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Une instabilité génétique liée aux réarrangements chromosomiques

IV. Le genre Streptomyces

IV.6 Une instabilité génétique liée aux réarrangements chromosomiques

L’instabilité génétique est un phénomène que l’on retrouve dans l’ensemble du monde vivant. Cependant cette instabilité est particulièrement forte chez les bactéries du genre Streptomyces. Chez la souche S. ambofaciens, l’instabilité génétique apparait à une fréquence de 1% lorsqu’elle est cultivée sur gélose solide en conditions de laboratoire. Cette instabilité génétique affecte le processus de différentiation cellulaire (dépigmentation des spores), l’expression du métabolisme secondaire ou la réponse aux changements environnementaux. Une augmentation drastique de la fréquence de

63 l’instabilité génétique chez la descendance des mutants issues des souches sauvages a également été rapportée. Cette instabilité passe à 25% chez la descendance des mutants issus de la souche sauvage de S. lividans (Altenbuchner & Cullum, 1985) et à 87% chez celles des mutants issus de la souche sauvage de S.ambofaciens (Leblond et al., 1989). Seuls 13% des mutants instables donnent une descendance ayant un phénotype homogène. Cette instabilité également décrite chez d’autres espèces du genre Streptomyces (Birch et al., 1989), est directement liée à l’observation des évènements de réarrangements génomiques (Leblond et al., 1990; Birch et al., 1991). Ces réarrangements sont soit des délétions, des translocations, des circularisations ou des amplifications et surviennent généralement au niveau des régions subterminales.

L’analyse des évènements de réarrangements survenant au niveau subterminal a permis de démontrer que les réarrangements entrainant la circularisation du chromosome intervenaient de façon spontanée chez plusieurs espèces de Streptomyces (Fischer et al., 1997; Kameoka et al., 1999; Inoue

et al., 2003). Les mutants ayant subi ces réarrangements se caractérisaient par de grandes délétions

au niveau des deux bras englobant les TIR pouvant atteindre 2,1 Mb ; ce qui représente environ un quart du génome de ces bactéries. La circularisation observée résulte d’une recombinaison illégitime entre les deux extrémités du chromosome délété. De même des réarrangements observés chez deux mutants spontanés de S. ambofaciens a permis de mettre en évidence une taille de TIR plus élevée (480 kb et 850kb) (Fischer et al., 1998) comparée à la souche sauvage (210 kb) (Leblond et al., 1996). Cette diversité dans la taille des TIR résulte de la délétion d’un des bras entrainant son remplacement par le second bras. Cet événement a pu se produire grâce à la recombinaison homologue entre deux gènes codant pour le facteur sigma (HasR et HasL) situé chacun sur un de bras du chromosome et partageant 99 % d’identité au niveau nucléotidique (Fischer et al., 1998; Figure I15). Des évènements similaires ont également été décrits chez Streptomyces griseus impliquant une recombinaison entre deux gènes codant pour des lipoprotéines (Uchida et al., 2003) ainsi que chez Streptomyces coelicolor A3(2) entre deux transposons (Widenbrant et al., 2007)). Wenner et al., (2003) ont également rapporté un autre type de réarrangement chromosomique dans lequel la perte d’un bras du chromosome est réparée par une fusion avec une autre copie du chromosome ayant perdu le même bras. Cette structure dupliquée entre dans un cycle de transmission de l’instabilité génétique à sa descendance. L’héritage de cette instabilité confère à la descendance un état mutateur conduisant à la génération de la diversité génétique et phénotypique au sein de la population. La perte de la duplication par contre constitue une sortie de cet état d’instabilité avec la production de chromosome possédant une grande variabilité dans la longueur des TIR (Wenner et al., 2003).

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Figure I15 : Représentation schématique de la recombinaison ectopique entre les loci hasL et hasR de

deux copies sauvages du chromosome de S. ambofaciens, engendrant une première version du chromosome avec des TIR de 480 kb et une seconde version avec des TIR de 850 kb (Fischer et al., 1998).

L’amplification d’ADN chromosomique a pu être observée chez plusieurs espèces de Streptomyces. Il s’agit de mécanismes qui engendrent des répétitions en tandem d’un locus donné en plusieurs dizaines de copies. Ce phénomène largement répandu dans le monde bactérien n’est pas que l’apanage des

Streptomyces. Cependant dans les génomes des souches de Streptomyces la fréquence d’amplification

est beaucoup plus importante, le nombre de copies générées y est également beaucoup plus élevé (pouvant atteindre des centaines) et l’amplification s’accompagne souvent de la formation d’une grande délétion (Young & Cullum, 1987). L’amplification n’implique dans ces souches que certains loci particuliers appelés unités amplifiables d’ADN (AUD) (Demuyter et al., 1988). Il s’agit généralement de structures contenant des répétitions ; Les gènes de type PolyKetide Synthase (PKS) sont particulièrement favorables à ce type de recombinaison de par leur nature redondante avec des domaines codant des activités enzymatiques fortement homologues dans les gènes de biosynthèse. Pour exemple, on peut citer le cluster de synthèse de la kanamycine chez S. kanamycetius (Yanai et al., 2006), celui de l’actinorhodine chez S. coelicolor (Widenbrant et al., 2008) et celui des caroténoïdes chez S. albus (Myronovskyi et al., 2014).

Dans une récente étude, Hoff et al., (2018)) ont démontré l’implication de la cassure double brin dans la plasticité du génome chez Streptomyces. En effet, alors que la réparation de la cassure double brin dans la partie centrale du chromosome est mutagène et conserve la structure globale du chromosome, elle induit par contre la perte du bras correspondant ainsi que des délétions extensives au-delà du point de cassure lorsque cette dernière intervient au niveau de l’un des bras. Alors que cette étude pointe le rôle central joué par la recombinaison homologue dans la réparation des cassures double brin, elle démontre également l’implication de la recombinaison non homologue (NHEJ : Non

Homologous End Joining) dans les réparations mutagènes ainsi que dans de grands réarrangements

chromosomiques comme la circularisation du génome. Cette réparation des cassures double brin par la recombinaison non homologue étant concomitante à l’intégration de nouveaux matériels géniques

65 au point de réparation de la cassure. La réparation de la cassure double brin au sein du chromosome favoriserait alors la plasticité du génome et serait impliqué dans l’évolution chez Streptomyces ; la recombinaison non homologue jouerait aussi un rôle important dans le transfert horizontal (Hoff et

al., 2018).