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Engagement in Science and Technology / Science and Society)

2. Une histoire Un concept ?

2.1. Origine du mot et évolutions

Les documents francophones consultés (GANDOLFO, 2009 ; LE MOIGNE, 1987 ; PARROCHIA, 2009 ; VARENNE, 2008) convoquent régulièrement comme source Georges CANGUILHEM, Suzanne

BACHELARD (1979), Michel ARMATTE (ARMATTE & DAHAN DALMEDICO, 2004 ; ARMATTE, 2005).

Alain MARCHIVE (2008) utilise pour sa part le dictionnaire historique de la langue française

d’Alain REY, dont on retrouve le propos dans l’exploration étymologique proposé par le CNRTL‐ CNRS.

Le terme « modèle » trouve son origine dans le mot italien « modello » dérivant du latin « modulus » (étalon de mesure), lui‐même dérivé de « modus » (mode, manière). Son sens puise dans la pratique technique et architecturale puisqu’il s’agit de représentations en miniature de ce qui sera construit à plus grande échelle, ce qui en fait un synonyme de prototype.

En raison de l’indifférenciation entre arts, sciences et techniques, pratiqués à l’époque par des artistes14 polyvalents tels VINCI – mécaniciens/architectes, peintres/anatomistes, etc. ‐ le

terme débordera progressivement vers la sculpture et la peinture, acquérant au passage une dimension idéalisante, en parallèle de sa signification manufacturière. Anne‐Marie DROUIN

(1988 ; ASTOLFI & DROUIN, 1992) parle de « glissements de sens successifs où le modèle à imiter devenait le modèle imité, puis le modèle représentatif ». Reprenant l’historienne des techniques Hélène VERIN, Franck VARENNE (2008) affirme au contraire que, dès le XVI° siècle, le terme modèle est utilisé autant pour évoquer « la fixation des idées » – à l’exemple des modèles anatomiques – que « la monstration des effets », c’est‐à‐dire, dans le langage d’aujourd’hui, la simulation des systèmes d’ingénierie, à travers des modèles réduits.

Daniel PARROCHIA (2009) rappelle quant à lui que la modélisation figurative à usage

métaphysique fut une pratique courante dès l’Antiquité. Luc BRISSON (2012) précise

opportunément à cet effet que la notion latine de modèle correspond étroitement à celle, grecque, de paradigme (paradeïgma / παράδειγμα), développée par PLATON dans « Le Timée ».

A savoir étymologiquement un objet de comparaison ou de substitution (montrer au lieu de) : « Est paradigme ce que l'on montre à titre d'exemple, ce à quoi on se réfère comme à ce qui exemplifie une règle et peut donc servir de modèle » (ARMENGAUD, 2012). Chez PLATON, le

paradigme est un objet « facile » présentant quelques ressemblances avec une situation ou un objet complexe, et qui permet d’exercer sa pensée pour comprendre le réel. PARROCHIA (2009) évoque à titre d’exemple la biologie platonicienne où les vertèbres sont visualisées comme des gonds de porte, les vaisseaux sanguins comme des canaux d’irrigation. Françoise ARMENGAUD

(2012) et Luc BRISSON (2012) citent pour leur part le modèle politique de PLATON où l’exercice de

la souveraineté est illustré par des pratiques de tissage.

14 A prendre autant dans le sens de créateur d’une œuvre plastique originale que celui, oublié aujourd’hui,

 le  terrain  :  La  no tion  de  «  modèle  »  

Selon PARROCHIA (2009) reprenant Suzanne BACHELARD (1979), la notion oscille donc

historiquement entre l’idéal et le quelconque, la norme abstraite et la figuration. Gabriel GANDOLFO (2009) évoque pour sa part le paradoxe réalisation concrète – idée réalisable.

L’encyclopédie en ligne WIKIPEDIA (2012) tente de synthétiser les différentes définitions comme

étant « les deux sens symétriques et opposés de la notion de ressemblance, d’imitation, de

représentation ». Un modèle désignerait :

 soit une réalité à laquelle on va chercher à donner une nouvelle représentation (imitation) ;  soit un concept que l’on va s’efforcer de matérialiser (construction).

Alain MARCHIVE (2003) qualifie le premier modèle d’empirique, le second de théorique. Il

propose néanmoins d’opérer une distinction plus fine, selon le type de vérité souhaitée. En effet, un modèle théorique n’est jamais une pure construction mentale : il est toujours lié plus ou moins au monde et possède donc implicitement une source empirique. Empruntant à Martin HEIDEGGER (1968), MARCHIVE (2008) préfère détecter dans les nombreuses acceptions du modèle

une tension entre :

 l’adequatio ou vérité‐accord (la priorité est le souci de fidélité)

 et l’aletheia ou vérité‐dévoilement (la priorité est le souci de pertinence).

Pour Peter GODFREY‐SMITH (2006), cette distinction est opérée en philosophie des sciences, ou

l’on cherche à différencier les spécifications – ce qui est imposé afin de s’approcher du réel – des ressemblances – où s’installe une « dimension fictionnelle » –. Gérard FOUREZ (1996) utilise

quant à lui les expressions vérité‐correspondance et vérité‐adéquate.

2.2. L’introduction en sciences

Selon les auteurs francophones précédemment cités, c’est à la fin du XIX° siècle et au début du XX°, avec Gaston BACHELARD (1934), Pierre DUHEM (1914) et Paul VALERY (1942) que le mot

« modèle » fait irruption dans le domaine de la connaissance scientifique pour désigner une sorte d’image mentale articulant la réflexion ou illustrant une théorie. Une imagerie de substitution qui, si elle n’était pas appelée « modèle » était une pratique courante dans les sciences depuis longtemps : outre les exemples tirés de Platon – cités plus tôt – PARROCHIA

(2009) évoque la métaphorisation de la circulation sanguine par William HARVEY, où le cœur est présenté comme une pompe et les valvules comme des soupapes. BRISSON (2012) présente, lui, le

modèle cosmologique de PLATON, basé sur des rapports mathématiques et des figures

géométriques – cercles, polyèdres réguliers ‐ modèle matérialisable par des sphères armillaires. Selon GANDOLFO (2009), le mot « modèle » se diffusera largement dans le vocabulaire scientifique après la Seconde Guerre Mondiale. PARROCHIA (2009) l’explique par l’intérêt grandissant pour les

modèles organisationnels dans le cadre d’opérations militaires, d’échanges économiques, d’optimisations administratives. VARENNE (2008), lui, lie cet attrait au développement de la

formalisation des modèles en mathématique algorithmique et en statistique, ce qui explique notamment une tendance très forte au sein des sciences à réduire la modélisation à une construction symbolique : ce qui est recherché n’est pas le réalisme ou la ressemblance avec la réalité, mais l’abstraction, notamment mathématique.

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2.3. La dimension sociale des modèles de pensée

John GILBERT (2004) est le seul auteur consulté proposant une exploration du modèle de pensée – c’est‐à‐dire du modèle comme dispositif intellectuel – dans sa profondeur sociale : il distingue d’abord le modèle mental, constructions personnelles de tout un chacun. Lorsque ce modèle est communiqué dans l’espace public, il devient un modèle explicite (expressed model) auxquels les individus peuvent adhérer. Lorsqu’un groupe partage un modèle, celui‐ci devient un modèle consensuel. Si le modèle correspond aux critères scientifiques et est reconnu par telle ou telle communauté savante, il devient un modèle scientifique. Les versions simplifiées des modèles scientifiques à des fins d’enseignement ou de communication grand public sont alors des modèles d’enseignement – point de vue partagé sur ce dernier point par Maryline COQUIDE et Jean‐François LE MARECHAL (2006) –.

* * *

Le bref parcours étymologique, historique et sociologique réalisé jusqu’ici permet de tenter cette fois une exploration de nature plus épistémologique.