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Une socialité intersubjective dans un champ dialogique

Introduction au chapitre

1.1. Du sujet « philosophique » au sujet des sciences sociales

1.1.1. Une socialité intersubjective dans un champ dialogique

1.1.1.1. Le sujet de la philosophie classique, entre

« intériorité » et « extériorité »

la maîtrise qu’a l’homme de ses conduites et de son intervention dans le monde en dotant le sujet philosophique, être d’entendement et de raison,

« d’une subjectivité plus ou moins inépuisable à défaut d’être insondable »112.

L’exercice de la pensée s’est longtemps confondu avec l’exercice de la subjectivité dans un processus d’intériorisation qui répond, dans la tradition philosophique et religieuse, aux nécessités de l’examen de conscience et du contrôle de soi. Ce qui rend cet exercice possible

réside dans une double ou plutôt une triple coupure. La première est « classiquement » située entre le corps et l’esprit

« Le corps-objet sinon objet de mépris dans les religions

chrétiennes pour le moins, et l’entendement, l’âme, l’esprit, seul sujet ».

La seconde et la troisième coupure séparent simultanément les individus entre eux, et l’individu et le monde. Norbert Elias traitant de la

« conscience de soi et (de l’) image de l’homme « dans les Méditations

de Descartes, observe :

« Même si l’individu faisait intervenir la pensée des autres dans son raisonnement, il les considérait essentiellement comme un ensemble de systèmes fermés dont chacun, (...) regardait pour soi, “de l’intérieur”, un monde qui se trouvait “à l’extérieur” »114.

Ce dualisme, d’abord spiritualiste, ne saurait conduire à une théorie du sujet, dans la mesure où

« il ne prend en considération ni les systèmes relationnels que sont les collectivités et les sociétés /.../, ni la reproduction sociale dans la métamorphose /.../ des formations communautaires »115.

Au contraire, l’individualisme méthodologique qui en résulte,

« production historique dans les sociétés du capitalisme développé »

» 116 et débouchera sur une asphyxie du sujet, écrasé par de nouveaux

déterminismes.

La psychanalyse, « en manifestant l’avènement de soi à soi » permet

114. N. Elias, La Société des individus 115. R. Galissot, ibid.

de repenser certains déterminismes sociologiques. La notion d’« acteur

individuel »117, d’« acteur social » et d’interaction peut-elle alors « offrir une issue vers une reprise de description sociologique tout en défendant l’autonomie individuelle » ?

Il semble que non car

« en sociologie ou en ethnologie descriptive des rôles, des stratégies et des jeux, l’interaction ne cesse pas d’être déterministe : interactif

118.

Tout se passe donc comme si la question du sujet se perdait dans une double impasse psychique et sociologique :

« La sociologie depuis Durkheim s’est peut-être complue dans l’étude des représentations collectives pendant que la psychologie d’abord, puis la psychanalyse s’enfouissaient dans la subjectivité, et chaque discipline de se mettre en frais d’assurer l’intégration dans la sphère familiale et nationale en conformité avec les normes et hiérarchies sociales »119.

1.1.1.2. A la recherche de nouveaux paradigmes

Au paradigme de l’intégration des normes et de l’incorporation des déterminismes, il convient donc de substituer de nouveaux paradigmes. monadique on nommait l’« intériorité » et l’« extériorité » du sujet.

a) L’émancipation du sujet : ni individualiste, ni spiritualiste.

117. Ibid., p. 6 118. Ibid., p. 14 119. Ibid.

Pour René Galissot, concevoir le sujet c’est l’envisager d’abord sous son aspect relationnel, comme « animal en action intersubjective »120 et

ainsi, marquer la place première de l’échange,

« de la communication ou plutôt du dialogue, comme la tension du désir, la distance entre la demande et la réponse qui ouvre l’imaginaire »121.

C’est concevoir son insertion relationnelle comme inscription dans différents cercles de socialisation, celle-ci étant paradoxalement synonyme à la fois d’endoculturation. Et

dans des processus d’acculturation. Ce sont ces paradoxes et

« ces relations qui fondent la subjectivité /.../, c’est au creux de cette complexion pour partie aliénante, /.../ qu’il est possible de penser le projet d’un sujet qui tenterait de donner cause au désir d’existence »122

Il s’agit peut-être essentiellement de comprendre que le « fondement

relationnel a deux versants : l’un de structuration de la société, l’autre de structuration personnelle » et que c’est par une interférence entre

société. Ceci à un point tel que l’idée même de sujet « est liée au projet

d’émancipation personnelle qui est partie de l’émancipation sociale ».

Devenir sujet ce serait sortir de l’état de mineur et « ce qui

fait la distinction entre individu et sujet, c’est peut-être ce projet d’émancipation ».

D’ailleurs, le terme « émancipation » ne renvoie-t-il pas à

120. Ibid., p. 6 121. Ibid., p. 7 122. Ibid.

« cette prise de distance (vis-à-vis) des normes communautaires, de la communauté parentale et familiale comme de la communauté religieuse et partisane /.../ et de l’ethnocentrique communauté nationale qui impose l’adhésion, bref de la domination du sujet collectif, majeur et identitaire (la famille, le peuple élu religieux ou national, l’Etat) sur le sujet personnel » ? .

Rompre avec des conceptions spiritualistes aussi bien qu’individualistes c’est alors rechercher le point de jonction entre émancipation personnelle et émancipation sociale. Ce point de jonction passe, selon R. Galissot, par qu’advienne un sujet existentiel : sujet de droits, sujet politique, acteur social et, ajouterions-nous, sujet de sa parole. En effet, si la notion de sujet renvoie à celle d’un « projet d’historicité personnelle », ce « mode

de constitution du sujet » /.../ passe par « la prise de parole » qui est mise en mouvement et entrée dans l’histoire »124.

b) La communication comme champ dialogique

communication comme « espaces de déploiement des représentations

/.../ où s’exercent les effets des rapports de domination et d’exploitation ».

Mais cette émergence oblige à suivre une autre voie, complémentaire de la première : il s’agira d’analyser aussi la communication comme

« champ dialogique et lieu de réalisation d’une socialité intersubjective au travers même des conditionnements culturels ».

S’il y a un recoupement possible entre une théorie sociale et une théorie du sujet, il repose sur « une compréhension dynamique de la

reproduction sociale »125.

C’est à ce titre que « la théorisation du sujet rejoint l’espérance/utopie

d’émancipation sociale et personnelle »126.

1.1.2. L’« habitus » ou l’incorporation du lien social