290). Hutchins (1994) écrit ainsi : « Certaines tâches de mémorisation, dans le cockpit, sont accomplies par des systèmes fonctionnels qui transcendent les limites d’un seul acteur individuel » (p. 468). A la différence de l’action située, « ce n’est pas à proprement parler la « situation » qui contrôle l’action » (Béguin et Clot, 2004, p. 41) : « le contrôle de l’action située est le fait d’une instance extérieure, qui prend la place du pilote mental des modèles rationalistes » (de Fornel et Quéré, 1999, p. 28) et il existe finalement « des caractéristiques objectives aux situations qui ne sont pas situées culturellement et historiquement » (Béguin et Clot, 2004, p. 41). Licoppe (2008b) explique notamment que la théorie de la cognition distribuée ne se contente pas de décrire l’activité à travers le système fonctionnel auquel elle s’intéresse : « Les concepteurs cherchent à guider (…) un bon usage des dispositifs en y incorporant des opportunités d’action aisément perceptibles et reconnaissables comme telles » (p. 290).

Malgré cette dimension holiste, le courant de la cognition distribuée présume lui-aussi du caractère situé de l’action ou de la cognition, sur lequel revient Hutchins dans son ouvrage

Cognition in the wild (1995). L’action est située parce qu’elle prend toujours forme dans « un système d’interaction multiples » (de Fornel et Quéré, 1999, p. 27) composé d’acteurs et d’artefacts aux formes variées et qu’elle « s’organise « par le moyen » de cet environnement » (id., p. 25).

Pour finir, il est à noter que le courant de la cognition distribuée, comme celui de l’action située, tire partie de ses fondements théoriques pour s’engager sur la question des méthodologies de recherche. Ainsi, Hutchins appelle, à l’instar de la théorie de l’action située et de l’ethnométhodologie, à sortir des laboratoires afin de pratiquer « l’ethnographie cognitive » (1995, p. 371), un travail délicat, incertain quant à son résultat et qui n’a dès lors que peu été mis en œuvre sur le champ de la cognition auquel l’auteur s’intéresse.

2.3. Les théories de l’activité, la psychologie du travail et l’ergonomie de tradition française

Nous allons ici présenter le troisième courant du « carré de l’activité » (Licoppe, 2008a) : la théorie de l’activité. Celle-ci s’est développée sous l’influence successive des travaux de Vygotsky, Leont’ev puis Engeström : ce sont ces différentes théories de l’activité que nous allons, dans un premier temps, rappeler. Dans un second temps, nous reviendrons sur la manière dont deux disciplines en France se sont emparées de cet objet d’étude : la psychologie du travail et l’ergonomie.

2.3.1. Les théories de l’activité

La théorie de l’activité est d’abord issue des travaux de l’école de psychologie russe. Engeström (2001) résume très bien l’évolution successive que la théorie a connue au cours du temps. Ainsi, il montre que les écrits de Vygotsky ont, les premiers, façonné la théorie de l’activité en mettant en évidence le rôle de « médiation » joué par les instruments entre le sujet et l’objet. Toutefois, au départ, seul l’instrument est appréhendé par Vygotsky comme moyen d’accomplissement de l’activité, confinant le modèle à une perspective individuelle. Engeström (2001) suggère que les écrits de Leont’ev ont largement contribué à lever cette limite : il y insiste ainsi largement sur la différence qu’il faut opérer entre l’action individuelle et l’activité collective.

Par la suite75, Engeström (1987) modélisera cette perspective collective de la théorie de

l’activité à travers la figure suivante :

Figure n°4 - Le système d’activité

Source : Engeström (1987, p. 78)

La notion d’ « objet » est centrale dans la théorie de l’activité : comme l’explicite Licoppe (2008a), « l’activité y est définie par son objet » (p. 291), l’objet oriente l’activité (Engeström, 2001, 2008b). Mais l’objet « n’est pas seulement un matériel brut se prêtant à des opérations logiques faites par le sujet » (Béguin et Cerf, 2004, p. 65), il est une « entité interprétée » (p. 65) construite progressivement par le sujet (Engeström, 2006). Avec la dimension collective de l’activité, la médiation n’est plus seulement le fait d’instruments mais concerne aussi d’autres facteurs : les règles, la division du travail, et la communauté. L’articulation entre le niveau micro (le sujet) et macro (l’organisation, la communauté) s’inscrit ainsi au cœur de la théorie de l’activité (Engeström, 2000). Sur le schéma, chaque triangle représente une forme de médiation. Dans leur réflexion sur la

75 Engeström (2001) va plus loin lorsqu’il présente la « troisième génération » de la théorie de l’activité (p. 135). Ses développements récents visent à tenir compte des nouvelles formes d’organisation du travail. Ainsi, aujourd’hui, l’unité d’analyse de la théorie de l’activité n’est plus seulement un système d’activité considéré de manière isolée mais au minimum deux systèmes d’activité inter-reliés au sein desquels l’objet se construit (ou plutôt, est co-construit (Engeström, 2000, p. 973)) progressivement. Engeström travaille notamment sur la question de la « co-

configuration » et plus précisément sur le concept de « knotworking » ou de « travail en nœud »

(2000, 2006, 2008a) à travers lequel il s’intéresse à la « performance collective (…) entre des

acteurs ou des systèmes d’activité par ailleurs faiblement connectés entre eux » (2008a, p. 305).

Les knotworking sont des « combinaisons de personnes, de tâches et d’outils (…) uniques et d’une

durée relativement brève » (p. 304-305), « en reconfiguration constante » (p. 304) et distribuées

dans l’espace.

Instruments

Sujet

Communauté

Règles Division du travail

conception des systèmes de travail, Béguin et Cerf (2004) résument très bien les différents processus à l’œuvre dans la théorie de l’activité. Ils montrent ainsi que le triangle supérieur représente le processus qui consiste à « mobiliser des artefacts, qu’ils soient matériels (…) ou symboliques comme le langage (…), pour agir sur l’objet, le transformer, le produire, conformément aux intensions du sujet » (p. 65). Le second processus, représenté par le triangle tourné vers le bas, au centre de la pyramide, prend en compte la communauté de travail à laquelle le sujet appartient et qui participe, avec le sujet, à la production de l’objet. Des règles, à la fois formelles et informelles, les deux dimensions étant prises en compte par Engeström dans son analyse de l’activité (Engeström, 2008b), jouent un rôle de médiation entre le sujet et la communauté (triangle de gauche). Enfin, la division du travail est constamment renégociée entre les membres de la communauté, en relation avec l’objet de travail qui se dessine progressivement dans l’activité (Engeström, 2006) (triangle de droite).

Engeström (2001) montre que la division du travail mise en scène dans le schéma génère des points de vue différents au sein du système d’activité. Celui-ci constitue ainsi « toujours une communauté de multiples points de vue, (…) et intérêts » (p. 136). Dès lors, la communication est centrale dans l’analyse, l’auteur (Engeström, 2008a, p. 328) suggérant, à l’instar de Strauss (1992a), l’existence d’un ordre social négocié au sein du système d’activité. Ainsi, la théorie de l’activité repose sur l’analyse des contradictions internes au système. La dimension collective de l’activité n’est pas l’unique responsable de ces contradictions. Le modèle suggère par exemple que les règles (les « scripts », Engeström, 2000, p. 964) ou la division du travail, telle qu’elle est mise en œuvre, entrent parfois en tension avec l’objet du travail. Il qualifie ce phénomène de « perturbations » (« disturbances », 2000, p. 964). Ainsi, l’objet, s’il assure au système une cohérence globale (en permettant que les actions individuelles soient orientées vers la réalisation de buts communs) est aussi une constante source d’instabilité. Travaillant lui- même sur le secteur de la santé, Engeström (2000) souligne le caractère singulier du patient qui constitue l’objet de travail des acteurs hospitaliers. L’idée centrale défendue dans la théorie de l’activité est que ces contradictions sont une source d’apprentissage et de changement pour l’organisation. Comme le montre Engeström (2000), confrontés à de telles contradictions, les acteurs vont en effet innover. Ils vont construire, dans les cours d’action, des solutions leur permettant de gérer ces perturbations. Et la perspective temporelle proposée par la théorie de l’activité « dépasse le cadre de l’accomplissement situé de l’activité (Licoppe, 2008a, p. 292) : ces solutions peuvent ainsi devenir permanentes, par exemple lorsqu’elles aboutissent à la création de nouveaux artefacts (règles, instruments…). Engeström appelle dès lors à inscrire l’apprentissage et le

changement au cœur d’un processus « local » (Engeström, 2001, p. 151) et « horizontal » pour compléter le mouvement « vertical » principalement à l’œuvre dans les organisations (Engeström, 2000, p. 970).

2.3.2. Regards sur l’activité en France : la psychologie clinique du travail et l’ergonomie de langue française

Licoppe (2008a) souligne que le développement de la théorie de l’activité en France s’est plutôt opéré par la psychologie clinique du travail (Clot) et par l’ergonomie (Béguin et Rabardel notamment). L’auteur rappelle toutefois que cette orientation vers l’activité reste en France encore très limitée. Nous retiendrons de ces deux courants trois éléments majeurs : en premier lieu, tous deux fondent leur analyse sur la distinction entre le travail prescrit et le travail réel ; ils considèrent ensuite que les acteurs évoluent dans un environnement donné ; ils font toutefois jouer aux acteurs qualifiés de « sujets » un rôle actif dans la constitution de cet environnement, à travers un processus d’appropriation.

a. La psychologie clinique du travail