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Une théorie méréologique du holisme sémantique

1.7 Le holisme sémantique

1.7.0.1 Une théorie méréologique du holisme sémantique

La compatibilité du PCM et du PC peut être modélisée dans une structure algébrique abstraite. En effet, il est possible, en accord avec la méréologie de Lesniewski, de définir les structures sémantiques à l’aide de la relation de partie à tout97. Pour ce faire, il convient de complexifier cette méréologie par des fonctions, de manière à définir la manière dont une structure est agencée fonctionnellement à partir de ses parties. Ainsi, une structure représente le résultat de son mode de composition, en accord avec le PC, mais elle possède également une fonction propre, qui est liée à sa valeur de vérité. Elle est le résultat d’une composition, mais elle permet par ailleurs d’individuer le sens de ses parties en vertu de sa valeur de vérité.

Nous nous contentons ici d’un exposé cursif de la théorie méréologique de Peregrin. Peregrin définit une structure comme un ensemble de parties à tout (ou SPT) composé d’objets et d’une collection de fonctions qui, pour n places, prennent un n-uple d’objets (les parties) et les « projettent » sur un objet complexe (le tout). Un objet est considéré comme simple s’il ne possède aucune partie. L’ensemble des objets simples d’un SPT complexe constitue la base sémantique de celui-ci. Par ailleurs, les propriétés inductives sont appréhendées comme des propriétés projetables des parties, c’est-à-dire pour lesquelles ce qui est prédicable du tout l’est aussi des parties ; par exemple, la propriété d’« être en fer » est projetable. D’autres structures ne possèdent pas de propriétés inductives ; par exemple, la propriété de « peser lourd » n’est pas projetable.

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J. Peregrin, Meaning and Structure, chapitre 4 et l’appendice I, section 4.7. Voir également : D. Miéville, Un développement des systèmes logiques de Stanislaw Lesniewski. Protothétique-

Il est alors possible de définir la compositionnalité de l’évaluation d’une structure :

Si un tout est constitué des objets x1,…, xn de la manière O, c’est-à-dire que

y=O (x1,…, xn), alors il doit exister une manière O* de construire V(y) à partir de

V (x1),…, V (xn).

Ainsi :

V(y)=V (O(x1,…, xn))=O* (V (x1),…, V (xn))

Cette formule signifie que V est compositionnelle si et seulement si pour chaque manière de construire O il existe une fonction O* telle que pour chaque n-uple d’objets x1, …, x n de manière O, il est vrai que V (O(x1,…, x n))= O*(V (x1),…, V (x n))

Une évaluation est alors compositionnelle si elle assigne la même valeur de vérité à deux touts quand elle assigne des valeurs identiques à leurs parties correspondantes. Afin de modéliser algébriquement la signification d’un langage, Peregrin souligne qu’il est nécessaire de rendre compte de la notion d’infini potentiel ; en effet, le langage est potentiellement infini au sens où les règles grammaticales peuvent être appliquées indéfiniment, par récursivité, en vertu du PCM. Ceci implique qu’il est impossible d’évaluer toutes les expressions en formulant une liste complète de celles-ci. Il est nécessaire, au contraire, d’assigner des évaluations à des expressions de base et de rendre compte de la manière dont celles-ci sont projetées sur les touts. Les seules évaluations acceptables doivent alors être compositionnelles au sens défini plus haut. Les expressions du langage naturel forment donc, d’un point de vue algébrique, des suites potentiellement infinies qui sont évaluées compositionnellement.

Si l’on considère le langage lui-même comme un ensemble de parties à tout (ou SPT), l’assignation du sens des expressions doit être eo ipso compositionnelle, car les significations forment des équivalences fonctionnelles. Comme, par ailleurs, il n’existe pas de limite à la longueur des expressions d’un langage, l’évaluation d’un tel système infini doit être compositionnelle. La définition du langage comme un SPT implique alors que le principe de compositionnalité s’applique au mode de composition des significations : le sens d’une expression complexe est déterminé par le sens de ses parties et par leur mode de composition, et uniquement par eux.

Dans sa formalisation algébrique du langage naturel Peregrin part du principe de substitutivité qui stipule que les assignations compositionnelles de deux expressions ayant même sens sont interchangeables sans modification de la signification du tout dans lequel elles apparaissent. Le principe de substitutivité est donc équivalent au principe de compositionnalité du sens. Cependant, cette analyse semble impliquer que le sens des expressions dérive du sens des mots considéré indépendamment de leur usage dans des phrases. Or, une telle formulation rendrait impossible tout formulation contextuelle du sens des mots (qui pourrait toujours être donné indépendamment de leur usage dans des énoncés). Le principe de compositionnalité exclurait alors celui de contextualité. On aboutirait exactement à l’inverse de ce que demande une interprétation holiste du langage, c’est-à-dire à la théorie des blocs empilés dénoncée par Davidson. Une telle théorie postule en effet une sémantique atomiste où chaque expression possède un sens en vertu de son lien avec le monde ou avec notre esprit. Mais ceci mène tout droit à l’idée que le

langage forme une nomenclature, ce qui contredit le holisme minimal que nous défendons avec Peregrin. Nous souscrivons à cette affirmation de Davidson :

Les mots n’ont d’autre fonction en dehors du rôle qu’ils jouent dans les phrases : leurs caractéristiques sémantiques s’abstraient des caractéristiques sémantiques des phrases, tout comme les caractéristiques sémantiques des phrases s’abstraient du rôle qu’elles jouent pour aider les gens à atteindre leur buts ou à réaliser leurs intentions.98

Davidson présente ici une variante du principe de contextualité de Frege. Mais la théorie de l’empilement des mots mine la théorie holiste telle qu’elle est formalisée par Peregrin! Le principe de contextualité est-il donc algébriquement compatible avec le principe de contextualité ? Cela ne paraît pas évident à ce stade de l’analyse. Comme Peregrin le souligne lui-même :

Is the principle of compositionality a Trojan horse contaminating our structuralist theory of language with precisely what we have so painstakingly tried to expel- i.e. the understanding of language as a set of labels?99

La solution de ce problème est méréologique. En accord avec le principe de contextualité de Frege, Peregrin individue en effet le sens des mots à l’aide du principe méréologique de compositionnalité : le sens d’un mot consiste dans sa contribution au sens de la phrase dans laquelle il apparaît. La proposition demeure cependant l’unité fondamentale du sens car elle seule est porteuse de valeur de vérité. Le point est plus clair si l’on reformule le principe de compositionnalité comme celui de substitutivité : le sens d’une partie d’une phrase étant alors défini comme équivalent à ce que cette partie partage avec toutes les autres parties qui peuvent être substituées à elle sans changer le sens des touts correspondants.

Dans un tel modèle, l’évaluation est compositionnelle et holiste, et les mots possèdent un sens qui dépend de leur usage dans des phrases. Peregrin formalise ainsi la composition du sens des phrases: il reconstruit les phrases comme des SPT à l’aide de mots tout en représentant ces phrases comme des unités de base de la signification. Autrement dit, il représente de façon méréologique les relations d’« avoir même sens » (MS) et d’« avoir même fonctionnement » (MF). On peut définir ces relations ainsi :

Deux expressions x et y possèdent même sens (xMSy) si et seulement si pour chaque proposition P il est vrai que P remplit la même fonction que chacune de ses variantes (x/y) P’ qui résulte de la substitution de y à x, soit : PMFP’. La relation d’ «avoir même sens », ou MS, est une compositionalisation de la relation d’« avoir même fonction », ou MF. Une telle procédure implique que les assignations de sens aux expressions individuelles représentent des projections compositionnelles de la relation MF (les valeurs des expressions si elles sont intersubstitutives « salva functione ».)

La relation d’avoir un même sens (MS) permet donc d’expliquer que la phrase soit un vecteur de la parole ; en effet, le langage rend possible la construction de phrases complexes à partir de phrases simples, et la relation MF rend compte de ce phénomène : si la relation MF est compositionnelle, alors la relation MS coïncide

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D. Davidson, Enquêtes sur la vérité et l’interprétation, p. 319.

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avec la relation MF. Cette algébrisation de la relation méréologique sert de modèle structural à la sémantique. Elle révèle également que l’abstraction sur un SPT peut être d’une complexité beaucoup plus grande que celle qui existe sur un ensemble non structuré. Ainsi, la relation de «même fonctionnement » entre phrases permet de rendre compte des significations dans un langage naturel (ou formel).

L’analyse méréologique de Peregrin revient à montrer comment le langage forme une structure fonctionnelle qui peut être explicitée par compositionnalisation de classes d’équivalence, la signification se définissant alors par l’usage des mots dans des phrases qui forment des touts (SPT). Une telle représentation donne une idée mathématique précise de la possibilité pour la compositionnalité de compléter le principe de contextualité dans un holisme structural. Une structure langagière est dès lors formalisée par une structure algébrique abstraite qui donne priorité à la phrase sur le mot tout en maintenant la possibilité de projeter la valeur des parties sur le tout (PC et PCM). Ainsi, au regard de cette formalisation, le holisme sémantique est cohérent : si le sens des mots consiste dans leur usage, cet usage se fait dans des phrases. Isolé de tout jugement possible, un mot ne signifie donc pas, au contraire de ce que prétendent les atomistes.

Cependant, un tel modèle ne démontre pas la réalité d’un tel langage, mais, plus modestement, sa possibilité algébrique. Il présente une représentation abstraite de la notion de signification contextuelle et compositionnelle. Cependant, ce modèle ne permet pas de formaliser une dépendance plus large que la proposition prise comme unité de signification et ne donne aucune idée réelle de la dépendance sémantique entre propositions. Il convient donc de reprendre philosophiquement la question d’un langage compositionnel et contextuel susceptible de prendre en compte la dépendance sémantique entre propositions (PCL).