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Chapitre 6 : Discussion générale

1. Une démarche combinant plusieurs échelles

1.1.Combiner analyse des pratiques et de l’exploitation agricole, pour une meilleure compréhension des processus et des freins aux transitions

Point de départ de cette étude, l’analyse des pratiques à l’échelle de la parcelle a permis de (i) décrire leur diversité et leurs liens, tels que les différents types de pesticides utilisés et les pratiques alternatives mises en place, (ii) formaliser cette diversité en regroupant les parcelles en types homogènes (Marliac et al., 2015), (iii) analyser les effets de ces pratiques sur l’environnement en utilisant différents types d’indicateurs de fréquence, toxicité et efficience (Mghirbi et al., 2015), (Pissonnier et al, 2017).

Combiner cette analyse descriptive avec la compréhension des objectifs et stratégies poursuivis par les agriculteurs à l’échelle de leur exploitation agricole permet de relier les pratiques à leurs déterminants. La prise en compte de cette échelle exploitation présente plusieurs intérêts. Elle permet de mieux cerner les problématiques auxquelles les producteurs ont à faire face et de traiter des questions mettant en jeu la durabilité des filières. Quelles sont par exemple les conséquences des demandes des marchés sur la gestion de la production agricole, du « fruit parfait » aux stratégies de protection des vergers ?

La prise en compte de l’échelle exploitation permet également de co-construire avec les producteurs des innovations et technologies qui seront plus facilement transférables et utilisables. Les contraintes de mise en place, d’utilisation ou de maintenance qui peuvent surgir au sein de l’exploitation du fait du manque de ressources ou d’une organisation particulière seront préalablement identifiées (Su and Moaniba, 2017). Prendre en compte l’exploitation agricole dans les réflexions permet donc de pointer des freins et leviers à la mise en place de nouvelles pratiques, et d’adapter les mesures ou innovations proposées. Cette étude illustre cette approche à travers (i) l’identification des déterminants des pratiques de protection en fonction du fonctionnement, de la structure et du contexte socio-économique de l’exploitation agricole, (ii) la formalisation de la diversité des logiques et stratégies des exploitations regroupées en trois types et quelques sous-types, (iii) la mise en évidence des freins aux transitions, tel que la demande des marchés et l’organisation du travail interne à l’exploitation (Navarrete et al., 2014; Pissonnier et al., 2016).

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Ce type d’approche est générique et peut être appliqué à tous types de systèmes de production (Unay Gailhard and Bojnec, 2015). Mais il est aussi très chronophage (Pissonnier et al., 2016). L’analyse des pratiques nécessite une collecte de données conséquente. Elles peuvent être disponibles comme dans notre cas avec les calendriers de traitements, ou peuvent nécessiter des dispositifs dédiés comme les enquêtes conduites avec les producteurs. Les données issues des enquêtes permettent d’identifier les pratiques supplémentaires mises en place et non indiquées dans les calendriers de traitements et d’analyser les processus de gestion en lien avec l’exploitation agricole et son contexte (Bernard et al., 2011).

1.2.L’accompagnement et l’exploration par la simulation : deux processus complémentaires pour aider à la réflexion stratégique

Initialement conçu pour fournir une aide à la réflexion et à la discussion entre producteurs et techniciens, CoHort a été utilisé dans trois types de contexte : individuel, collectif et en laboratoire. Chaque modalité d’usage présente des intérêts et limites.

La simulation en contexte individuel producteur-chercheur ou technicien s’intègre dans un processus d’accompagnement des producteurs vers des évolutions de stratégies. Il s’agit d’un processus de recherche-action partant des questionnements des producteurs et de leur contexte spécifique, afin de répondre directement à leurs besoins et de les accompagner dans leurs réflexions stratégiques (Le Gal et al., 2013). L’apprentissage est donc double : pour les producteurs qui peuvent réfléchir à leur situation actuelle, aux évolutions possibles de leurs stratégies et des conséquences sur leur exploitation ; pour les chercheurs qui peuvent (i) acquérir des connaissances sur le fonctionnement des exploitations et la manière de raisonner des producteurs, (ii) mieux identifier leurs problématiques, (iii) améliorer le processus d’accompagnement en lui-même (Moraine et al., 2016). Ce processus a permis de concevoir et discuter des scénarios d’innovation incrémentale correspondant à des évolutions progressives des stratégies des producteurs.

Des ateliers de co-conception collective ont été organisés pour aller plus loin dans la réflexion et simuler des scénarios de changement plus profond, dit « de rupture », visant une réduction drastique de l’usage des pesticides de synthèse (zéro usage). L’objectif était de profiter des compétences et connaissances de différentes professions pour créer de tels scénarios et d’en discuter les conséquences sur les exploitations agricoles sur la base des simulations réalisées à l’aide de CoHort (Carberry et al., 2002). Quatre types d’acteurs étaient représentés : des chercheurs spécialisés sur les expérimentations et les méthodes alternatives aux pesticides en

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arboriculture, des chercheurs spécialisés sur le fonctionnement des exploitations agricoles, des producteurs, et leurs techniciens. Le déroulement des ateliers n’a pas permis de développer ces scénarios de rupture sur la base des exploitations présentes, les producteurs paraissant trop attachés à leur contexte et contraints par leurs caractéristiques socio-économiques (Drogué and DeMaria, 2012). Ils estimaient en effet ces scénarios trop risqués et mettant en danger la durabilité économique de leur exploitation. De plus, la moitié des chercheurs présents et les techniciens n’étaient pas familiers de l’approche « exploitation agricole ». Ils ont eu des difficultés à se saisir de cet objet et n’ont pas réussi à proposer des aménagements des pratiques alternatives quand des contraintes liées au fonctionnement ou à la structure de celles-ci étaient soulevées.

Face à cette difficulté, nous avons conçu des scénarios « en laboratoire », sans l’intervention de producteurs. Cette modalité a permis de s’extraire des contraintes soulevées par les producteurs lors de la phase de conception du scénario (Lançon et al., 2008). La méthode a été construite de façon à bénéficier de différents types de connaissances et compétences et d’être au plus proche du fonctionnement d’une exploitation réelle pour être plausible. Cette méthode a permis de créer des scénarios de rupture, incluant de nouvelles activités comme l’élevage et bouleversant l’organisation du travail initiale. Mais sa principale limite actuelle est de ne pas être suffisante en elle-même pour développer l’intérêts des producteurs envers les scénarios de rupture.

Ces trois étapes de simulation ont permis de mettre en place deux processus complémentaires : un processus d’accompagnement des producteurs dans leurs réflexions par rapport à leurs questionnements, et un processus d’exploration des évolutions possibles des systèmes sur le long terme grâce aux scénarios de rupture. Ces deux approches d’accompagnement et d’exploration offrent une vision plus complète des scénarios possibles pour diminuer l’usage des pesticides.