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Chapitre 6 : Discussion générale

2. Produire des pommes sans pesticide, un objectif réaliste ?

2.1.Place de la protection dans les préoccupations des producteurs

La protection en arboriculture est une composante centrale de la conduite des vergers. Mais son coût au regard d’autres postes (main d’œuvre pour la taille et la récolte) est faible. Les risques encourus en cas de mauvaise maitrise des attaques face à la faiblesse des marges réalisées par kg de pomme commercialisé via les circuits longs, conduisent les producteurs à opter pour des

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pratiques « protectrices » qu’ils remettent difficilement en question (Pissonnier et al., 2016). Les problèmes de main d’œuvre leur paraissent plus problématiques tant ils peinent à trouver du personnel compétent et à le fidéliser dans la durée. Les problématiques variétales et de renouvellement du verger sont aussi primordiales car les arbres sont plantés pour 10 à 15 ans (Simon et al., 2017). Une erreur de variété, inadaptée à la pression des ravageurs et maladies de la région ou aux débouchés commerciaux, peut mettre en danger la durabilité économique de l’exploitation.

Le fait que les producteurs soient préoccupés par d’autres problématiques que la protection constitue un frein au développement et à la mise en place de pratiques alternatives, et éloigne l’objectif du « zéro pesticide ». En conséquence, la démarche a dû être adaptée pour prendre en compte ces problématiques, bien qu’éloignées du sujet de thèse initial : CoHort a été construit de sorte à pouvoir détailler l’intégralité de l’itinéraire technique, sans spécificité pour la protection.

2.2.Les systèmes alternatifs, quels effets sur les performances technico-économiques ?

Un des freins à la mise en place de méthodes alternatives est le risque de diminuer en rendement et qualité et de mettre en danger la durabilité économique de l’exploitation si ces pertes ne sont pas compensées par des prix au producteur plus élevés. Sur ce thème du lien entre l’usage des pesticides et les performances des exploitations, la communauté scientifique ne s’accorde pas. Un étude publiée en mars 2017 visant à éclairer ces débats et relayée par les médias nationaux (http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/02/27/agriculture-pourquoi-la-reduction-des- pesticides-est-possible_5086364_3244.html) a montré que sur un échantillon de 946 exploitations en grandes cultures, il n’y avait aucun lien entre l’IFT et la profitabilité/productivité pour 77% des cas. Le deuxième résultat phare de cette étude est de montrer qu’une réduction de 42% en moyenne de l’IFT est possible sans affecter les performances économiques (Lechenet et al., 2017).

Mais les résultats ne sont pas forcément extrapolables à l’arboriculture fruitière. L’IFT moyen de l’échantillon était de 3,1 et représenté à 49% par des herbicides. Les problématiques sont donc différentes. De plus, les marges de manœuvre pour diminuer l’usage des pesticides sont différentes car, d’une part, les produits des grandes cultures sont transformés et subissent donc moins de pression cosmétique et, d’autre part, ce type de système bénéficie avec la rotation des cultures d’un levier supplémentaire de lutte contre les maladies et ravageurs.

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Des études en arboriculture comparant différents modes de production montrent des résultats plus contrastés. (Simon et al., 2011) soulignent le poids de la variété : les moins sensibles aux maladies ne présentent pas des rendements moins élevés pour les systèmes bas intrants. (Rozman et al., 2013) trouvent des rendements inférieurs de 4 à 9% pour leurs systèmes allégés en pesticides. Au sein d’une même étude, les résultats peuvent différer selon les années (Peck

et al., 2006). Dans tous les cas, il est très difficile d’isoler l’impact des pesticides sur le

rendement, ce que confirme nos résultats tirés de l’analyse de la base de données « traitement » vu la faiblesse de la relation entre IFT et rendement (0,21) (Chapitre 2). Ce type d’étude devrait être conduit sur un échantillon plus important, sur plusieurs années et à l’échelle du territoire national pour être extrapolé.

2.3.Les circuits de commercialisation, contrainte ou solution ?

Ces études s’accordent néanmoins à dire que les transitions doivent être accompagnées et sont synonymes de complexification des exploitations et redéfinition des filières (Lechenet et al., 2017). En circuit long, les exportateurs ou GMS fixent un certain nombre de critères auxquels doivent correspondre les fruits, et qui dictent les variétés et pratiques à mettre en place (Figure 6.1). Ils réclament des variétés précises pour répondre à leur critère de transport et conservation. Le risque d’être déclassé et de perdre de l’argent est trop important, et amène les producteurs à mettre en place des pratiques minimisant les risques et maximisant le rendement commercialisable. Ce circuit présente donc pour eux des marges de manœuvre limitées mais il leur permet d’écouler des volumes de production importants, à des prix par contre peu rémunérateurs.

En parallèle existent des systèmes de production alternatifs en agriculture biologique et /ou biodynamique (Marliac et al., 2015). Ces systèmes ont généralement un mode de commercialisation différent : vente en circuit court dans des magasins de producteurs, à la ferme, sur les marchés forains ou en AMAP (Gonçalves and Zeroual, 2016). Ces circuits nécessitent un investissement en temps, voire en matériel, mais permettent de compenser les diminutions de rendement et l’éventuelle moindre qualité des fruits (calibre, tâches, piqures) par des prix plus rémunérateurs qu’en circuit long. Ce type de commercialisation est-il pour autant plus propice au développement de pratiques alternatives ?

Il s’avère difficile d’évaluer les effets des circuits courts sur les pratiques car (i) ce concept couvre une grande diversité de stratégies commerciales sans lien strict avec des modes de production, (ii) les études s’intéressent généralement à un seul type de circuit court, sur des cas

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très particuliers difficilement généralisables (Mundler and Laughrea, 2016). Les études constatent cependant que les circuits courts regroupent plus de producteurs certifiés biologiques, et que la proximité avec le consommateur et la nécessité de se démarquer des chaines de distribution classiques encouragent les producteurs à mettre en place des pratiques plus respectueuses de l’environnement (Gilg and Battershill, 2000). Mais hors certification « agriculture biologique » on y trouve aussi des modes de production intensifs utilisant des produits de synthèse (Pissonnier et al., 2016).

Même s’ils participent au développement de pratiques alternatives les circuits courts représentent aujourd’hui une minorité des volumes écoulés. L’intégralité de la production pourrait difficilement être vendue par ce biais à moyen terme, car la grande distribution possède la majorité des parts de marché. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les impacts énergétiques et carbone de formes de commercialisation multipliant les transports individuels sur de faibles quantités de produits.

Les circuits courts semblent néanmoins montrer que la proximité avec le consommateur peut jouer un rôle dans la mise en place d’alternatives. Des initiatives de ce type ont déjà été mises en place dans les chaines de grandes distribution, où des producteurs sont parfois invités à mettre en avant leurs produits. Les mécanismes à l’origine des pratiques alternatives dans ce type de circuit pourraient inspirer des solutions pour d’autres circuits de commercialisation.

Figure 6.1. Critères influençant la variété et les pratiques de protection en circuit long Influence

2.4.L’agriculture numérique et les nouvelles technologies : l’exploitation agricole de demain ?

Le développement des technologies numériques en agriculture permet, d’une part, de mieux connaitre la parcelle et les cultures qu’elle supporte grâce à des outils de mesures (satellites, capteurs) fournisseurs de données diverses et nombreuses, d’autre part, de robotiser et automatiser certaines tâches grâce au développement de nouvelles machines et robots. En agriculture de précision, l’acquisition de nouvelles données permet d’adapter les doses des

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produits aux observations et ainsi de réduire les intrants, donc les coûts de production et les impacts environnementaux (De Baerdemaeker, 2013; Oberti et al., 2016). Par exemple grâce aux mesures dans le sol, la fertilisation et l’irrigation peuvent être adaptées. Grâce aux données météorologiques, les risques de développement d’une maladie ou d’un insecte sont mieux estimés et prévus. La robotisation et l’automatisation des tâches permettent de résoudre les problématiques de main d‘œuvre, importantes en arboriculture qui est chronophage. En pomme, les recherches actuelles portent par exemple sur le développement d’un système d’aspersion de pesticides sur la frondaison (Figure 6.2). Ce système permet d’intervenir plus rapidement, sans devoir utiliser le pulvérisateur, et d’optimiser les doses et quantité de produits appliquées au plus près de l’arbre, sous réserve d’adapter le système d’irrigation.

Ces nouvelles technologies pourraient constituer l’exploitation arboricole du futur, car elles répondent aux problématiques de main d’œuvre et d’optimisation de l’utilisation des intrants. La robotisation intégrale relève de l’innovation de rupture, alors que l’agriculture de précision peut n’être qu’incrémentale. Dans tous les cas, les producteurs utilisateurs de ces nouvelles technologies devront acquérir de nouvelles compétences, notamment dans la gestion des connaissances sur leurs parcelles. Leurs rôles, tâches et processus de décision devraient évoluer en conséquence. Toutes les exploitations ne pourront probablement pas investir dans ces nouvelles technologies et s’adapter à leur fonctionnement, au vu de la diversité des ressources qu’elles possèdent (Pissonnier et al., 2016). Plusieurs trajectoires pourraient donc continuer à exister et devraient être prises en compte par les politiques agricoles et les recherches visant à faire évoluer les pratiques (Dupré et al., 2017). L’application de la démarche utilisée dans cette étude à un scénario 100% mécanisé, voire robotisé pour certaines tâches, apporterait des éléments concrets à cette réflexion.

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