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L’applicabilité des modèles est‐elle relative aux sciences communiquées ?

V ERITE L EGITIMITE C REDIBILITE

1. L’applicabilité des modèles est‐elle relative aux sciences communiquées ?

Les premières questions qui peuvent se poser en communication publique des sciences est de savoir si toutes les sciences sont communiquées et, si elles ne le sont pas, quelles en sont les raisons (incommunicabilité ? choix volontairement opérés ?) Dans sa thèse de 1973, Baudouin JURDANT relevait une couverture assez inégale avec deux orientations fortes dans la presse : la médecine et l’astronomie. En 1997, Dominique WOLTON regrettait toujours une inégalité de

traitement, pointant plus particulièrement le manque de communication à propos des sciences sociales.

Au‐delà de la quantité de couverture, certains auteurs des articles constituant le corpus s’interrogent sur le lien qui pourrait exister entre discipline scientifique et modèle de communication. Selon Mike SCHÄFER (2011), les chercheurs catégoriseraient déjà en deux

groupes les sujets scientifiques dans les médias :

‐ les « histoires de sciences », adoptant une approche narrative, vulgarisatrice ;

‐ les controverses médialisées, où le discours scientifique est confronté à d’autres discours, dans une approche nettement plus critique.

Claus MADSEN (2003) constate que l’astronomie entre volontiers dans la première catégorie

puisque les articles qu’il a analysés adoptent un ton narratif qui se limite généralement à un cadre d’interprétation scientifique – voire philosophique – où les controverses sont absentes, si ce n’est les controverses « historiques » comme le cas Galilée. Les sujets sur les sciences et technologies spatiales sont abordés avec une tonalité plurielle, où se discutent, au‐delà des questions scientifiques et techniques, les implications politiques, économiques, voire militaire. Néanmoins, leur traitement reste encore très éloigné de celui des sciences post‐normales124,

c'est‐à‐dire des sciences présentant un fort degré d’incertitude ou des risques potentiels.

Pour MADSEN (2003), c’est bien la nature intrinsèque des sciences astronomiques et spatiales qui

explique ce traitement différencié : science considérée comme « fondamentale », fortement connotée culturellement et correspondant à l’image « classique » de la science comme quête désintéressée de connaissances. Ces dispositions particulières amèneraient à une forme de communication qui correspond volontiers au modèle du « continuum », rapportée par Massimiano BUCCHI qui, selon MADSEN, accorde lui‐aussi un statut particulier à la communication

de l’astronomie.

124 Sciences dont les faits sont incertains, sujets à vives polémiques, objet d'implications fortes et poussent

à des prises de décision urgentes (FUNTOWICZ & RAVETZ, 1993). Le terme « post‐normal » renvoie au concept de « science normale » proposé par KUHN (1999).

 les  mo d èl es  de  com . pu blique  des  sciences  :  Questions  complémentaires  soul evées  par  le  co rpus  

SCHÄFER (2008) s’est également posé la question de savoir si tous les domaines scientifiques

peuvent correspondre au modèle de la médialisation. A partir de 3 indicateurs – l’extension, c'est‐à‐dire l’importance quantitative du sujet ; le pluralisme, c'est‐à‐dire la multiplicité des cadres interprétatifs et des interlocuteurs ; la controverses, c'est‐à‐dire la virulence des échanges en termes d’opposition ‐ il a cherché à comparer sur une même période de temps le « degré de médialisation » de trois disciplines appartenant à différentes cultures épistémiques125 : la recherche sur les neutrinos la recherche sur le séquençage du génome

humain et la recherche sur les cellules‐souche126 . Son étude démontre clairement que la

médialisation :

‐ ne se réalise pas sur toutes les dimensions de manière uniforme,

‐ ne se réalise pas de manière homogène sur tous les domaines scientifiques,

‐ mais semble bien liée aux cultures épistémiques, les sciences les plus susceptibles d’être médialisées étant évidemment celles qui paraissent avoir un impact direct dans la vie quotidienne du public.

  Recherche  sur  les  cellules‐

souche 

Recherche  sur  le 

séquençage  du  génome  humain 

Recherche  sur  les 

neutrinos 

Extension  Très importante  Importante  Aucune 

Pluralisme  Important  Un peu  Aucun 

Controverse  Un peu  Peu  Aucune 

       

MEDIALISATION  Forte  Partielle  Nulle 

Figure 44. Degré de médialisation selon le domaine de recherche (d’après SCHÄFER, 2008)

Liora SLATER (2003) partage l’idée que la manière de communiquer publiquement les sciences

est effectivement tributaire du « genre de sciences », correspondant selon elle à trois catégories :  La science des découvertes : c’est une science finalisée, marquée par les faits. Une

« science des manuels et des traités scientifiques à la manière d’Hawking ». Cette science cherche clairement à communiquer à l’intention du public, en distillant les informations scientifiques d’une manière perceptible par de non‐spécialistes.

 La science qui travaille : c’est la science en train de se faire, marquée par l’incertain. Une science des échanges intra et interdisciplinaire et des revues à comité de lecture. C’est une science qui ne cherche pas à communiquer au public, en dépit de ce que l’on peut dire sur la communication publique de la recherche (public understanding of

125 Concept progressivement élaboré, selon l’auteur, par Karin Knorr CETINA et Stefan BÖSCHEN afin de

cartographier les disciplines scientifiques, selon les méthodes de production des connaissances et les interconnexions avec la sphère publique.

126 La physique des neutrinos – décrite comme un univers clos, caractérisé par une très forte identité

communautaire, des objets de recherche détachés du monde naturel, explorés dans des infrastructures lourdes et discutés essentiellement par des publics restreints – appartiendrait à une culture épistémique différente des recherches sur les cellules‐souche et celles sur le séquençage du génome humain – marquées par une forte interdisciplinarité, une plus grande proximité avec le monde naturel, une mise en recherche et une mise en pratique plus aisées techniquement, et la présence de nombreux acteurs (chimistes, biologistes, médecins, pharmaciens, industriels…) –.

Explorer  les  mo d èl es  de  com . pu blique  des  sciences  :  Questions  complémentaires  soul evées  par  le  co rpus   176  research) car cela nuirait à sa productivité.  La science mandatée : c’est la science marquée par les décisions de politique publique. Une science polymorphe ‐ emprunte de valeurs sociales même si les scientifiques qui mènent les travaux cherchent à en limiter les biais ‐ où les experts, scientifiques mandatés, traduisent la science qui travaille et ses productions en recommandations. Cette science est intrinsèquement une communication publique. les membres du public pouvant être considérés comme « experts en valeurs sociales », que cela soit les leurs ou celles des autres.

Selon SLATER (2003) en explorant la « science mandatée », la communication publique des

sciences, en tant que champ de recherche, dispose de l’opportunité de développer son interdisciplinarité et, pourquoi pas, de nouveau modèles. Sans que cela soit garanti puisque, trop souvent, les scientifiques impliqués dans cette « science mandatée » adhèrent au « vieux modèle communicationnel », présumant qu’ils communiquent leur recherche au public, non avec le public.