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Tonk Plonk Plink et Belnap

LES « DONKEY SENTENCES » EN SEMANTIQUE ET EN LOGIQUE

3.3 Prior, Fodor, et le holisme sémantique 1 Le holisme minimal

3.3.2 Tonk Plonk Plink et Belnap

Il convient, nous l’avons dit, de répondre à un argument de Prior contre la possibilité de définir inférentiellement les constantes247. Cet argument est connu et commenté depuis fort longtemps. Nous n’y reviendrons pas en détail. Nous entendons simplement signaler comment une théorie syntaxique comme celle de Koslow permet de répondre à Prior.

Prior définit la constante tonk par les deux règles suivantes :

(1) P implique P-tonk-Q pour tout P et Q (introduction de tonk) (2) P-tonk-Q implique Q pour tout P et Q (élimination de tonk)

Ainsi, P implique P-tonk-Q, et P-tonk-Q implique Q. Donc P implique n’importe quelle proposition Q. Donc P implique Q. Comme la conjonction est également introduite par de telles règles, le problème de tonk vaut pour la conjonction. La conjonction ne peut donc pas être définie inférentiellement. La théorie de la preuve est donc incapable de définir les constantes, et il faut défendre une approche sémantique de la logique (CQFD).

247

A. N. Prior, « The Runabout Inference-Ticket », Analysis, 24 (69), pp. 191-5, 1960; N. D. Belnap, « Tonk Plonk and Plink », Analysis, 22 (6): pp. 130-134, 1962.

Un tel argument revient un peu à nos yeux à conclure à la dangerosité de tous les champignons à partir de celle de l’amanite. Or nous savons que tous les champignons ne sont pas dangereux, et même qu’il en existe de fort savoureux. De manière similaire, l’existence d’une règle implicative tératologique comme tonk ne doit pas nous faire conclure au caractère nécessairement vicié des définitions inférentielles des constantes. D’ailleurs, il n’est pas certain que tonk représente une règle implicative bien formée. En effet, Belnap et Koslow avancent des arguments de poids contre le caractère bien formé de tonk. Voyons cela en détail.

La réponse de Belnap à l’argument de Prior consiste en l’élaboration d’une théorie structurale de la logique qui n’utilise pas de connecteur logique (au sens d’un nom). Pour Belnap, tonk viole les conditions d’une bonne définition, alors que la conjonction logique ne les viole pas. Pour le montrer, Belnap part d’un ensemble S de propositions qui ne contient pas la conjonction, puis définit une relation de déductibilité sur S (〈S,|-〉) et construit un ensemble S* qui est le plus petit ensemble incluant S et qui contient la conjonction P∧Q (s’il contient P et Q). Puis Belnap introduit la notion d’extension conservative de|-, |-*, telle que pour tous les Pi et Q qui

sont éléments de S, l’équivalence suivante est valide : P1, …, Pn|-* Q si et seulement si P1, …, Pn |-Q

Ainsi, la relation de déductibilité |-* est coextensionnelle à la relation |- sur S.

Avec un ensemble S qui ne comprend pas tonk, Belnap construit une extension conservative de S, S* comprenant tonk ; tonk répond aux conditions (1) et (2) de Prior. Cependant la relation |-* ne forme pas une extension conservative de |-, car elle n’est pas coextensionnelle à la relation |- sur S. En effet, par transitivité, toutes les propositions de S sont équivalentes en vertu de la relation |-. Or, Belnap a défini S par des membres non équivalents ; ainsi, l’extension de S à S* n’est pas conservative et tonk ne représente donc pas un connecteur logique bien défini.

Cette démonstration de Belnap, quoique importante, dépend cependant à la fois de l’hypothèse que tous les membres de S ne sont pas équivalents et du fait que la relation de déductibilité est transitive. Dès lors, la démonstration de Belnap, si elle est correcte, manque de généralité.

En effet, comme le souligne Koslow, il peut exister une structure implicative comme I=〈S,⇒〉 pour P, Q et R, où R représente une conjonction de P et Q (parce que R implique P et Q) et qu’il est le seul membre de la structure implicative à le faire, soit : R⇒P et R⇒Q et si S ∈I alors S=R. La structure implicative « I » comprend la conjonction R de P et Q, mais non le signe syntaxique « ∧ » de celle-ci. Un tel procédé permet d’échapper à un problème qui se pose à Belnap, qui ne peut en effet introduire la conjonction que dans l’extension S* de S, et non dans l’ensemle S lui-même. Par ailleurs, Belnap fait face à une autre difficulté : comme R est équivalent à P∧Q dans S et dans S*, R possède le même rôle inférentiel dans S et dans S* alors que la conjonction n’existe pas dans S. Ainsi, la logique structuraliste permet de mieux rendre compte de l’extension conservative de S à S* que le modèle de Belnap, car elle n’est pas nécessairement liée à la représentation syntaxique des opérateurs.

Autrement dit, la grande généralité de la solution de Koslow rend compte de manière convaincante de l’extension conservative de S à S* et permet de répondre à la question suivante : comment est-il possible d’affirmer que la conjonction en S* est stable à partir de S, alors que S ne contient pas de conjonction ? Nous citons Koslow sur ce point :

The more acute difference however is not whether or not the element R is a conjunction in the passage to a conservative extension; it is whether or not R is a conjunction in the first place248.

En effet, comme Belnap ne peut accepter de conjonction en S qu’à la condition de la désigner par « ∧ », l’extension conservative en S* demeure formelle, car seul S* peut contenir « ∧ ». Ainsi sa solution, quoique correcte, manque de généralité. Au contraire, la définition des opérateurs par des conditions implicatives structurales rend possible l’existence d’opérateurs qui ne sont pas représentés syntaxiquement sur les structures. La définition structurale des opérateurs par des conditions inférentielles (et non par des signes syntaxiques particuliers) permet d’assurer que l’extension en question respecte la stabilité de S à S *. En effet, tonk se définit inférentiellement par les conditions inférentielles suivantes :

A⇒ T (A, B) T (A, B)⇒ B

Ces conditions structurelles sont définies indépendamment de la notation syntaxique de tonk (T forme un indice de « tonkage » et n’est pas un opérateur).

Ainsi, si une structure implicative I= 〈S, ⇒〉 contient tonk, alors pour tout A et B : A⇒T (A, B) et T (A, B)⇒B. Par transitivité, A⇒B pour tout A et B.

Dès lors, S représente une structure triviale où toute différence entre les opérateurs disparaît. Autrement dit, dans une structure implicative triviale, tous les membres de sont équivalents entre eux249.

Le « point » de Koslow est le suivant : la question de la différence entre la conjonction et tonk, qui fait tout le nerf de l’argument de Prior, disparaît d’elle-même en logique structuraliste, car si tonk existait en S, il ne se distinguerait pas de la conjonction. En conséquence, la question de sa différence ou non avec la conjonction ne peut se poser de manière sensée. Ainsi, la question de la différence de la conjonction et de tonk revient un peu à demander ce qui est plus grand ou si la couleur carrée est ronde ou pas : elle n’est tout simplement pas pertinente.

On voit l’avantage de la grande généralité de la théorie structuraliste de Koslow : comme les opérateurs sont identifiés à des conditions inférentielles sur des structures, et non à des signes particuliers, même si ceux-ci sont utilisés par commodité, l’extension conservative de Belnap n’est plus formelle : la conjonction existe bien en S* si elle existe en S, et l’opérateur tonk ne peut exister que sur des

248

A. Koslow, A Structuralist Theory of Logic, CUP, 1992, p. 31.

249

structures triviales, ce qui répond à l’interrogation de Prior. La solution de Koslow est ainsi plus générale que celle de Belnap, même si elle emprunte des voies similaires. Les réponses de Belnap et de Koslow à l’argument de Prior nous paraissent convaincantes.

Par ailleurs, en réponse à l’interrogation de Prior sur le fait qu’une théorie de la preuve n’est pas suffisante à la définition des opérateurs, il faut rappeler que la logique structuraliste ne prétend pas le faire, puisqu’elle ne définit pas la signification des opérateurs, mais la caractérise à l’aide de conditions inférentielles sur des structures implicatives.

La théorie de Koslow, par son intérêt pour la sémantique du langage naturel, représente un bon modèle des opérateurs logiques implicites dans la langue naturelle. Certes, la langue naturelle remplit bien d’autres fonctions que des fonctions logiques, mais elle forme le médium universel de la signification, nous l’avons dit. S’il est possible de formaliser des théories abstraites, comme la théorie des ensembles ou celle des catégories, il est cependant très important à nos yeux de maintenir un intérêt pour les opérations inférentielles telles qu’elles sont matérialisées dans la langue naturelle. La logique structuraliste de Koslow permet de le faire. Par ailleurs, on l’a montré, elle répond à l’objection de Prior en généralisant la solution de Belnap.