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Les barrières au transfert de gène

III. Les mécanismes d’évolution et de dynamique des génomes chez les bactéries

III.2 La dynamique du génome bactérien

III.2.2 Les barrières au transfert de gène

Plusieurs mécanismes peuvent limiter le transfert, le maintien et l’expression de l’ADN exogène chez la bactérie réceptrice.

III.2.2.1 Les barrières au transfert de gène

Le succès du processus de transfert d’ADN entre deux organismes dépend fortement de leur situation spatiale et temporelle, l’une par rapport à l’autre dans leur habitat, ainsi que de leur capacité à pouvoir interagir entre eux et avec leur environnement (Vos et al., 2013). Le contact physique de la donatrice et de la réceptrice est nécessaire dans le processus de conjugaison. Dans le cas de la transformation, la condition sine qua non reste la persistance dans l’environnement de l’ADN sous forme libre (qui peut également provenir de la lyse des cellules sœurs non compétentes par celles compétentes (Claverys

et al., 2007)) et dela concordance entre cette persistance et l’état physiologique de compétence de la

bactérie (Nielsen et al., 1998; Cohan, 2002b).

Des barrières mécanistiques telle que l’exclusion membranaire peuvent également empêcher le transfert du matériel génétique entre les bactéries. Ainsi, chez la bactérie E. coli, la synthèse des protéines issues de l’expression des gènes traS et traT empêchent la fixation du pilus nécessaire au transfert du matériel génétique par conjugaison (Achtman et al., 1980). L’expression de ces deux protéines transforme les cellules en mauvaises réceptrices d’ADN vis-à-vis des autres cellules exprimant les mêmes gènes tout en restant bonnes donatrices. La protéine TraT produit l’exclusion de surface en inhibant la formation des agrégats de conjugaison et TraS inhibe quant à elle le transfert d’ADN au sein d’un agrégat de conjugaison déjà formé.

Dans le cas de la transduction, l’étape initiale et nécessaire au transfert de l’ADN viral dans la cellule hôte reste l’adsorption du bactériophage à la surface de cette dernière. Le bactériophage a donc

47 besoin de reconnaitre spécifiquement des récepteurs, sur la surface de l’hôte, à ses protéines de liaison (RBPs) (Achtman et al., 1980). L’expression stochastique des récepteurs, la mutation des gènes responsables de leur synthèse ou l’expression des protéines de surface chez l’hôte camouflant ces récepteurs sont autant de facteurs pouvant inhiber la fixation du bactériophage et donc limiter le transfert du matériel génétique (Samson et al., 2013).

III.2.2.2 Les barrières à l’intégration et au maintien

Les barrières à l’intégration et au maintien de l’ADN dans la cellule réceptrice peuvent être multiples. Les systèmes de « restriction-modification » (RM) ont émergé au cours de l’évolution à cause du risque très élevé que représentent les phages pour les bactéries (Oliveira et al., 2016). Les enzymes de restriction réduisent considérablement l’absorption d’ADN étranger par les bactéries. Cela réduit considérablement l'acquisition de gènes étrangers à des niveaux tolérables. Ils coupent en fragments des molécules d’ADN étrangères lors de leur pénétration dans les bactéries réceptrices (Arber, 2000). Les systèmes RM reconnaissent une séquence donnée de 4 nucléotides ou plus au niveau de l’ADN entrant. L’état de méthylation de l’ADN entrant permet également à ce système de réaliser une discrimination entre ce dernier et l’ADN de l’hôte. Dans cette lutte perpétuelle entre les bactéries et les phages, ces derniers vont muter la séquence reconnue par les systèmes RM, échappant ainsi à la dégradation lors de l’infection. Les bactéries quant à elles vont aussi muter en augmentant le niveau de reconnaissance de leur système élargissant ainsi le panel de séquences reconnues par le système RM qu’elles portent.

Le système CRISPR-Cas (clustered regularly interspaced short palindromic repeats-CRISPR-associated

proteins) est un autre moyen de défense des bactéries contre l’intégration de l’ADN exogène dans leur

génome (Barrangou et al., 2007; Marraffini & Sontheimer, 2008). Le système CRISPR-Cas est composé de courtes répétions (24 à 48 nucléotides) séparés par des séquences uniques de même taille appelées « spacer » (Grissa et al., 2007; Sorek et al., 2008), le tout flanqué des gènes codant pour des protéines (CRISPR-associated (cas) proteins) (Haft et al., 2005; Barrangou et al., 2007) qui fournissent le mécanisme enzymatique nécessaire à l'acquisition de nouveaux « spacers » à partir de l’ADN entrant ainsi qu’à la dégradation de ce dernier (Richter et al., 2012). C’est un système qui agit comme une mémoire proto-immunologique de la bactérie suite à un premier contact avec un phage ou avec de l’ADN exogène.

L’intégration d’ADN exogène ou sa réplication par le génome de la bactérie réceptrice sont les moyens pérennes de maintien de cet ADN. L’une des limites à l’intégration d’ADN exogène est le niveau d’identité nucléotidique entre l’ADN exogène et le génome de la bactérie réceptrice. L’identité nucléotidique étant requise par le mécanisme de la recombinaison homologue (Shen & Huang, 1986;

48 Majewski et al., 2000; de Vries & Wackernagel, 2002). Des études ont en effet démontré chez E. coli qu’une réduction de l’homologie de séquences de 100% à 90% réduisait de 40 fois le taux de recombinaison observé (Shen & Huang, 1986). Cette barrière limite donc le transfert inter-espèces et serait donc à l’origine de l’isolement génétique entre les bactéries. Dans le cas des éléments génétiques mobiles, l’insertion site-spécifique requiert un mécanisme d’intégration propre et permet de contourner cette barrière (Alberts et al., 2002). En effet, contrairement à la recombinaison homologue qui nécessite une forte homologie de séquence pour se produire, la recombinaison site-spécifique est guidée par une enzyme qui reconnait une courte séquence nucléotidique présente sur une ou les deux séquences qui recombinent. Chaque type d’élément génétique mobile code généralement pour l’enzyme qui vas médié son intégration, et contient les sites spécifiques sur lesquels agit cette enzyme (Alberts et al., 2002).

III.2.2.3 Les barrières à l’expression génique

L’expression des gènes portés par l’ADN exogène ayant réussi à s’intégrer dans le génome de l’hôte peut être limité par divers facteurs dont la différence de pourcentage en G+C. Une étude réalisée sur 2.670 génomes de procaryotes dont le pourcentage G+C varie de 13,5 à 74,9% a permis de déterminer que, quel que soit la distance phylogénétique séparant des souches, un contenu similaire en G+C des génomes les obligeait à utiliser la même base pour les mêmes triplets de codons. Cette étude a démontré que dans le génome des procaryotes, l’utilisation des bases, des codons et des acides aminés change en fonction du contenu en G+C (Zhou et al., 2014).

L’expression des gènes acquis par transfert horizontal peut aussi être limité par la toxicité du produit d’expression de ces gènes qui peut être nocif et délétère pour la bactérie réceptrice (Avni & Snir, 2017). Il faut noter que seule une faible proportion de l’ADN acquis par transfert horizontal se maintient de façon durable dans le génome des cellules réceptrices (Thomas & Nielsen, 2005); et ce maintien de l’ADN exogène ne sera pérenne dans l’hôte que s’il demeure neutre ou confère un avantage à ce dernier.

Si le transfert horizontal de gènes survient fréquemment entre les espèces bactériennes apparentées, il est aussi possible entre les individus distants sur le plan évolutif (entre les bactéries à Gram positif et les bactéries à Gram négatif) et parfois entre les individus appartenant à différents domaines ; c’est la cas de la bactérie Agrobacterium qui utilise comme stratégie d’infections des plantes, un transfert horizontal de matériel génétique résultant en une intégration stable de ce dernier dans le génome de l’hôte (Bourras et al., 2015). De cette même manière, des protéines caractéristiques des bactéries sont codés par les Archaea et vice-versa. Le génome de la bactérie hyperthermophile Thermotoga maritima contient entre 8 et 11% de gènes de l’archaea hyperthermophile (Zhaxybayeva et al., 2009). Cette

49 présence de gènes de archaea dans le génome de la bactérie T. maritima résulterait du transfert horizontal entre les deux organismes qui partagent le même biotope que représente les sources thermales chaudes. Donc à travers le transfert horizontal de gènes, en une seule étape, des barrières correspondantes à des millions d’années d’évolution pourraient être franchies.