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L’ÉTUDE DU TRAVAIL D’ARTICULATION DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ : VERS

CHAPITRE 2 : APPRÉHENDER LE TRAVAIL D’ARTICULATION « SITUÉ »

1. L’ÉTUDE DU TRAVAIL D’ARTICULATION DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ : VERS

La question de la coordination dans les établissements de santé a fait l’objet d’un travail déjà important en sociologie, et notamment en sociologie interactionniste à travers les écrits de Strauss (1992a). Plutôt que de coordination, l’auteur parle d’un travail d’articulation réalisé à l’hôpital afin que « les efforts collectifs de l’équipe soient finalement plus que l’assemblage chaotique de fragments épars de travail accompli » (Strauss, 1992a, p. 191). Il part en effet du constat que les différentes tâches effectuées dans l’activité de soins doivent être coordonnées car « elles ne s’organisent pas, automatiquement d’elles-mêmes en séquences d’action et de temps appropriées » (id.). La réflexion sur le travail d’articulation sera prolongée par des auteurs tels que Fujimura (1987) ou encore Star (Star et Strauss, 1999). Fujimura (1987) distingue deux types de travail, la production d’une part, l’articulation d’autre part. Tandis que la production concerne la réalisation de tâches relativement bien définies, l’articulation est le travail de mise en cohérence nécessaire afin de mener à bien la production. L’articulation constitue ainsi, selon l’auteur, le travail de « planification, d’organisation, de surveillance, d’évaluation, d’ajustement, de coordination et d’intégration » (p. 258) nécessaire au bon déroulement de l’activité. Enfin, Grosjean et Lacoste (1999), dans un ouvrage maintenant bien connu46, ont contribué à cette réflexion en plaçant la communication au cœur de ce

travail d’articulation.

Nous nous proposons ici de revenir sur ce concept et la façon dont il est décrit par les différents auteurs (1.1), pour dans un second temps positionner le questionnement de la thèse par rapport à ces écrits : nous montrerons ainsi que le travail d’articulation, tel qu’il a jusqu’ici été abordé, peine à penser le rapport entre activité et organisation et notamment la manière dont l’organisation peut soutenir ces bricolages locaux (1.2). Revenant sur les caractéristiques du travail d’articulation, nous inscrirons l’activité dialogique au cœur de celui-ci et montrerons comme les écrits de Detchessahar (1997) sur les « espaces de discussion » peuvent contribuer à la réflexion (1.3).

Ce travail nous conduira à relativiser le rôle du « plan » dans l’activité réelle et révèlera dès lors la nécessité de changer de niveau d’analyse, de déplacer notre regard depuis l’organisation vers l’activité « située » organisationnellement (Lorino et Teulier, 2005, p. 13).

1.1. Retour sur le travail d’articulation

La sociologie interactionniste s’est largement emparée de cette question de la coordination puisque, comme le rappellent Grosjean et Lacoste (1999), « l’impératif de coordination s’inscrit au cœur des interactions » (p. 7). La coordination des tâches est rendue nécessaire parce que le travail est fondamentalement divisé en une multitude de tâches, mais que dans le même temps, ces tâches sont extrêmement complémentaires puisqu’elles concourent toutes au résultat final. Cette nécessité est très bien mise en évidence par Hughes (1996) : « La division du travail, pour sa part, implique l’interaction ; car elle ne consiste pas dans la simple différence entre le type de travail d’un individu et celui d’un autre, mais dans le fait que les différentes tâches sont les parties d’une totalité, et que l’activité de chacun contribue dans une certaine mesure au produit final. Or, l’essence des totalités, dans la société (…), c’est l’interaction (p. 61). On le voit, cette question est thématisée par la sociologie interactionniste sous l’angle de l’ « interaction ». Strauss (1992a) écrit ainsi que « l’interaction est le pivot autour duquel s’organisent les processus ; c’est au moyen de l’interaction que se fait la division du travail et qu’elle est maintenue, que les tâches sont opérationnalisées et coordonnées, que le travail nécessaire pour soutenir sa motivation et celle de son entourage peut-être identifié et accompli » (p. 43). Cette perspective peut-être complétée par les écrits de Grosjean et Lacoste (1999). Les auteurs montrent qu’au-delà de l’éclatement fonctionnel, le travail dans les établissements de santé doit être coordonné du fait d’un éclatement à la fois spatial et temporel du collectif, nous l’avons souligné dans le chapitre précédent. Cette caractéristique limite de fait l’interaction de face à face et pose dès lors la question de l’articulation à distance (Latiers et Jacques, 2007). Mais les réflexions autour de la coordination à l’hôpital restent dominées par les écrits de Strauss (1992a), notamment à travers le concept de « travail d’articulation » qu’il suggère. L’auteur distingue différents niveaux d’articulation sur lesquels nous nous proposons ici de revenir.

1.1.1. Le travail d’ « articulation structurante »

Strauss montre en premier lieu le rôle du médecin qui, disposant de la vue la plus complète, du « tableau d’ensemble » (Strauss, 1992a, p. 197), détermine « l’arc de travail » (id.), c'est-à-dire la succession de tâches à entreprendre afin de « maîtriser le cours de la maladie et remettre le patient dans une forme suffisamment bonne pour que celui-ci puisse rentrer chez lui » (p. 176). Le second niveau d’articulation provient du responsable de proximité (la « surveillante ») qui précise la trame préétablie par le médecin : elle répartit le travail entre les personnels de son service et lui affecte des conditions ou des contraintes de réalisation (moyens, délais, qualité…). Ces deux niveaux

d’articulation sont réinterprétés par Grosjean et Lacoste (1999) en termes d’ « articulation structurante institutionnelle » puis d’ « articulation structurante locale ». Les auteurs montrent que cette forme d’articulation s’apparente à une rationalisation qui intervient en amont de la coopération. On pourrait en cela la rapprocher du mécanisme de coordination formalisé par Mintzberg (1982), la « standardisation des procédés », à travers lequel les tâches à réaliser sont programmées, rendant, selon l’auteur, toute forme de supervision ou de communication superflue. Mais selon Strauss (1992a), le rôle du responsable de proximité ne se limite pas à organiser le travail conformément à la trame préétablie par le médecin : il doit également superviser l’effective réalisation de celle-ci dans l’activité de soins. En cela, ce second niveau d’articulation défini par Strauss (1992a) pourrait être rattaché au mécanisme de coordination que Mintzberg (1982) qualifie de « supervision »47.

1.1.2. Le travail d’ « articulation opérationnelle »

Strauss (1992a) ne limite pas son analyse de la coordination à l’hôpital à ces deux niveaux d’articulation formels. A ce titre, un détour vers la signification de ce concept même d’ « articulation » nous semble nécessaire. Articuler, selon Grosjean et Lacoste (1999), c’est intégrer la transversalité. C’est donc tenir compte de l’éclatement à la fois fonctionnel, spatial et temporel de l’activité que nous venons de mettre en évidence. Mais l’articulation consiste aussi à gérer l’aléa, à faire face à l’imprévu (Grosjean et Lacoste, 1999 ; Star et Strauss, 1999). Strauss (1992a), à l’instar de Minvielle (1996), met en effet en évidence les « contingences fortes du travail médical issues de la maladie elle-même mais aussi du travail et de son organisation et des biographies respectives des protagonistes de l’action » (p. 31). Il introduit dans cette perspective la notion de « trajectoire de maladie48 », plus pertinente semble-t-il pour rendre compte de la

47 Les différents mécanismes de coordination mis en évidence par Mintzberg (1982) ont fait l’objet d’une présentation plus détaillée au chapitre 1 de la thèse.

48 La trajectoire de maladie permet effectivement de rendre compte du caractère singulier de chaque prise en charge, mais l’origine du concept est double : la trajectoire de maladie en plaçant le patient au centre de l’activité de soins doit aussi permettre de conceptualiser celui-ci comme un acteur du travail médical à part entière, et même comme l’acteur central du processus (et non plus le médecin). Nous verrons par la suite que, du fait du contexte de rationalisation dans lequel l’activité de soins s’ancre aujourd’hui, la notion de trajectoire de maladie ne nous semble plus correspondre tout à fait à la façon dont le travail s’organise. Par ailleurs, l’étude réalisée dans la thèse se focalise sur le bloc opératoire au sein duquel le patient est endormi et ne joue dès lors pas le même rôle que dans les services où de nombreuses études montrent qu’il joue un rôle essentiel (Grosjean et Lacoste (1999) signalent par exemple que le malade a parfois les informations avant les infirmières). Enfin, Datchary (2008) souligne qu’une entrée par les trajectoires de patient « sous-tend une certaine durée » (p. 400) et montre dès lors qu’un « niveau de détail encore plus

singularité de chaque cas. Avec la trajectoire de maladie, les acteurs ne gèrent plus un flux unique de patients à partir d’une même procédure opératoire. Au contraire, chaque flux est associé à un patient particulier : il existe autant de flux que de malades, d’où le concept de « trajectoire » qui souligne le caractère singulier de chaque prise en charge susceptible d’évoluer d’une manière spécifique. Et l’auteur ne limite pas les sources d’aléa à l’objet du travail (le patient). Il montre que l’organisation du travail elle-même peut être un facteur de perturbation important (concurrence potentielle entre les patients sur les ressources disponibles, technologie médicale…). Dès lors, Strauss (1992a) tient compte du caractère précaire du plan ou de cette trame élaborée par le médecin et complétée par le responsable de proximité : l’articulation structurante ne peut prévoir le champ des possibles du travail réel. Il montre qu’un travail supplémentaire est nécessaire localement pour compléter l’organisation formelle, un travail qu’il qualifie d’ « articulation opérationnelle ».

L’articulation opérationnelle consiste en premier lieu à assurer ce travail de mise en cohérence de l’activité, notamment à travers un « travail de médiation » (Grosjean et Lacoste, 1999). Celui-ci concerne la transmission des informations nécessaires à la cohérence d’ensemble du travail de soins, en dépit de l’éclatement qui le caractérise. Il se traduit par l’existence de discours rapportés, par personnes interposées49 ou à travers la

mobilisation de certains outils (et les auteurs mettent notamment en évidence le rôle des écrits à l’hôpital). Nous y reviendrons par la suite. Mais ce travail d’articulation opérationnelle est plus fondamentalement un travail de « réarticulation » (Strauss, 1992a) qui suit des phases de « désarticulation ». La notion de « désarticulation » renvoie bien ici à la perturbation de la trame préétablie, de l’organisation formelle du travail, bref de l’articulation structurante. Strauss (1992a) montre que les personnels jouent un rôle fondamental dans la gestion de l’aléa à travers la « réarticulation » qu’ils prennent en charge et qui passe par le détournement du protocole ou la réalisation d’actions supplémentaires non anticipées dans la trajectoire de maladie initiale : ces tâches supplémentaires doivent être intégrées au déroulement du travail de l’équipe ce qui nécessite un travail d’articulation complémentaire. On peut, en cela, se demander si le travail d’articulation ne constitue pas, au fond, un véritable « travail d’organisation » (de Terssac et Lalande, 2002). Cette réflexion fera l’objet de notre seconde partie.

permanentes. Ce sont pour ces raisons que nous n’avons pas retenu la trajectoire de maladie comme unité d’analyse dans ce travail.

49 Grosjean et Lacoste (1999) mettent par exemple en avant le « devoir de faire-passer » (p. 142) les informations d’une catégorie à l’autre pour que chacun soit en possession des informations nécessaires à son travail.

1.2. Aux limites du « plan » : le travail d’articulation, un travail d’organisation ?

La sociologie interactionniste constitue selon Strauss (1992b) une « argumentation explicite contre les interprétations de l’ordre social insistant trop sur les règles et les règlements tout en ignorant comment ils sont promulgués, maintenus, manipulés, enfreints, modifiés et même entièrement abolis puis supplantés. Tout ceci suppose que l’on conçoive les humains comme des êtres qui façonnent leurs mondes dans une certaine mesure – malgré les contraintes structurales qu’ils rencontrent inévitablement » (p. 14). Deux dimensions ressortent de cette proposition : la première c’est que les règles ne s’imposent pas telles quelles aux individus, elles sont systématiquement adaptées, modifiées, réinterprétées… ; la seconde c’est que les individus sont de véritables « acteurs », ils ont la possibilité d’agir sur le monde dans lequel ils évoluent. Dans cette perspective, le travail d’articulation opérationnelle - directement inspiré d’une sociologie interactionniste -, celui que prennent en charge les acteurs lorsqu’ils sont confrontés à l’événement, pourrait être appréhendé comme un « travail d’organisation » (TO) au sens que lui donnent de Terssac et Lalande (2002). En effet, les réflexions autour du travail d’organisation s’ancrent dans une conception particulière de l’organisation et du système de règles, considérés comme émergents et non donnés, en place. Selon les auteurs, ce dernier « n’est pas si cohérent et pas aussi fermé qu’on le croit. Un système de règles est une configuration fragile et vulnérable, alors qu’il se présente souvent comme un système verrouillé et fermé » (p. 204-205). De Terssac et Lalande (2002) considèrent par là que « ce sont les acteurs qui construisent le système et non l’inverse » (p. 215).

1.2.1. Le travail d’articulation comme bricolage et élaboration de solutions locales

La réflexion sur le travail d’organisation (TO) prend pour objet d’étude la question de la formation des règles. Elle s’inscrit au sein de la théorie de la régulation sociale (TRS) de Reynaud (de Terssac et Lalande, 2002, p. 216)50. De Terssac et Reynaud (1992) partent du

constat d’une certaine incomplétude des règles, voire parfois d’une certaine incohérence avec la situation de travail réelle. Ils montrent alors que « pour maîtriser la situation et s’assurer (…) d’une certaine « efficacité » de ses productions, l’encadrement est contraint de recourir à l’initiative et à l’autonomie des exécutants » (p. 173). En cela, le travail d’articulation semble pouvoir s’apparenter à un travail d’organisation, le travail

50 Elle est également proche du courant de l’analyse stratégique des organisations (Crozier et Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1992) avec la notion de « système d’action concret », un courant qui considère que « le rôle réel des caractéristiques formelles d’une organisation n’est (…) pas de

déterminer directement des comportements, mais de structurer des espaces de négociation et de jeu entre acteurs » (Friedberg, 1992, p. 536).

d’articulation opérationnelle étant mis en évidence par Strauss (1992a) afin de compléter l’organisation formelle générée par un travail d’articulation structurante.

En effet, le travail d’articulation opérationnelle auquel nous nous intéressons ici consiste principalement pour les acteurs à faire face à l’événement, donc à réagir à un problème qui se présente à eux. Nous l’avons vu, il est en partie un travail de « réarticulation » qui passe par la modification du plan initial. Il se rapproche par là fortement du travail d’organisation défini par de Terssac et Lalande (2002). Selon ces auteurs, « le travail d’organisation va réparer une « désorganisation » (…). Il est avant tout une réorganisation d’où émerge un nouveau système. Ce qui est premier dans cette organisation, c’est le problème à résoudre : ce n’est pas la solution qui est préalable, mais le problème » (p. 178). D’après cette définition, c’est donc lorsqu’ils identifient ou sont confrontés à un problème que les acteurs réalisent un travail d’organisation. De la même manière, le travail d’articulation opérationnelle est rendu nécessaire lorsque la trajectoire de maladie s’éloigne de l’arc de travail fixé par le médecin. Les acteurs confrontés au réel de l’activité se trouvent contraints de s’engager dans un tel travail : l’implication des acteurs vient de « la nécessité d’inventer des solutions pratiques efficaces et légitimes : le problème amène avec lui une obligation de réussite qui est la source de l’engagement » (de Terssac et Lalande, 2002, p. 191-192). Le travail d’organisation, comme le travail d’articulation, consiste dès lors en des « bricolages organisationnels51 » (p. 10) de « solutions singulières » (p. 180), de « nouvelles combinaisons de ressources pour faire autrement » (p. 217). Il est une « invention permanente et locale de solutions efficaces » (de Terssac, 2003, p. 122).

Toutefois, le TO est sujet à un double mouvement : en effet, les règles qui s’élaborent localement dans les cours d’action sont dans un second temps institutionnalisées, un phénomène que nous ne retrouvons pas dans le travail d’articulation opérationnelle qui reste du domaine de l’invisible. Dans cette perspective, c’est à présent le rapport entre action et organisation au sein de chacun de ces courants que nous allons questionner.

1.2.2. De la difficulté de penser la façon dont l’organisation peut soutenir le travail d’articulation

Le travail d’organisation « est avant tout un travail de « réorganisation » (de Terssac, 2009, p. 121). Or, « l’expression de réorganisation désigne cette activité d’élaboration de

51 Le travail d’articulation est effectivement appréhendé comme un « bricolage » par exemple par Fujimura (1987) qui écrit : « Le bricolage est un autre terme pour parler d’articulation » - « Tinkering is another term for articulating » (p. 261)

règles émergentes dans un contexte déjà largement peuplé de règles en place » (p. 204). Le travail d’organisation est ainsi appréhendé dans un système organisationnel particulier qu’il va venir modifier : le travail d’organisation, comme dans la théorie de la régulation sociale de Reynaud (1988), constitue un « processus d’apprentissage » (2002, p. 178 ; 2009, p. 122-123) de l’organisation.

Revenons de prime abord sur une phase particulière du travail d’organisation mise en évidence par de Terssac et Lalande (2002) : la « généralisation ». Nous avons vu précédemment que le travail d’organisation induisait des formes de bricolages dans l’activité. On a ainsi « d’un côté, une distanciation d’avec le système en place et de l’autre l’invention du nouvelles pratiques de travail » (2002, p. 185). Selon les auteurs, ces solutions, élaborées localement par les acteurs pour faire face à un problème, sont ensuite généralisées à l’ensemble de l’organisation et sont par là institutionnalisées, afin d’orienter les actions dans la même direction, de coordonner le travail (de Terssac, 2009). Se positionnant par rapport à la théorie de la régulation sociale, les auteurs écrivent ainsi : « Les règles d’efficacité (…) donnent des résultats satisfaisants ; du coup, elles sont reprises dans des règles de contrôle, élaborées à partir d’une doctrine commune, pour éviter que chaque unité de travail conserve sa façon de travailler » (p. 209). Ainsi, de Terssac montre que « le TO est une production normative de règles » (2009, p. 122) : de nouvelles règles de contrôle sont élaborées, qui deviennent des contraintes pour tous et dont le non respect est sanctionnable. Or, il ne nous semble pas retrouver ce double mouvement (production de solutions locales qui sont dans un second temps généralisées) dans les réflexions sur le travail d’articulation. Certes, le travail d’articulation n’est pas déconnecté de l’organisation dans laquelle il s’inscrit. Corbin et Strauss (1993), par exemple, montrent que l’organisation influence ce travail d’articulation à la fois en le contraignant mais aussi en lui offrant des opportunités, à l’instar de la division du travail chez Fujimura (1987). Toutefois, la façon dont ce travail d’articulation interroge en retour l’organisation (formelle) ne nous semble pas avoir été explicitement précisée jusqu’ici52. Si

le travail d’articulation induit des bricolages locaux, des arrangements informels, et

52 Les réflexions sur le travail d’articulation s’inscrivent pourtant dans le courant de la sociologie interactionniste qui considère que « l’individu produit son environnement autant qu’il est produit

par celui-ci » (Koenig, 2003, p. 17). Dès lors, les écrits sur le travail d’articulation ne nient pas la

possibilité pour les acteurs d’agir sur l’organisation et de la faire évoluer, on le voit dans la partie précédente (1.2.1). Strauss (1992a) affiche d’ailleurs la volonté de traiter du rapport entre l’activité et les règles formelles, par exemple dans son travail sur l’hôpital psychiatrique. Ce n’est toutefois pas sur cette question que l’auteur se concentre et il met finalement l’accent sur les interactions entre les acteurs (négociation entre les différentes parties-prenantes concernées par la situation ou le patient selon les intérêts ou les convictions portés par chacun : médecins, infirmières, aides-soignantes…), davantage que sur les interactions entre l’activité et l’organisation et la façon dont les deux entités s’influencent mutuellement.

aboutit à des accords stabilisés mais toujours renégociables (Corbin et Strauss, 1993), nous nous trouvons en revanche relativement démunis face à ces écrits pour comprendre comment ces accords viennent transformer l’organisation formelle du travail53. Le travail

d’articulation y est en effet très largement présenté comme un travail par nature invisible (Latiers et Jacques, 2007 ; Star et Strauss, 1999 ; Grosjean et Lacoste, 1999 ; Fujimura, 1987) auquel ces écrits cherchent justement à redonner une certaine visibilité. Grosjean et Lacoste (1999), notamment, montrent que ce travail d’articulation, bien que central, est effectivement méconnu puisqu’à l’hôpital, « seule finalement la prescription médicale témoigne de la réarticulation intervenue » (p. 170). Par ailleurs, les auteurs soulignent que « l’articulation n’est perçue que par ses manques » (p. 171). Enfin, le travail d’articulation déplace l’attention des personnels de la tâche vers l’enchaînement des tâches : il ne constitue pas un acte noble et est ainsi peu valorisé dans les établissements