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Problèmes généraux concernant les modèles dialogiques

Les sources citées dans le corpus

2. Les modèles dialogiques (participatifs ou interactifs)

2.5. Problèmes généraux concernant les modèles dialogiques

2.5.1. Un dialogue difficile

64 CLAESSENS a repris également cet exemple dans l’émission « Science Publique » qui est consacré à son

ouvrage. A écouter à l’adresse http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4253117 (date de consultation : 6 juin 2012)

Explorer  les  mo d èl es  de  com . pu blique  des  sciences  :  Mod èles  «  institutionnels  »   108  L’une des difficultés viendrait des scientifiques. Car si beaucoup – y compris certains savants – considèrent que les scientifiques ont le devoir d’interagir avec le public, les scientifiques semblent réfractaires au dialogue, se présentant – pour les uns – disposés mais non préparés, considérant – pour les autres – que la communication publique des sciences est une distraction inutile, apportant peu de retombée et se faisant au détriment de la recherche (WEIGOLD, 2001).

L’autre difficulté viendrait de la société. Selon TRENCH (2008), si certains changements sociétaux

encouragent des approches communicationnelles axées sur le dialogue et la participation, d’autres tendances fortes risquent de limiter ou d’empêcher cette « évolution ». En effet, la « société de la connaissance », dans laquelle nous sommes entrés, ne privilégie pas tant la connaissance que la performance offerte par ces connaissances. L’innovation étant annoncée comme un moteur de développement indispensable et un facteur de compétitivité, il y a fort à parier que les pratiques de diffusion unidirectionnelle de connaissances s’intensifieront, sous le prétexte d’une plus grande efficacité.

2.5.2. Un dialogue détourné

De plus en plus, dans le monde entier, des initiatives cherchent à impliquer d’avantage le public dans les sciences. Une évolution qui se manifeste par l’évolution du vocabulaire lui‐même (BUCCHI & NERESINI, 2007) : de vulgarisation, on passe à la médiation ; de la communication, on

passe au dialogue ; de « sciences et société », on passe à « sciences en société » (c’est moi qui ajoute). Massimiano BUCCHI (2008) pose la question : « Le changement de terminologie reflète‐t‐il réellement un changement dans les pratiques et la compréhension de ce qu’est la communication publique des sciences ? ».

En effet, si les modèles de l’expertise profane et de la participation publique se caractérisent par l’instauration d’un dialogue, « beaucoup reste à faire car, on le sait bien, écouter n’est pas entendre… » (CLAESSENS, 2011). Le dialogue, selon Daniel YANKELOVICH (cité par LOGAN, 2001), ne

se limite pas en effet à la « simple écoute » des doléances du public par les institutions savantes mais une véritable interaction entre experts scientifiques, décideurs politiques, lobbyistes, citoyens lambda discutant également des conséquences morales, éthiques, affectives des activités scientifiques et médicales.

Michel CALLON (cité par BUCCHI, 2008) remarque que le « dialogue » instauré avec le public par

les organismes de recherche est souvent un « transfert » déguisé. Dans le même esprit, Brian WYNNE (cité par TRENCH, 2008) remarque que nombre d’activités de communication à sens

unique ont été adaptées pour lui donner des airs de dialogue. Il souligne également les discours insistants de certains organismes scientifiques à l’égard de leurs collaborateurs, sur la nécessité d’adopter un « vrai dialogue » : l’écoute serait donc une posture pour mieux accrocher et cibler le public, non une opportunité d’apprendre du public. Dans cette perspective, le « dialogue » n’est que l’ajout d’une ligne de rétroaction (feedback) dans un modèle linéaire qui laisse toujours le contrôle de l’information à l’émetteur. Il est donc nécessaire de repréciser la notion de dialogue (TRENCH, 2008).

 HANSSEN (cité par TRENCH, 2008) propose déjà de distinguer la discussion des applications (où le monde technoscientifique possède un avantage en termes de connaissances) de la discussion des implications (plus ouverte).

 les  mo d èl es  de  com . pu blique  des  sciences  :  Mod èles  «  institutionnels  »   dialogue comme objectif conceptuel. 2.5.3. Un dialogue sacralisé L’intérêt manifeste et général pour plus de dialogue et plus de démocratie dans les relations avec les sciences ne doit pas dispenser d’une certaine vigilance à l’égard des modèles participatifs. En effet, adoptant une posture critique à l’égard du modèle linéaire, certains scientifiques finissent par valoriser la participation, comme si elle constituait une panacée universelle (GELLEREAU ET AL., 2012), « la voie royale » pour reconstruire la confiance du public à l’égard des sciences

(BAUER, 2008a). Le problème est que cette attitude vise à « normaliser » ce qui n’est qu’une

alternative communicationnelle possible (SCHIELE, 2008).

« Le cadre de pensée [frame] « participatif », même s’il apparaît comme une position généreuse, alternative, critique doit être analysé comme une norme hégémonique possible » (GELLEREAU ET AL., 2012).

John Durnham PETERS (cité par TRENCH, 2008) dénonce la dimension sacrosainte que les

modèles dialogiques ont prise, alors que tout n’a pas vocation à être mutualisé et/ou interactif.

Kevin STOKER et Kati TUSINSKI BERG (cités par TRENCH, 2008) attirent l’attention sur le fait qu’une

approche dialogique court le risque de se focaliser exclusivement sur les parties‐prenante qui sont susceptibles de contribuer en retour (économiquement, en terme de soutien…). Le modèle de la réconciliation (reconnaissance respective des intérêts des partis en présence, puis construction commune d’une réflexion) leur semble plus éthique qu’un simple dialogue, basé sur la symétrie et cherchant la réciprocité, car tenant réellement compte des différences de point de vue.

Bernard SCHIELE (2008) rappelle quant à lui que les « modèles de remplacement » ‐ comme il les

appelle – ont été rendus de facto nécessaires au bon fonctionnement du nouveau modèle de production de connaissances65, qui nécessite une reconfiguration opérationnelle des

communications passant par une redéfinition du statut de la connaissance et du rôle des différents acteurs. Ce qui m’amène – à la lecture de son article – à souligner que ces modèles ne sont pas uniquement apparus et encouragés en raison de « nobles » idéaux éthiques et politiques, mais sont le sont aussi – et peut‐être d’avantage – pour des raisons utilitaires que SCHIELE suggère d’ailleurs de bien comprendre, puisqu’elles ne déconstruisent pas l’idéologie

d’une science nécessaire et universellement pertinente : elles l’actualisent.

2.5.4. Un dialogue difficile à expertiser

Selon BAUER, ALLUM et MILLER (2007), le « paradigme participatif » a permis l’éclosion et le

développement d’un marché de la consultance, où des « anges débordant de bonne volonté » se présentent comme l’interface indispensable entre un public désenchanté et les institutions scientifiques, les industriels et les décisionnaires politiques. Cette « industrie » a produit nombre d’audits, de guides de bonnes pratiques et une foule d’expériences de participation du public dans les sciences, dont il est impossible d’évaluer les performances. Les modèles de dialogue et de participation nécessitent donc une typologie, afin de pouvoir juger de manière critique les dispositifs mis en place.

Selon BUCCHI et NERESINI (2007), ce grand flou sur l’efficacité des dispositifs participatifs existe

65 Voir p. 84.

Explorer  les  mo d èl es  de  com . pu blique  des  sciences  :  Mod èles  «  institutionnels  »   110  pour la bonne et simple raison que le cadre conceptuel des modèles… est lui‐même flou ! ROWE

et FREWER (cités par BUCCHI et NERESINI, 2007) propose de caractériser les actions concernées ‐ qu’elles soient mises en place par un commanditaire institutionnel ou non – selon la finalité souhaitée :

 Communication publique : maximiser la diffusion de la « bonne information » depuis un commanditaire vers le maximum de « publics pertinents ».

 Consultation publique : maximiser la diffusion de la « bonne information » depuis un maximum de « publics pertinents » vers un commanditaire.

 Participation publique : maximiser la diffusion de la « bonne information » depuis un maximum de « sources pertinentes » vers les autres sources.

Cette typologie qui présente certains avantages renvoie malheureusement au modèle linéaire (diffusion), même s’il y a un transfert réciproque d’informations. Les phénomènes de co‐ construction n’apparaissent pas. Reste également à définir ce qu’est une « bonne information », un « public pertinent », une « source pertinente »… et qui le dit !

Sur la base des réflexions de CALLON, BUCCHI et NERESINI (2007) proposent un cadre permettant

de « cartographier l’espace des participations possibles » (voir page suivante). Deux axes :

‐ L’axe horizontale définit l’intensité de la coopération publique en terme de production de savoirs, d’une participation à l’heuristique nulle (ceci ne signifie pas que la participation du public n’existe pas) vers une participation très riche en apports de connaissances.

‐ L’axe vertical définit le degré d’implication d’une ou plusieurs institutions de recherche, depuis les actions « spontanées » ‐ aussi relative que puisse être l’expression – à des actions clairement commanditées et/ou menées par des institutions.

Bien que cet outil ne permette pas de savoir qui participe, ou comment il faudrait participer/faire participer, il devrait permettre de préciser différents types de participation, voire modéliser des dynamiques, des évolutions dans le temps. Les chercheurs insistent sur le fait que cette modélisation ne saurait mettre en évidence des « itinéraires incontournables » ou déterminer la meilleure communication selon telle ou telle circonstance : c’est un outil d’interprétation permettant de visualiser comment la participation émerge par rapport à un contexte et à un sujet donné.

 les  mo d èl es  de  com . pu blique  des  sciences  :  Mod èles  «  institutionnels  »     Figure 13. Cartographie de la participation publique dans les sciences et technologies (BUCCHI et NERESINI, 2007)