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MATERIEL ET METHODES

B) Une place fragilisée

Malgré cette relation de proximité et de confiance, les médecins interrogés étaient déstabilisés dans la prise en charge de leurs malades atteints de cancer. Ils expliquaient être régulièrement confrontés à des sentiments d’impuissance ou de solitude. Le fonctionnement des structures de soins les plaçait dans des situations où ils se sentaient mis à l’écart.

1) Sentiment d’impuissance et transfert vers une situation personnelle

Les médecins exprimaient qu’ils se sentaient parfois révoltés contre cette pathologie au pronostic majoritairement sombre : « ça m'a marqué parce que...elle est jeune, parce que c'est fondamentalement injuste (…) c'était violent quoi, ça s'est passé vite, c'était un pronostic détestable, euh (attente) voilà c'était profondément injuste » (M4).

La gravité de la maladie pouvait les placer dans un sentiment d’impuissance, tant au moment du diagnostic, que dans les situations d’échappement thérapeutique : « et là elle avait une masse de 6 cm, un truc super agressif, donc un sentiment d’impuissance » (M1). La gestion de symptômes réfractaires tels que la douleur pouvait les mettre en situation d’échec : « les patients souffrent beaucoup, on est très limité (…) on arrive à la limite de la médecine »(M6). Ils percevaient alors les limites de leur profession : « et c'est quelque chose qui m’échappe et qui me dépasse (…) on est trop dépassé en médecine, on ne maîtrise pas assez les choses par rapport au cancer » (M4).

Par ailleurs, certains participants évoquaient avoir été amenés parfois à prendre en charge des malades leur rappelant une situation personnelle douloureuse: «ça s’inscrivait dans une histoire personnelle aussi parce qu’elle avait le cancer qui s’inscrit dans ma propre famille (…) qui posait tous les soucis du suivi » (M6). Pour M8, le médecin pouvait parfois se projeter dans la position des malades : « on se projette hein….. c’est con, mais…. C’est une maladie

pour laquelle on va penser à quelqu’un (…) si ils ont le même âge que nous, ou si ils ont l’âge de nos parents ». M6 nous expliquait la nécessité de prendre du recul et de garder son calme dans ces situations.

2) Manque de formation ou d’information ?

Les participants évoquaient que leur manque de connaissances dans le domaine de l’oncologie et des chimiothérapies constituait un obstacle à la prise en charge de leurs malades : « la chimiothérapie c'est un cocktail tellement détonant, que je n'étais pas capable, avec mes connaissances, de faire la part des choses » (M4). Ils déploraient en effet de ne pouvoir être en mesure de répondre aux interrogations de leurs patients : « c'est vrai qu'on a du mal à répondre à leurs questions (…) nous on peut répondre à une demie question sur quatre quoi » (M4).

Au-delà de ces interrogations, ils évoquaient les difficultés de prise en charge de certains symptômes ou effets secondaires des chimiothérapies : « quand tu es chez le patient (…) et il faut que tu gères les effets indésirables de telle chimio, tu ne sais pas si elle peut donner des troubles sensitifs, des machins (…) tu es un peu perdu quoi » (M10).

Ils disaient avoir été peu ou pas du tout formés sur ce sujet pendant leurs formations médicales initiale ou continue. Le manque de temps, une faible attractivité des formations proposées et l’évolution rapide des traitements anti-cancéreux en étaient les principaux freins : « peut-être qu’il y a des formations, mais je n’en ai pas fait, je n’ai pas fait de formation sur ce sujet (…) et à la fac pas du tout » (M1) ; « ce sera compliqué de mettre à jour, il y a tellement de trucs qui sortent » (M8).

Néanmoins, tous les participants de l’étude qui avaient reçu une formation dans ce domaine, ont fait part de leur satisfaction et se disaient plus à l’aise dans leurs prises en charge : « et

encore, j’estime avoir de la chance d’être passée en hôpital de semaine (en structure) (…) ça m’aide aujourd’hui (…) et puis de ne pas avoir peur aussi de…. cette maladie» (M8).

Concernant la gestion des effets secondaires de la chimiothérapie, et plus largement la prise en charge des malades atteints de cancer, les médecins interrogés étaient plus en attente d’une information rapide et adaptée que de détenir des connaissances propres dans ce domaine. Suite aux retards ou à l’absence de courrier de consultation et d’hospitalisation, les médecins généralistes ne connaissaient pas toujours en temps réel le traitement des patients : « ils ont changés à chaque fois le cocktail bien sûr, sans me prévenir hein » (M4). Par ailleurs, il arrivait que certains patients rentrent à domicile après une hospitalisation, dans des contextes précaires, sans que les généralistes en aient été prévenus : « elle était super mal, ils l’ont laissée sortir comme ça sans que moi je sois au courant qu’elle sorte (…) on pourrait nous appeler » (M1).

3) De la mise à l’écart au sentiment de solitude

Pour les médecins interrogés, le diagnostic de cancer faisait rentrer rapidement le patient dans un « système » de soins protocolisés, dans lequel le médecin généraliste n’était pas forcément inclus. Certains d’entre eux en avaient une vision assez positive, relevant que l’organisation des structures d’oncologie pouvait être performante, leur permettant de ne pas avoir à prendre en charge des situations médicales délicates et très spécifiques : « ils sont là quand il y a un effet secondaire et ils appellent, les malades appellent et on leur répond » (M9). Plusieurs médecins interrogés louaient la disponibilité des oncologues envers les patients : «je pense qu’ils sont assez disponibles pour leurs patients (…) qui ont le réflexe de … l’appeler lui »(M2).

Tous admettaient néanmoins que ce fonctionnement entrainait une forme de « perte de vue » des malades : « parce qu’ils sinon sont quand même très englobés dans un…hôpital de jour, avec des rendez-vous de suivi etc. … donc quand ça se passe à peu près bien on ne les voit pas » (M1). Certains médecins regrettaient ainsi cette organisation. Ils dénonçaient la monopolisation des patients et exprimaient un sentiment de mise à l’écart dans la prise en charge : « t’as l’impression que tu fonctionnes dans deux sphères différentes en fait. Que eux ils fonctionnent de leur côté et toi du tien » (M3).

Cet éloignement ressenti du médecin traitant dans la prise en charge n’était pas uniquement lié à l’organisation des unités d’oncologie. Le maintien du contact avec le généraliste pouvait être très hétérogène selon les patients : « parce que pour un même oncologue, il y a des patients qui viennent me voir et des patients qui ne viennent pas me voir » (M2).

Cette mise à l’écart de la prise en charge pouvait mettre les médecins généralistes dans des situations délicates lorsqu’ils étaient à nouveau confrontés à leurs malades. Ils pouvaient alors éprouver un sentiment de solitude.

Les participants regrettaient la transmission tardive ou incomplète des informations par les oncologues. Ils déploraient en effet les retards dans la réception des courriers de consultation et d’hospitalisation. Régulièrement, les informations leur étaient fournies par les patients eux-mêmes, avec une qualité d’information très aléatoire : « y’en a qui ont leur double de dossier donc ils savent nous montrer » (M3) et peu fiable : « on a zéro information sauf les informations que nous donnent le patient » (M4).

Les médecins étaient donc souvent amenés à soigner à l’« aveugle » les malades : « je ne sais pas à quel moment je suis de la prise en charge, quand j’interviens » (M7).

Pour les médecins interrogés, les patients les sollicitaient, dans le cadre de leur cancer, surtout en dehors des heures ouvrables des unités d’oncologie. Une notion d’urgence émanait alors de ces consultations : « mais quand ça ne se passe pas bien, et que c’est le soir, ou la veille d’un week-end, le vendredi à 16h, c’est nous qu’ils appellent (…) on les voit (…) quand il y a une urgence » (M1).Les médecins généralistes étaient alors dans une situation d’isolement, avec souvent de grandes difficultés à joindre les spécialistes pour obtenir des conseils ou une conduite à tenir : « on est seul avec le patient » (M10) ; « je me suis sentie extrêmement seule (…) voilà… démunie et avec un sentiment de grande solitude » (M1). Cette sensation de solitude était particulièrement importante lorsque l’état de santé des malades était préoccupant et que les médecins rencontraient des difficultés à faire hospitaliser leurs malades : « Je dirai les problèmes que j’ai, les problèmes les plus compliqués que j’ai eu, je pense que c’est pour faire ré-hospitaliser euh… des gens qui étaient pas bien » (M2). M1 relatait s’être résolue à laisser à domicile des patients en situation inconfortable, devant l’absence de possibilité de les hospitaliser dans leur unité d’oncologie. Elle ne souhaitait pas non plus leur imposer de longues attentes dans des services d’urgences. Cette situation avait été très mal vécue.

Cette mise à l’écart de la prise en charge, couplée au manque d’information et à la sensation de n’être sollicité que faute de mieux, pouvait susciter un sentiment de frustration chez les médecins interrogés : « Bah disons qu’on n’est pas le premier recours, quoi … on est toujours le deuxième recours là pour essayer de boucher les trous en fait (…) c’est quand même pas une super bonne position » (M3). M9 dénonçait quant à lui la moindre implication des oncologues à l’arrêt des traitements anticancéreux et avait l’impression de se voir

« déléguer » la suite de la prise en charge de malades très altérés : « ils nous les renvoient parce qu’on ne peut plus rien faire » (M9).

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