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Introduction au chapitre

1.1. Du sujet « philosophique » au sujet des sciences sociales

1.1.4. Un usager en quête d’agencements sociau

1.1.4.1. Le système des objets

a) la consommation

En empruntant à J. Baudrillard le titre d’un ouvrage, à nos yeux, essentiel, nous tentons de signaler deux choses.

La première est que notre problématique du sujet prend en compte le contexte d’une société de consommation.

La seconde est qu’un quart de siècle après la parution de cet ouvrage, il n’est (toujours) pas possible de penser le « détournement consommatoire »

de l’objet comme pratique émancipatrice. Ce n’est qu’en ayant recours à des « dipositifs » de production de nouveaux objets que l’on peut envisager des formes de « résistance » à la ronde des objets.

Notre problématique du sujet s’inscrit dans un contexte social marqué Baudrillard comme

« un mode actif de relation (non seulement aux objets, mais à la collectivité et au monde), un mode d’activité systématique et de réponse globale sur lequel se fonde tout notre système culturel »247.

englobe « la totalité virtuelle de tous les objets et messages constitués

dès maintenant en un discours plus ou moins cohérent » Ce discours est

« une activité de manipulation systématique des signes »248.

Sans ce discours, pas de mise en relation et donc pas de « sens » :

« Pour devenir objet de consommation, il faut que l’objet devienne signe (...) (c’est-à-dire) prenant sa cohérence et donc son sens, dans une relation abstraite et systématique à tous les autres objets-signes »249.

sens : ce qui doit être à la fois produit et consommé par le sujet, c’est la relation à l’objet elle-même.

b) l’usager

La problématique de l’usage va désigner simultanément l’existence et la nécessité d’un écart entre l’injonction à consommer et l’acte

247. Ibid., p. 275. 248. Ibid., p. 276. 249. Ibid., p. 277.

consommatoire lui-même. M. de Certeau et L. Giard250 soulignent la

variabilité qui s’immisce entre le mode d’emploi, qui régit l’incorporation sociale de l’objet et le « braconnage » des pratiques et des usages. Ainsi, invente des pratiques qui ne font que libérer l’objet dans sa fonction.

Or, relève Baudrillard, « tant que l’objet n’est libéré que dans sa

fonction, l’homme n’est libéré que comme usager de cet objet »251.

Globalement aliéné mais « heureux » , cet usager-là vit « le système de

la personnalisation » des objets « comme liberté »252. Aliéné, parce que « dans l’acte de consommation personnalisé, il est clair que le sujet dans son existence même d’être sujet, ne fait que se produire comme objet

par le système socio-économique, est déçu dans le mouvement même qui tend à l’accomplir (...) » .

Heureux, parce que demeure « l’illusion d’une distinction personnelle

» dans la consommation « personnalisée » des objets et que le sentiment de

cette distinction va pouvoir alimenter et satisfaire « l’exigence individuelle

»254

le mouvement fondamental d’une société qui neutralise « le danger que

constitue toujours pour elle (...) l’exigence personnelle » et vise ainsi à « mieux intégrer les personnes »255.

L’usager de M. de Certeau tente d’inventer des formes de « résistance » à la pathologie de la civilisation technicienne. « Bricoleur », badaud,

250. M. de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Préface de L. Giard, 1980, 1990 pour la deuxième édition, Paris, Gallimard., cf. également infra, chapitre 2.

251. J. Baudrillard, op.cit., p. 26 252. Ibid., p. 214

254. Ibid., p. 196 255. Ibid., p. 197

ou braconneur, il s’efforce de ne pas être cet « homme moderne », le

« cybernéticien », « hypocondriaque cérébral, obsédé par la circulation absolue des messages » et des objets256.

De la catégorie de la « résistance » et des ses multiples actualisations dans un « art de faire » quotidien (sur lequel nous reviendrons plus longuement à travers la problématique des documents authentiques, des « matériaux sociaux » et autres objets culturels étrangers « consommés » dans la classe de langue257) on va alors passer à la catégorie du détournement puis à celle du dispositif.

c) Appropriation et détournement

Le détournement peut-il naître du contact entre un usager (consommateur faisant preuve à la fois d’« invention » et de « résistance ») et une machine à communiquer258 ? Pour répondre à cette question, il

convient de distinguer plusieurs éléments.

On ne peut qu’être frappé par le fait que les modes d’appropriation de l’usager traduisent de façon très claire cette « exigence personnelle » que signalait Baudrillard. Du coup, on serait tenté de voir dans de complexes

modalités d’appropriation, des conduites de détournement de ces objets.

Cette tentation signale que les pratiques consommatoires de l’«usager » doivent être plus que jamais envisagées comme des pratiques de production de sens : à travers la relation aux objets et à travers la

256. Ibid., p. 41

257. cf. notamment, ifra, chapitre 2.2.2.1. et 2.2.2.4

258. P. Schaeffer, Machines à communiquer, T.1, Genèse des simulacres, T.2, Pouvoir et communica-

mise en relation des objets entre eux. La consommation (qui désigne à

la fois une pratique et une possession

production d’un système de signes propres au consommateur.

Cette exigence d’appropriation personnalisante et privée fait que la rencontre entre l’usager et ce nouvel objet technique qu’est la « machine à communiquer », donne lieu à l’invention d’une « niche » sans laquelle l’objet ne peut être consommé :

« L’examen des pratiques a montré que l’expérimentation a deux grandes issues (...). L’une est d’adapter l’outil (...) aux « magies familiales ». L’autre conduit au “désenchantement” de l’appareil, c’est- à-dire à son usage fonctionnel. Dans l’un et l’autre cas, les appareils, s’installer dans des “creux”, façonnés par les mythes, les normes et une « différence de potentiel ». Ces « creux » ressemblent, dans le territoire technologisé de la société d’aujourd’hui, aux niches écologiques d’un biotope. »259

La « niche » aurait donc non seulement pour fonction de permettre l’appropriation de l’objet mais, de plus, rentrerait dans une logique d’adaptation sociale en installant « des cardans là où il y a déséquilibres

et cahots »259.

On comprend donc que les pratiques des usagers correspondent à n’indiquent en rien une rupture de la consommation :

parce que la consommation se fonde sur un manque qu’elle est irrépressible »260 concluait J. Baudrillard, il y a vingt-cinq ans.

259. J. Perriault, La logique de l’usage, Essais sur les machines à communiquer 1989, p. 219.

Evaluer la possibilité d’un écart entre l’injonction consommatoire et la consommation elle-même ne peut donc que se traduire par l’exercice d’une vigilance vis-à-vis des modes d’appropriation des objets. Cette vigilance s’exprime d’ores et déjà à l’école par une éducation concernant les modes d’interprétation des objets : on travaille sur l’élucidation et le

décodage des signes auxquels renvoient les objets dans leurs sphères de

production et de circulation.

Deux autres paliers éducatifs peuvent être envisagés :

Une éducation à l’appropriation des objets car l’imposition d’une marque fait partie du processus d’appropriation. On pourrait voirdans le désir d’apposer une « marque » à l’objet, le rétablissement de cette «

médiation gestuelle »261 dont J. Baudrillard signale qu’elle est découragée,

démobilisée par l’objet technique puisque « tout ce qui était sublimé

(donc symboliquement investi) dans le gestuel de travail est aujourd’hui refoulé »262. La marque (graphique, chorégraphique ou langagière) signe

alors un degré d’appropriation de l’objet dans de nouvelles sphères de socialité.

Une éducation à la production de nouveaux objets. Car tout se passe comme si seul le geste de production permettait de sortir de la spirale consommatoire (spirale des projections et des interprétations) et de se replacer dans un principe de réalité.

1.1.4.2. Enrayer la communication et la circulation