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Une méthode enracinée dans l’objet de la recherche

Chapitre 1. Présentation de la thèse Considérations théoriques et méthodologiques

1.3 Cadre théorique et méthodologie

1.3.1 Une méthode enracinée dans l’objet de la recherche

l’organisation de l’éducation est complexe. Cette institution coexiste avec d’autres entités dans une société où les systèmes sont différenciés fonctionnellement ou déterminés par des codes de symboles généralisés qui créent de la contingence. Lorsqu’on observe l’évolution du système d’éducation sur une longue période, sous l'angle de la conception que nous avons de l’éducation, les grandes orientations constituées en systèmes d’idées ne se substituent pas les unes aux autres, pas plus qu’elles ne se remplacent, selon Niklas Luhmann. Ces grandes orientations ou formules de contingences se superposent.

Notre démarche a été inductive plutôt que déductive. Nous avons observé des cas particuliers, des systèmes d'éducation en enseignement supérieur, à partir d'études comparatives et nous avons fait certaines observations. Nous avons ensuite utilisé un cadre théorique et des outils méthodologiques pour présenter notre

raisonnement. Nos observations ont conduit à l'élaboration de la méthodologie, comme une construction qui nous permet d'expliquer ce que nous avons observé.

La détermination de l'objet de recherche s'est précisée au fil de la démarche. En ce sens, nous nous sommes beaucoup inspirés de la théorie enracinée dont le but principal est de laisser une plus grande place possible, dans le processus de la recherche, à l'innovation et à l'émergence de nouvelles théories par opposition à l'approche hypothético-déductive qui place l'objet de recherche dans un cadre théorique préétabli.

Pour réaliser une réflexion en profondeur sur des phénomènes observés, nous devons prendre du recul et les situer par rapport au temps. Comme Boudon l’indique, à partir du moment où un phénomène est indexé par rapport au temps, il ne s’agit pas de le rentrer dans une théorie générale du changement social, mais plutôt de comprendre le processus du changement qu’il intègre. Chaque phénomène doit être compris et expliqué pour ce qu’il est, situé et daté en fonction de son époque, de son environnement, des acteurs impliqués et des effets de contingence, de communication, d’autorité, de position, de disposition.

L’histoire des sciences sociales étant ce qu’elle est, il n’est peut-être pas inutile d’insister sur le fait que les mécanismes du changement sont variables d’un processus à l’autre, et que les outils conceptuels utiles à l’analyse du changement dépendent du processus qu’on considère. Réciproquement, aucune théorie générale ou prétendue telle du

changement ne saurait a priori proclamer sa supériorité lorsqu’il s’agit d’expliquer tel ou tel processus particulier.96

Au cours des dernières années, l'étude de diverses approches méthodologiques a montré une variation des stratégies de recherche (la théorie enracinée ou Grounded Theory, l'étude de cas, les méthodes historiques et biographiques, l'ethnographie dans l'action et la recherche clinique), notamment dans l'étude des phénomènes sociaux et humains. Cette transformation conduirait à un pluralisme méthodologique au nom de la diversité des objets des sciences sociales et humaines et mettrait en évidence la nécessité d'adapter les méthodes à leur spécificité. Ainsi, la singularité de l'objet, sa complexité et la prise en considération du caractère interactif des conduites humaines et sociales orientent les recherches.97

Pour Marta Anadon, le paradigme de la postmodernité valorise les approches herméneutiques centrées sur la subjectivité. Elle défait, du même coup, le mythe de la neutralité analytique parce que le nouveau paradigme implique un travail de dialogue constant entre les visions du monde du chercheur et celles des participants dans la quête de la compréhension du monde.98 Les questions sont donc posées, comme une suite d’observations et de faits colligés, puis reliées, petit à petit, à des concepts. Un processus qui demeure inachevé, mais qui permet de décrire une

96 Raymond Boudon, La place du désordre : Critique des théories du changement social. Paris, France

: Presses universitaires de France, 1984, p. 138.

97 Marta Anadon, La recherche dite « qualitative » : de la dynamique de son évolution aux acquis

situation difficile à cerner, dite complexe, comme celle que nous examinons dans cette thèse.

Les méthodologies de la recherche en sciences sociales et humaines sont directement interpellées par ces observations sur les paradigmes et la position du chercheur. Dans Les acquis de la recherche qualitative, Marta Anadon dresse un portrait et montre la variété des différentes approches méthodologiques qui permettent au chercheur de recueillir des données et de colliger ses observations.99

Tableau 2. Un aperçu de la diversité des concepts utilisés en recherche qualitative

Questions et

concepts Approche Source collecte des données Instruments de Critères de rigueur

Question autour des significations : expliciter le sens de l’expérience et du vécu des acteurs

Phénoménologie Philosophie Entretiens, récits de vie et de pratique, incidents critiques.

Self-report Description détaillée Confirmation Confrontation des données Place de la subjectivité dans l’interprétation Questions descriptivo interprétatives : valeurs, idées, représentations, pratiques des différents groupes, culture Ethnographie

Analyse narrative Anthropologie, linguistique

Entretiens non directifs et semi-directifs, observation participante, notes de terrain

Crédibilité Immersion dans le terrain Triangulation Principes éthiques Questions autour du processus : expérience dans le temps, changements, étapes, phases Théorisation ancrée Sociologie (interactionnisme symbolique)

Gestes, discours, échanges symboliques

Entretiens, observations

Analyses comparatives et constantes

Le cadre conceptuel retenu pour la présente recherche fait donc intervenir des approches qui découlent de la sociologie, de l'anthropologie linguistique, des sciences de l'éducation, de la philosophie. Il met notamment en évidence les

99 Marta Anadon, La recherche dite « qualitative » : de la dynamique de son évolution aux acquis

concepts suivants : les systèmes différenciés fonctionnellement, la modernité, les référentiels symboliques, la complexité et le changement.

Ces approches sont complémentaires sur le plan épistémologique. La complexité des questions de recherche ne peut être pensée qu’en collaboration avec toutes les disciplines connexes qui apportent des éléments d’explications significatifs et clairement définis. Comme Boudon le souligne : « les frontières qui séparent ces disciplines sont très instables. [...] L’originalité de chaque discipline se situe plutôt au niveau de certaines habitudes de pensée ».100

1.3.2 L’évolution de la société selon la théorie des systèmes