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Une liberté d’expression utilisée à mauvais escient

Dans le document Les lycéens et leurs droits (Page 47-52)

A. Focus group : définition et déroulement du dispositif

3. Une liberté d’expression utilisée à mauvais escient

A la question 3, « Avez-vous des exemples précis où les lycéens revendiquent un droit qu’ils

n’ont pas ? » les réponses sont diverses.

La question porte sur des exemples de droits que les lycéens revendiquent alors qu’ils ne les ont pas forcément. Mais un constat peut être établi : ce sont surtout des droits individuels qui font l’objet de revendications lycéennes. Le sujet sensible et épineux de la liberté d’expression est abordé ici. De nombreux membres de la communauté éducative, des enseignants notamment, citent des exemples selon lesquels les élèves s’octroient pleinement le droit de dire les choses telles qu’ils les pensent, sans aucun respect des cadres et des normes. Or, comme le faisait remarquer Jérôme lors de l’entretien individuel, la liberté d’expression64 n’est pas un droit lycéen, si ce n’est dans ses déclinaisons : droit de publication et d’affichage. Cependant pour beaucoup, elle apparaît ici comme un droit que les élèves vont revendiquer, mais sans réellement en comprendre les tenants et les aboutissants, les limites à ne pas franchir, etc… Or cette liberté est très cadrée, très normée65. Et encore plus à l’ère du numérique, où l’information, bonne ou mauvaise, se propage à une vitesse extrêmement rapide. Les textes sont très précis sur les communications écrites ou possiblement enregistrées.

64 La liberté d’expression est un droit fondamental, consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen de 1789 qui énonce : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi »

65 Notamment avec la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux. Loi n° 2004-228 du 15 mars

2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

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L’Education nationale encourage l’apprentissage de la liberté d’expression par les élèves, particulièrement en favorisant la création de médias scolaires au sein des établissements. Elle met également à disposition des membres de la communauté éducative de très nombreuses ressources permettant de créer des activités pédagogiques avec les élèves, afin de les éduquer à la liberté d’expression. L’encadré suivant permet cependant de montrer que la liberté d’expression, clairement définie par l’Education nationale, est toutefois très cadrée et bornée par certaines limites, en raison notamment de l’augmentation de l’usage d’internet.

Extrait de la page internet « Eduscol » portant sur la liberté d’expression et ses limites

En France, la liberté d’expression est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En revanche, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et elle se trouve affectée de nombreuses limites que les internautes ne doivent pas ignorer.

La liberté d’expression est un droit fondamental. Ses limites sont des exceptions qu’il est parfois difficile de cerner et qui évoluent avec le temps et les usages.

Il n’est donc pas ici question de brider la liberté d’expression de quiconque, enseignant, personnel non enseignant, chef d’établissement, élève ou parent, mais d’effectuer un rappel des limites fixées par la loi. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Le principe est ainsi posé mais encore faut-il connaître les limites. Celles-ci sont relativement nombreuses du fait du nombre d’exceptions spécifiques touchant au statut particulier des personnes (devoir de réserve, par exemple) ou à la nature des informations concernées (secret médical, secret défense). On peut néanmoins citer quelques règles d’ordre général :

Limite 1 - Ne pas porter atteinte à la vie privée et au droit à l’image d’autrui (pour des précisons complémentaires voir les fiches « Vie privée et internet » et « Image et vidéo »).

Limite 2 - Ne pas tenir certains propos interdits par la loi : l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre ou du terrorisme, les propos discriminatoires à raison d'orientations sexuelles ou d'un handicap, l’incitation à l'usage de produits stupéfiants, le négationnisme. Limite 3 - Ne pas tenir de propos diffamatoires : la diffamation se définit par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Il est possible pour se défendre d’une accusation de diffamation d’invoquer l’exception de vérité, c’est-à-dire de rapporter la preuve de la vérité de ses propos (sauf si la diffamation concerne un élément de la vie privée).

Limite 4 - Ne pas tenir de propos injurieux : l’injure se définit comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.

Limite 5 - Il existe également des limites spécifiques telles que le secret professionnel, le secret des affaires et le secret défense qui interdisent la publication et la divulgation de certaines informations. Limite 6 - Certaines personnes, en raison de la fonction qu’elles occupent, sont tenues à un « devoir de réserve ». C’est le cas des fonctionnaires qui doivent exprimer leurs opinions de façon prudente et mesurée, de manière à ce que l’extériorisation de leurs opinions, notamment politiques, soit conforme aux intérêts du service public et à la dignité des fonctions occupées. Plus le niveau hiérarchique du fonctionnaire est élevé, plus son obligation de réserve est sévère.

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Mais visiblement, ce qui transparaît des entretiens avec les personnels éducatifs, et plus particulièrement avec les enseignants, c’est que l’élève pense que la liberté d’expression lui permet de tout dire, de dire ce qu’il pense, de dire comme il le pense, et de le dire quand il en a envie (Pierre s’interroge sur le limite à ne pas franchir : « jusqu’où peut-on aller ? Les

élèves pensent qu’ils ont le droit de tout dire » (Livret d’annexes p.27). Les lycéens pensent

que « leur liberté de ton n’est pas tolérée » (Livret d’annexes p.15), mais « ils ne se rendent

souvent pas compte que la manière dont ils nous parlent n’est pas la même par exemple que celle que l’on utilise » (Livret d’annexes p.19). Certains élèves s’octroient « le droit de contester un professeur » (Livret d’annexes p.24), de donner leur avis. Mais cela relève-t-il

d’un droit fondamental bafoué ou tout simplement de règles de politesse et de savoir vivre ?

Remarque : A noter une nuance dans les réponses recueillies : les enseignants, ceux qui sont

donc en contact direct avec les élèves, mettent en avant les revendications relevant de la liberté d’expression dans toutes ses nuances. En revanche, si l’on se place du côté des chefs d’établissement, les deux proviseurs interrogés pointent du doigt une même revendication : les élèves se donnent le droit de faire grève et de « bloquer le lycée » en mettant « en place un

barrage de poubelles » (Livret d’annexes p.17 et p.21)

A l’issue de cette première étape dans le protocole de recherche, la proposition 3 selon laquelle les lycéens ont une perception erronée de leurs droits qui trouverait sa source, soit dans la méconnaissance des droits, soit dans un sentiment d’injustice exacerbé, apparaît alors validée par les dires des membres de la communauté éducative. Nous verrons dans la section suivante si elle est validée par les dires des élèves.

Afin de connaître la perception du lycéen lui-même par rapport à ses droits, il me restait alors à interroger les élèves directement. Les focus group organisés avaient pour objectif de répondre à la question de recherche tout en essayant de valider ou d’invalider les hypothèses de travail émises au préalable.

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Section 3 : Résultats, analyse et discussions des focus group

réalisés auprès des élèves.

Les deux thèmes abordés lors de ces focus group sont les droits lycéens et la participation lycéenne. Ces deux appellations sont utilisées pour traiter d’un seul et même sujet : les quatre droits collectifs dont les lycéens peuvent se prévaloir : le droit d’affichage et le droit de publication (également appelés droits d’expression), le droit de réunion et le droit d’association.

Remarque préalable : Les deux focus group qui ont été réalisés ont des similitudes et des

différences dans leur contenu et dans leur déroulement :

- Les deux focus group ont été réalisés dans l’enceinte de l’établissement scolaire, dans une salle de classe mais en-dehors des heures de cours.

- Le premier focus group s’est déroulé avec des élèves de ma classe, ils étaient au nombre de 11 et nous nous connaissons depuis le mois de septembre. Le second focus group était composé de participants au nombre de trois (un des élèves sélectionnés n’a pas pu venir le jour de la séance), ont été sélectionnés par ma collègue professeur de français, et sont issus de deux classes différentes (deux d’entre eux se connaissaient mais pas le troisième). Nous n’avions eu alors aucun contact préalablement à ce focus group.

- Certains participants ont plus monopolisé la discussion que d’autres.

D’un point de vue d’une analyse lexicale succincte66, les mots les plus utilisés par les participants ne sont pas les mêmes dans les deux groupes :

66 Pour pouvoir réaliser cette analyse lexicale, le logiciel Trope a été utilisé. L’objectif était de faire émerger les

termes les plus utilisés par les participants aux deux focus group dans le but de mettre en évidence des concordances ou des différences dans le lexique utilisé.

47 Mots utilisés Nombre d’utilisation par les participants Focus group 1 professeur 43 fois élève 24 fois cours 14 fois Focus group 2 droit 49 fois élève 37 fois lycée 31 fois

A la simple lecture de ce tableau, on peut déjà anticiper le fait que les thèmes abordés lors de ces groupes d’expression ne seront peut-être pas envisagés sous les mêmes angles :

- Focus group 1 : On peut déduire que la notion de droit va se dérouler dans le

cadre des relations avec les professeurs, dans le cadre de la classe.

- Focus group 2 : On peut en déduire que les élèves se placent plus à l’échelle de

l’établissement scolaire qu’à l’échelle de la classe, en tant que lycéen plus qu’en tant qu’élève.

Cette différence dans le traitement des thèmes proposés vient vraisemblablement du fait que les élèves du premier focus group sont mes propres élèves, et ont donc inconsciemment mis en avant les relations « élèves-professeurs », alors que le deuxième focus group a été réalisé avec des lycéens que je ne connaissais pas au préalable et qui pour certains ne se connaissaient pas entre eux non plus. Le thème des droits lycéens a donc été abordé sous deux angles différents : un dans les relations « élèves-professeurs » et l’autre dans le cadre du « lycéen sujet de droit ».

Les idées et opinions qui ont émergés de ces deux groupes d’expression sont donc différentes selon les lycéens interrogées mais sur deux points, le constat est unanime : les lycéens méconnaissent totalement leurs droits et ressentent un sentiment d’injustice parfois très fort. Pour eux, il existe peut-être des droits dans les textes, dans la loi, mais dans les faits, la réalité est bien différente.67

67 Cette idée rejoint le concept issu des travaux de recherche selon lequel les lycéens ont « des droits dans les

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