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6.4 Proposition d’un scénario pour l’origine de ULC

6.4.1 Une source ancienne et une affinité continentale

Les résultats de modélisation semblent approuver le scénario selon lequel le recyclage de pyroxénites continentales (Lee et al., 2012) dans le manteau supérieur pourrait être responsable de la formation d’un réservoir au Pb très peu radiogénique et dont la signa-ture serait due à la présence de sulfures. Toutefois, au delà de la lithologie, un tel scénario pour ULC nécessite de trouver dans la signature géochimique des basaltes associés, des indices justifiant 1) une origine continentale, et 2) une source suffisamment ancienne afin d’être cohérent avec la durée nécessaire imposé par l’évolution dans le temps de l’arc magmatique et de sa racine en un complexe épais et dense, son recyclage, et enfin son temps de résidence dans le manteau supérieur avant de fondre.

Par comparaison avec les données de la littérature, on constate que la tendance des-sinée par ces nouvelles données s’aligne dans celle de l’EPR tout en l’étirant vers des valeurs plus basses pour les rapports 208P b/204P b et 206P b/204P b (Figure 6.7). Dans un

diagramme 206P b/204P b et 207P b/204P b ce même trend prend en revanche une

direc-tion différente (Figure 6.7). Cet effet provient du fort rapport 207P b/204P b par rapport

aux valeurs de206P b/204P b et 208P b/204P b de ces échantillons. Les roches continentales

et plus spécifiquement archéennes ont aussi cette même caractéristique. En effet, si la source est très ancienne le chronomètre a pu être arrêté suffisamment tôt dans l’histoire de la Terre, lorsque le taux de production du 207P b était encore supérieur à celui du

206P b et 208P b (> 2 Ga) (Figure 6.8). Puisque les basaltes ULC ont cette propriété, on

×ØÙ Úre 6.7 – Illustration du caractère ancien de la source du point chaud. Tandis que la tendance définie par les échantillons s’aligne avec la tendance globale de l’EPR dans un dia-gramme208P b/204P b en fonction de206P b/204P b (à droite), elle s’en écarte dans le diagramme 207P b/204P b en fonction de206P b/204P b (à gauche), ce qui montre que le rapport207P b/204P b

est anormalement élevé pour un rapport206P b/204P b donné, et suggère une origine ancienne.

Par ailleurs, le rapport isotopique 4He/3He a été mesuré pour quatorze basaltes

(Figure 6.9). Les gaz rares sont des traceurs géochimiques utilisés pour discriminer les magmas provenant du manteau supérieur, de ceux prenant source dans le manteau in-férieur. En effet, lors de la différenciation croûte / manteau, le manteau supérieur a été fortement dégazé, tandis que le manteau inférieur est resté plus primitif, c’est pourquoi les MORB ont des compositions plus "dégazées" que les OIB. Généralement, par conven-tion, on utilise le rapport R/RA pour désigner la composition isotopique de l’He, c’est à dire le rapport isotopique de l’He dans l’échantillon, divisé par celui dans l’atmosphère. La concentration en He est très basse dans le matériel volcanique et tout contact avec l’atmosphère ou l’eau de mer (dans laquelle l’He est soluble) contamine sa signature isotopique. C’est pour cette raison que l’He est mesuré dans les verres volcaniques ou dans les inclusions vitreuses dans les olivines. Dans les MORB le rapport R/RA est très homogène autour d’une valeur de 8 (Allegre et al., 1995 ; Graham, 2002), tandis qu’il est beaucoup plus élevé dans les OIB.

ÛÜÝ Þre 6.8 – Evolution des rapports isotopiques du Pb en fonction du temps (µ=8.65 ;

κ=3.8). On remarquera que jusqu’à il y a environ 2 Ga, le taux de production du207P b était

supérieur à celui du206P b.

Les rapports R/RA mesurés sur quinze échantillons sont tous significativement infé-rieurs à 8 (Figure 6.9), et les échantillons les plus influencés par le composant ULC ont les rapports les plus bas (allant jusqu’à 5.6), ce qui suggère une source très dégazée et /ou ancienne, et donc cohérente avec un héritage continental (Graham, 2002). En effet, il est largement admis que le matériel continental doit être extrêmement dégazé (<0.1) s’il a plus de 10-100 Ma (Graham et al., 2002 ; Ballentine et al., 1997).

La signature dégazée des échantillons de l’EPR entre 15˚37’-15˚47’N exclut donc la possibilité d’une source primitive (manteau inférieur) et soutient l’idée d’une source localisée dans le manteau supérieur. Un autre argument plaidant également en faveur d’une affinité continentale concerne les rapports en éléments traces Ce/P b qui sont consi-dérablement plus bas (10-11) que la valeur homogène des basaltes océaniques (25 ± 5). De même, les rapports Eu/Eu* sont élevés (jusqu’à 1.2) pour les basaltes les plus in-fluencés par ULC (Figure 6.9) tandis que les basaltes océaniques ont généralement des valeurs inférieures à 1. Autant de propriétés géochimiques caractéristiques de la croûte continentale inférieure (Rudnick et Fountain, 1995 ; Rudnick et Gao, 2004) qui appuient le scénario envisagé précédemment. De plus, les isotopes du Sr, Nd et Hf attestent d’une signature enrichie par des valeurs de Sr radiogéniques et des rapports 143N d/144N d et 176Hf /177Hf plus bas. Ces observations s’accordent également avec l’hypothèse d’un

recyclage de croûte continentale inférieure dans le manteau, puisqu’ils sont dans la large 188

ßàá âre 6.9 – A gauche : Compositions isotopiques de l’He d’une quinzaine d’échantillons choisis le long de l’EPR représenté en fonction de la latitude. Le rapport R/RA correspond au rapport isotopique de l’He dans l’échantillon divisé par celui dans l’atmosphère. A droite : Diagramme représentant le rapport Ce/Pb en fonction de Eu/Eu*, utilisés comme marqueurs de croûte continentale inférieure (CCinf).

gamme de compositions des roches de la croûte continentale inférieure. Il existe toute-fois très peu de données isotopiques sur ces roches, qui pour la plupart proviennent de xénolithes dans les roches volcaniques. Ces roches ont des compositions variées, allant de roches ultramafiques à felsiques (pyroxénites, gabbros, gabbronorites, anorthosites, hornblendites ou granulites). Etant donné les textures et les concentrations traces dans ces roches (absence de zonation, assemblage minéralogique assez simple, anomalie po-sitive en Sr et Eu etc), il semblerait qu’une grande partie de la croûte continentale inférieure soit cumulative (Rudnick et al., 1986 ; Halliday et al., 1993 ; Upton et al., 2001 ; Downes et al 2007). En revanche, la grande diversité lithologique est accompagnée d’une gamme trop large de compositions isotopiques, car celles-ci sont trop perturbées par les processus de métamorphisme, de métasomatose et d’altération qui affectent sur de longues périodes la partie profonde de la croûte et modifient sa composition initiale. Rudnick et Goldstein (1990) suggèrent que la composition isotopique du Pb soit rého-mogénéisée dans la croûte continentale. Halliday et al. (1993) proposent de calculer le temps nécessaire pour générer la gamme de compositions observée à partir de la gamme de variations des rapports père/fils, et montrent qu’il faut quelques centaines de millions d’années pour y parvenir dans les systèmes Pb et Sr, mais plusieurs milliards d’années pour le Nd, ce qui suggère alors que le processus d’homogénéisation qui affecte le Pb et

encore plus grande. Par conséquent, il est difficile de faire un lien clair entre la signature isotopique complexe et non généralisable de la croûte continentale inférieure et celle ob-servée pour ULC.

En revanche nous avions vu que les compositions isotopiques du Sr, Nd ainsi que les rapports 206P b/204P b des basaltes analysés étaient assez similaires à certains MORB

de l’océan indien porteurs de l’anomalie DUPAL (Dupré et Allegre, 1983 ; Hart, 1984). Ces points communs suggèrent donc que la source des MORB "indiens" et celle d’ULC pourraient avoir une origine similaire, même si le rapport 176Hf /177Hf des basaltes

ULC est clairement plus bas pour des compositions isotopiques de Sr et Nd données que dans les MORB indiens. Le système isotopique Lu-Hf est sensible à la présence de grenat (et dans une moindre mesure du clinopyroxène), minéral dans lequel le Lu est compatible. Généralement, des compositions isotopiques plus radiogéniques en Hf sont donc expliquées par la présence de grenat dans la source. Ceci est alors accompagné par un enrichissement TR lourdes ou un appauvrissement (dans la plupart des cas) lorsque le grenat est résiduel. Dans notre cas il n’y a pas d’enrichissement en TR lourdes et le rapport 176Hf /177Hf est très bas, ce qui implique une intégration dans le temps d’un

faible rapport Lu/Hf qui peut être expliqué par la présence de grenat résiduel lors d’un évènement antérieur de fusion partielle.

Plusieurs hypothèses ont été proposées pour l’origine de la signature DUPAL. Celles-ci sont la contamination du manteau supérieur par des points chauds profonds (Storey et al., 1989), l’introduction de manteau lithosphérique subcontinental pendant le démantè-lement du Gondwana (Mahoney et al., 1992), ou encore le recyclage de croûte océanique et ses sédiments (Dupré et Allègre., 1983 ; Rehkamper and Hofmann, 1997). Les données d’hélium, osmium et hafnium ont permis de rejeter ces hypothèses et le consensus actuel implique le recyclage de croûte continentale inférieure dans le manteau (Escrig et al., 2004 ; Hanan et al., 2004 ; Janin et al., 2012).

6.4.2 Détection en surface d’hétérogénéités discrètes : Le rôle