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6.3 Discussion sur la nature pétrologique de ULC

6.3.1 Le rôle des sulfures

La valeur des rapports des isotopes radiogéniques dépend directement de l’évolution dans le temps des rapports père/fils. De faibles rapports206P b/204P b et207P b/204P b sont

descendants de faibles rapports U/Pb (faibles µ), ce qui suggère qu’il y a eu un fraction-nement entre ces deux éléments avec soit perte d’U, soit gain de Pb. Cette deuxième condition peut être facilement atteinte en faisant intervenir des minéraux tels que les sulfures dans lesquels le Pb est concentré par rapport à l’U (et le Th) en raison de son comportement chalcophile. Par conséquent, un matériel riche en sulfures peut avoir un

µ très bas, et plus tard une signature très peu radiogénique en Pb. En effet, tandis que

le coefficient de partage KD(U ) sulfures/silicates peut être inférieur à 0.001 (Wheeler et al., 2006), le KD (Pb) peut atteindre 10-40 (Oversby et Ringwood, 1971 ; Brenan et McDonough., 2005) (e.g., Galène (PbS)).

Depuis une dizaine d’années, les compositions isotopiques Re-Os des sulfures mag-matiques inclus dans les péridotites abyssales sont mesurées. Ces travaux rapportent

Ž  signatures d’Os très peu radiogéniques dans les sulfures, ce qui a permis de mettre en évidence l’existence de domaines anciens (>1-2 Ga) de manteau supérieur préser-vés de la convection, et dont la signature n’est apparemment pas observée dans les MORB (Brandon et al., 2000 ; Harvey et al ., 2006 ; Liu et al., 2008). Cela sous-entend qu’il existe une partie de manteau supérieur réfractaire à la fusion non représentée par la géochimie des basaltes océaniques, et donc que le manteau supérieur est encore plus hétérogène qu’on ne le pense et que sa composition est mal évaluée (fertilité surestimée). De la même manière, Burton et al. (2012) ont montrés que les sulfures de péridotites abyssales de la zone de fracture Kane (Atlantique Nord) ont des rapports isotopiques du Pb extrêmement bas (206P b/204P b< 16.5 ; Figure S2 Article), pour les mêmes raisons que

les rapports 187Os/188Os le sont aussi (187Os/188Os=0.114). Dans la lignée de

Malavia-rachchi et al. (2008), ils concluent que la composition de la BSE pourrait être largement balancée par le Pb extrêmement peu radiogénique des sulfures du manteau. D’après leurs estimations, il suffirait de 47ppm de Pb dans ces sulfures et des rapports 206P b/204P b, 207P b/204P b et 208P b/204P b de 16.23, 15.26 et 35.90 respectivement pour y parvenir.

Toutefois les compositions isotopiques et concentrations en Pb mesurées variant trop fortement d’un sulfure à l’autre, elles rendent ces estimations trop approximatives pour affirmer que ces sulfures contenus dans ces domaines de manteau réfractaire peuvent à eux seuls permettre de résoudre le paradoxe du Pb.

La nature réfractaire des péridotites abyssales rend quasiment impossible leur im-plication dans la source des ULC-basaltes de l’EPR. De plus, tandis que certaines de ces péridotites ont des compositions de Pb assez similaires à ULC, leurs compositions isotopiques de Sr, Nd et Hf, extrêmement appauvries, sont très différentes de celles des basaltes ULC de l’EPR 14˚N (Figure S2 Article). Pourtant, l’implication de sulfures dans la source semble être la solution la plus envisageable pour générer en même temps et aussi bien de faibles rapports U/Pb et Th/Pb. En effet, l’U peut être mobilisable par les fluides, mais le Th reste immobile. Dans notre cas, les échantillons sont caractérisés par des rapports 208P b/204P b extrêmement faibles, ce qui suggère également

l’intégra-tion dans le temps d’un rapport Th/Pb déjà très bas, ce qu’il est plus facile de concevoir par un gain de Pb (via l’implication de sulfures) que par une perte conjointe de Th et d’U. Le manteau qui a fondu pour donner ces basaltes ULC semble donc nécessiter la pré-sence de sulfures mais avoir une origine différente de celle des péridotites abyssales que l’on associe habituellement au domaine océanique. Les sulfures en contexte continental

‘ ’“t aussi une phase courante dans la croûte continentale inférieure, et en particulier dans les xénolithes ultramafiques trouvés en base de croûte d’arc magmatique (Lee et al., 2006 ; Sappin et al., 2011 ; Lee et al., 2012). Lee et al. (2012) proposent que lors du fonctionnement d’un arc magmatique, se forme une racine crustale, par cristallisation fractionnée des magmas issus de la fusion du coin mantellique métasomatisé, racine faite de cumulats riches en sulfures magmatiques. Sous l’effet de l’inflation magmatique et du raccourcissement lithosphérique, et celui de l’enfouissement progressif de la racine dans des conditions de plus hautes pression et température, celle-ci finit par devenir un complexe épais et dense de pyroxénites à sulfures, qui serait en mesure d’être recyclé facilement dans le manteau. Les auteurs proposent que par l’intermédiaire des sulfures, la croûte inférieure soit le réservoir balançant le déficit de Cu dans la croûte continentale supérieure. S’il s’avère que c’est le cas et parce que le Pb est chalcophile comme le Cu, alors la ré-injection d’une partie de ce matériel dans le manteau supérieur conduit à la formation d’hétérogénéités transportant de faibles rapports U-Th/Pb, et constituent donc un réservoir qui n’est pas réfractaire et dont la signature pourrait être détectée dans les basaltes.

”•– —re 6.4 – Schéma explicatif montrant l’évolution de la racine d’un arc magmatique au cours du temps (adapté de Lee et al., 2012). (A) Transfert des magmas juvéniles depuis le coin mantellique vers la surface (rouge) et formation des premiers cumulats à sulfures (noir). (B) Epaississement progressif de l’arc et de la racine, et formation des pyroxénites à sulfures. (C) Fusion partielle éventuelle de ces pyroxénites si les conditions P-T atteintes, et sinon (D) Recyclage d’une partie de la racine dans le manteau supérieur.

L’hypothèse proposée par Hart et Gaetani (2006) est celle de la diffusion du Pb entre silicates et sulfures. Alors qu’il n’existe pas de données dans littérature sur la diffusion du Pb dans les silicates et les sulfures, par analogie avec les vitesses extrêmement rapides de diffusion du Fe (Condit et al., 1974, Yang et al., 1959) et de l’Os (Brenan et al., 2000), Hart et Gaetani (2006) suggèrent que le Pb diffuse très rapidement. Par conséquent, une source riche en sulfures qui fondrait partiellement produirait un liquide

˜ ™š™›œ é qui rééquilibrerait très rapidement son contenu en Pb avec celui des sulfures résiduels. Le contraste isotopique fort du Pb entre les sulfures (très peu radiogéniques) et les liquides silicatés (radiogéniques) permettrait donc d’abaisser considérablement les rapports isotopiques du Pb dans les liquides basaltiques.

Le recyclage puis la fusion partielle d’une partie de pyroxénites riches en sulfures créées en contexte d’arc magmatique représenterait ainsi un mécanisme puissant pour générer des basaltes très peu radiogéniques en Pb.