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la recherche de « fondamentaux », permettant de connecter ces savoirs à une culture plus large ;

V ERITE L EGITIMITE C REDIBILITE

3. la recherche de « fondamentaux », permettant de connecter ces savoirs à une culture plus large ;

4. le respect de l’Histoire, respect faisant qu’un savoir n’est jamais totalement obsolète mais peut être ré‐invoqué. Le « modèle méditerranéen de communication des sciences » est précisément calqué sur cet idéal scientifique, avec 4 caractéristiques : 1. la nécessité de « dépasser les frontières », pour accéder à une compréhension plus globale des choses ;

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2. la reconnaissance intrinsèque de la culture et des développements qu’elle permet, au‐delà des considérations pratique ;

3. le souci de conserver et relayer la dimension historique, en tant que patrimoine ;

4. la prise en compte de la diversité sociale et culturelle dans la communication servant à développer une vision collective.

On peut arguer que cet idéal scientifique – qui se trouve être celui de la majorité de la communauté scientifique – et le modèle de communication qui lui est lié ne sont en rien « méditerranéens ». Si GRECO le reconnaît, il invite néanmoins à ne pas considérer cet idéal et ce

modèle comme des faits acquis. En effet, selon lui, le « modèle méditerranéen » de communication des sciences entre en concurrence directe avec un « modèle utilitaire », qui se développe sur un nouvel idéal scientifique. L’auteur ne précise pas explicitement tous les points de cet idéal. A partir de la mise en opposition réalisée par le chercheur, de ses propos, et sur la base de ce qui a pu être dit précédemment sur la perspective « utilitaire » de la communication publique des sciences, il est possible d’envisager 4 caractéristiques à ce modèle : 1. les contextes d’application créent nécessairement des frontières que les savoirs ne peuvent franchir, au risque de perdre leur pertinence ;

2. les savoirs ne possèdent pas de valeur culturelle mais une valeur utilitaire, voire marchande ;

3. les savoirs inutiles sont considérés comme obsolètes : en garder la trace est donc inutile ; 4. la prise en compte de la diversité sociale et culturelle dans la communication sert à produire

l’information pertinente au bon public.

Pour Pietro GRECO, l’approche « méditerranéenne » de la communication publique des sciences

ne peut ontologiquement pas être linéaire, de type descendant, tout comme elle ne peut être normative, à la différence de bien d’autres modèles : il y a tant de locuteurs, de motivations, de parasitage, qu’aucun modèle ne peut prévoir les réactions des communicants. On ne peut, à la rigueur, les modéliser qu’après coup.

* * *

Si l’on m’autorise ici une réflexion personnelle, en gardant les différenciations opérées par GRECO, il m’apparaît plus pertinent de parler d’une opposition entre modèle culturel ‐ ou

intellectuel ‐ (et non modèle méditerranéen) de la communication publique des sciences et modèle utilitaire de cette même communication. Je reconnais volontiers que le premier modèle décrit par GRECO puisse avoir une origine géographiquement située, non pas ‐ ce me semble ‐

dans le bassin méditerranéen mais en Europe, en raison des Lumières qui, selon BENSAUDE‐

VINCENT (2000), ont permis au XVIII° siècle l’émergence de formes de socialisation des

savoirs qui « collent » assez bien aux idéaux décrits par GRECO: l’encyclopédisme et la « science de salon ».

Le changement d’assise géographique que j’opère se fonde également sur le « respect de l’Histoire » que serait supposé porter ce modèle méditerranéen. Qu’on me permette de faire le lien avec une réflexion de Jean‐Marc LEVY‐LEBLOND (2008), trouvée dans le corpus. Pour lui, l’intérêt à retrouver et entretenir la mémoire du passé scientifique dans une approche culturelle n’a rien à voir avec la nostalgie : « c’est pour redéployer des initiatives neuves, pour nous donner de nouveaux objectifs que nous avons besoin de mieux connaître et de comprendre notre histoire ». Selon lui, l’Europe possède justement une « spécificité » qui permettrait de conserver cette

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dimension intellectuelle : elle a immédiatement accès à son passé, grâce à un patrimoine directement accessible – monuments, lieux historiques, bibliothèques –, ce qui lui donne un autre regard sur ce que doit être la science dans la culture. Notons que LEVY‐LEBLOND (2008)

opère tout comme GRECO (2004) l’opposition avec un autre idéal scientifique : « il se pourrait que cette science soit devenue tellement efficace, transformée comme on dit en technoscience, que son efficacité pratique l’emporte sur sa dimension intellectuelle. C’est une évolution tout à fait possible, et même plausible, au regard de la situation actuelle ».

Rappelons enfin que, d’après la revue de littérature de Benoît GODIN et Yves GRINGAS (2000), la

notion de culture scientifique aurait une signification particulière en Europe et au Québec, la province canadienne francophone entretenant – est‐ce étonnant ? – des liens culturels privilégiés avec le « vieux continent ». Si modèle géographique il y a, peut‐être est‐il donc européen…

3.2. Le modèle des deux cultures de communication publique des sciences

Martin BAUER, Nick ALLUM et Steve MILLER (2007) évoquent l’hypothèse que la perception de la science par le public est non seulement tributaire de la localisation géographique mais aussi de sa culture, notamment sa culture industrielle. En effet, les données d’enquêtes américaines, britanniques, françaises et européennes ayant été consolidées, des comparatifs internationaux « pertinents » ont été réalisés et auraient permis de produire le modèle des deux cultures de communication publique des sciences (two culture model of Public Understanding of Science). Ce modèle précise que :

‐ Dans les pays industrialisés (France) ou qui s’industrialisent (Portugal, Irlande), il y a une corrélation très nette entre intérêt pour les sciences, attitudes positives à l’égard des sciences et niveau de connaissances scientifiques. La communication publique des sciences selon les critères du modèle déficitaire seraient, dans ces pays, globalement valides.

‐ Dans les pays passés à l’ère post‐industrielle (Allemagne, Danemark), cette corrélation est quasi nulle. Des communications suivant le modèle déficitaire y seraient alors plutôt inefficaces.

Une modélisation qui, selon les chercheurs, nécessiterait toutefois d’être confirmée par d’autres investigations, à l’échelle mondiale.

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Modèles « publicitaires »

1. Publicisation ou publicité ?

Pour Martin BAUER, Nick ALLUM et Steve MILLER (2007), l’idéal de l’éducation populaire

désintéressée, portée par une certaine idée de la communication publique des sciences, se trouve constamment contredite par les stratégies de relation publique, dont les communiqués ne sont « rien de moins que des publicités à l’usage direct de consommateurs à propos de biens, de services ou des deux » (BUBELA et al., 2009). En effet, parce que « la compétition sur le marché de l’information scientifique a cru » (SCHÄFER, 2011), en raison de la multiplicité des communicants

dans un contexte où il faut publier pour survivre115 (ALTAN 2010), ces institutions savantes sont

poussées à mieux habiller leurs messages (NISBET, 2010) ou à se rendre plus visible (RÖDDER, 2009).

Pour Henri ALTAN (2010), en se dotant de services de relation publique, les instituts de

recherche pratiquent clairement une communication « qui s'est rapprochée de la promotion, avec des scoops destinés aux journalistes et des campagnes publicitaires pour vanter tel ou tel projet, valoriser les chercheurs de l'institution. […] Des dérives proches de l'escroquerie ont vu le jour », à savoir la diffusion de « demi‐mensonges par extrapolation et généralisations abusives » que le biologiste et philosophe n’hésite plus – comme BAUER (2008b) – à qualifier de fraude116.

Selon Jean‐Marc LEVY‐LEBLOND (2008), le partage du savoir est souvent confondu avec « la promotion d’une image de marque » réduisant « des initiatives louables à prendre un aspect essentiellement apologétique et propagandiste ». A ce sujet, une étude de Hans‐Peter PETERS, citée

par MADSEN (2003), rapporte que les scientifiques disent être d’abord motivés par un désir

d’ « enseigner », de transmettre leur connaissance, lorsqu’ils s’engagent dans une action publique. Mais de nombreuses preuves collectées par le chercheur démontrent que les scientifiques accordent au contraire à ces communications une fonction de « publicité ».

Le public développerait ainsi une attitude de plus en plus méfiante à l’égard des sciences en communication, en raison du soupçon que ces communications servent des intérêts particuliers (BAUER, 2008b). En France, une prise de conscience aurait eu lieu chez certains chercheurs et

praticiens de la communication publique des sciences, dont la collaboration est renforcée « par un désir commun de défendre les idéaux démocratiques de service public et de partage des connaissances, en opposition à la marchandisation de l’espaces institutionnel et des accès au savoir » (GELLEREAU, JEANNERET, & LE MAREC, 2012).

Selon Martin BAUER (2008b), cette « marchandisation » des connaissances par des

professionnels de la communication a considérablement sophistiqué la façon dont la science est communiquée publiquement : outre le développement conséquent des départements de relation publique dans les laboratoires publics ou privés, il cite la mythification accrue de la science dans leur communication, le sponsoring d’événements publics par des sociétés scientifiques, le

115 Cf. la fameuse expression « publish or perish ». 116 Voir les paragraphes sur la médialisation, p. 143.

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passage progressif de l’annonce publique de découvertes à leur mise au secret sous forme de brevets industriels, l’implantation de conseillers scientifiques sur des superproductions hollywoodiennes…

A propos des dispositifs, Martin BAUER (2008b), Janas SINCLAIR et Barbara MILLER (2009)

distinguent communication publicitaire et opération de relation publique. En effet, si la publicité permet de placer des messages particuliers et contrôlés dans des supports ciblés, les relations publiques permettent de faire couvrir un sujet ou un événement sans avoir à payer les médias diffusant l’information117, mais sans avoir non plus le contrôle de l’information diffusée.

Les opérations de relation publique donnent l’impression d’être plus objectives, plus crédibles pour le public puisque le message publicitaire y est moins explicite. Néanmoins les deux techniques ambitionnent clairement de promouvoir des idées, des biens et des services dans l’intérêt de l’annonceur118 (SINCLAIR & MILLER, 2009). Dans cette perspective, les recherches sur

les phénomènes d’influence peuvent être un moyen efficace de contrecarrer des discours utilisant les sciences et techniques à des fins aussi bien institutionnelles que commerciales. Mais elles courent évidemment le risque de devenir elles‐mêmes pourvoyeuses de techniques de persuasion (SINCLAIR & MILLER, 2009).

Ces quelques propos justifient d’accorder une place autonome dans ce mémoire à des modèles théoriques ou analytiques permettant d’explorer « les messages à visée persuasive, qui pourraient constituer une part importante de la somme d'information scientifique reçue et consommée par le grand public » (SINCLAIR & MILLER, 2009).