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L’éducation à la citoyenneté

Chapitre 1. Présentation de la thèse Considérations théoriques et méthodologiques

1.2 Recension des écrits

1.2.3 Conception de l’éducation au Siècle des lumières

1.2.3.2 L’éducation à la citoyenneté

L’éducation à la citoyenneté est présentée, par Condorcet, comme étant un apprentissage de la citoyenneté éclairée et des droits de l’homme. Cette composante de l’éducation porte sur l’apprentissage des droits et des devoirs. Condorcet la positionne après le développement de la morale chez l’élève. Sous cette réserve, l’éducation à la citoyenneté est étroitement liée au développement des sentiments moraux qui peuvent être éveillés à l’école et dans les autres espaces éducatifs.

Deux conditions majeures s’appliquent à l’apprentissage de la citoyenneté : dans un premier temps, les droits et les devoirs ne sont pas immuables. L’éducation à la citoyenneté passe inéluctablement par la critique des droits et des devoirs. En second lieu, elle correspond à un projet de société dans lequel sa place est bien définie. Les lois sont faites non pas pour devenir éternelles, mais pour être révisées

puis intégrées. Elles sont fondées sur des droits et des devoirs qui doivent porter en eux un statut universel. L’instruction publique a pour mission de faire connaître par une éducation civique raisonnée et critique les droits et les devoirs des citoyens.

L’éducation, celle qui inclut les droits des parents, la morale et le fonctionnement en société, ne devrait pas être assumée par l’instruction publique. À l’école comme dans d’autres espaces éducatifs, il faut parler aux hommes et aux femmes des droits communs à tous. Il ne faut pas cesser de leur parler de cela. Les inégalités sont créées par une mauvaise répartition de la diffusion des connaissances et la transmission d’un modèle de savoir douteux qui ne donne pas accès à la liberté, à l’autonomie et aux « lumières ». Il y a une distinction à faire entre l’égalité instaurée et déclarée par le droit et par la loi, puis l’égalité de fait revendiquée lors d’une situation de ressentiment et de jalousie. « On ne s’interroge jamais sur la question de savoir quelles sont les inégalités relevant d’une cause sociale, quelles sont celles qui relèvent de la jouissance d’un droit naturel : toute inégalité est présentée comme un mal qu’il faut éradiquer. »55

Condorcet démontre non seulement pourquoi la société doit au peuple une instruction publique, mais aussi qu’un degré minimum d’instruction est essentiel pour éviter que les connaissances deviennent propriété et engendrent la tyrannie. La recherche de la vérité et la perfectibilité de l’humanité sont nécessaires à l’exercice de la citoyenneté. Condorcet veut que le citoyen puisse exercer son rôle politique en toute autonomie et qu’il évite de remettre sa voix pour le destin de la nation entre les

mains d’une autorité abusive. Il décrit le citoyen idéal qui, pour atteindre la perfection, doit faire preuve de qualités vertueuses comme le désintéressement et l’impartialité. Le citoyen qui possède ces qualités a plus de chance de résister au charlatanisme.

En outre, la démocratie n’est pas hors d’atteinte de tout ce qui peut conduire à une situation de domination. La démocratie peut perdre de vue sa raison d’être si les hommes ne peuvent utiliser leur raison pour faire un choix éclairé. Il faut préserver l’esprit critique : « Croit-on que la liberté pût longtemps subsister, même dans les lois? Combien n’est-il pas aisé de l’anéantir par des institutions qui auraient l’air de la conserver? »56 Les lois et les institutions ne sont pas éternelles, elles sont faites

pour être améliorées.

La formation du citoyen politique autonome est le point de départ de la souveraineté d’un peuple, au sens où l’entend Condorcet. L’instruction publique favorise la continuité entre la raison individuelle et la raison commune. Il constate néanmoins que la démocratie peut prendre des formes nuisibles à ses dessins de recherche de la vérité, d’action raisonnée et d’inclusion totale. Ce qu’il considère comme étant la démocratie directe est peu souhaitable parce qu’elle permet la prise de décision hâtive et non raisonnée ou la simple expression d’une volonté de groupe. « La loi n’est pas l’expression directe de la volonté d’un groupe, fût-il unanime : elle est le résultat d’une réflexion sur sa propre nécessité et engage par là le concept

d’humanité. »57 Il mise essentiellement sur un peuple souverain qui peut reconnaître

l’erreur et chercher à se délivrer de son asservissement. Condorcet a voulu qu’il n’y ait pas que la démocratie, mais que l’individu puisse réfléchir à la pratique de la démocratie dans la République.

Nietzsche fait aussi cette distinction entre deux individualités : l’une vise à faire se développer chez l’individu la personnalité, la pensée, l’autonomie. L’autre permet la mise en œuvre du principe d’individuation dans la pédagogie comme structure de la connaissance et modèle d’apprentissage.58

Nous croyons que pour Condorcet cela se traduit dans l’exercice de la citoyenneté et de la démocratie. L’individu, par essence, vise à se distinguer. Il a un caractère individuel, il a une voix qui lui est propre. Cela, l’éducation doit en tenir compte.

La perfectibilité de l’humanité renvoie à la possibilité d’une nature humaine imparfaite qui peut s’améliorer, se perfectionner, par l’éducation. L’individuation est donc une procédure collective de formation. L’organisation de la formation dans une société pluraliste s’appuie sur le principe d’une individualité à faire émerger et sur l’organisation de ce que les individus ont en commun. C’est en ces termes que

57Ibid., p. 21.

Nietzsche conçoit le sens individuel et collectif de l’individuation aux fondements de l’éducation.59

Selon le modèle de Condorcet, dans une société civilisée, l’activité d’éduquer les citoyens pour que ces derniers l’améliorent est implicite; d’où l’idée de progrès. L’éducation est donc étroitement associée à l’idée de progrès aussi dans cet objectif de garantir l’autonomie du sujet dans la civilisation plutôt que de l’asservir aux systèmes politique, social, culturel et économique, qui constituent la société.

L’autonomie du sujet s’acquiert par la connaissance de ses droits et de ses devoirs puis elle se réalise dans l’exercice de la citoyenneté par la raison éclairée. Chaque individu doit porter en lui le désir d’exercer son droit de citoyenneté. Les droits et les devoirs des individus ne peuvent être respectés que pour chaque individu pris séparément et non pas pour des collectivités. Chacun exerce son rôle de citoyen. Les droits de l’homme sont fondés sur cette préoccupation de l’individu avant le collectif. Ce n’est pas un égoïsme qui rejette le bien de la collectivité. C’est un acte collectif en ce sens que l’individu — instruit, autonome, libre — juge de la situation en fonction des intérêts de l’être humain en société. De ce point de vue, il a à cœur les intérêts de la collectivité sans parti pris.