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2.3 Détecteurs silicium

2.3.3 Une configuration compacte

Abhilasha Singh a démarré son projet de doctorat au LNHB en 2017 sous mon encadre-ment quotidien, et sous la direction du Pr A.-M. Nourreddine de l’Université de Strasbourg,

et l’achèvera en 2020. L’objectif de ce travail est de pouvoir mesurer des spectres bêta avec une très grande précision et d’en extraire des facteurs de forme expérimentaux de qualité métrologique, en partant de l’expérience acquise avec le dispositif existant développé par C. Bisch.

Figure 2.11 – Simulations avec Geant4 des trajectoires des électrons émis depuis la source, dans la configuration géométrique précédente . 2π sr et la nouvelle configuration ' 4π sr. L’idée essentielle consiste à faire évoluer le dispositif précédent en adoptant une confi-guration géométrique compacte, avec deux détecteurs silicium entourant la source, pour obtenir un angle solide proche de 4π sr. La figure 2.11 montre une simulation Geant4 de trajectoires de particules β émises par la source dans la configuration précédente, à gauche, et dans une configuration compacte, à droite. Le gain est évident : les électrons diffusés semblent être quasiment tous détectés dans l’un ou l’autre des deux détecteurs silicium. La somme des énergies déposées événement par événement, grâce à une mesure en coïncidence, doit permettre d’obtenir un spectre bêta identique au spectre émis initial. Rappelons-nous que c’était l’hypothèse adoptée dans les anciennes mesures ayant adoptées le même type de configuration [Rei74]. Pour le vérifier, des simulations Monte Carlo du spectre du 14C ont été effectuées et le résultat est présenté en figure 2.12. Là encore, le gain obtenu grâce à une configuration compacte est évident. Cependant, il est important de remarquer la dépendance de la forme du spectre simulé en fonction de la distance entre les deux détecteurs. Même une distance de 1 mm a une influence significative qui doit être corrigée, ce qui n’était pas fait dans les anciennes mesures car les simulations Monte Carlo de particules interagissant dans la matière n’étaient pas d’utilisation courante.

Depuis 2014, de nouveaux détecteurs PIPS d’une épaisseur de 1 mm sont commer-cialement disponibles. Abhilasha a élaboré le nouveau dispositif autour de deux de ces détecteurs, tout en conservant la modularité nécessaire à un changement par deux détec-teurs Si(Li) de 5 mm d’épaisseur. Plusieurs possibilités ont été dessinées, imprimées en 3D et testées en conditions réelles jusqu’à obtenir la configuration géométrique optimale. La distance entre les deux faces d’entrée de nos détecteurs ne peut être a priori inférieure à 3 mm, du fait de l’encapsulation des détecteurs, des épaisseurs minimales pour les porte-détecteurs en cuivre, et de l’épaisseur de la source. L’électronique et les connectiques ont été entièrement repensées. Des préamplificateurs de charge bas bruit A1422H de chez CAEN ont été placés au plus près des détecteurs. La figure 2.13 montre ces changements. Des modules bas bruit ont été acquis pour l’alimentation en puissance des préamplificateurs et

Figure 2.12 – Simulation du spectre du 14C mesuré avec un seul détecteur silicium ou avec deux détecteurs silicium en coïncidence. Dans cette dernière configuration, l’influence de la distance entre les deux détecteurs a été étudiée, ici pour 1 mm et 3 mm.

pour la haute tension appliquée aux détecteurs. Une nouvelle pompe plus puissante a été mise en place et pratiquement tous les raccords de vide ont été changés par des joints en cuivre ou en aluminium. Les vibrations induites par la pompe ont été fortement atténuées par l’ajout de soufflets et d’un bac à sable. L’alimentation de la pompe a été découplée de la masse de notre système de détection à l’aide d’un transformateur car elle réinjectait trop de bruit. Une sonde de température a également été mise en place permettant de connaître en temps réel la température des détecteurs.

Figure 2.13 – Nouveau dispositif expérimental. Chaque détecteur est placé dans un porte-détecteur sur lequel est fixé un préamplificateur de charge. La source radioactive est placée entre les deux détecteurs. L’ensemble est refermé puis monté sur le doigt froid dans la chambre à vide.

Nous avons souhaité pouvoir acquérir les signaux issus des deux détecteurs indépendam-ment afin d’effectuer les coïncidences a posteriori lors d’une phase d’analyse des données. Pour cela, nous avons utilisé un module CAEN DT5724 qui permet de définir deux seuils de déclenchement indépendants, les deux voies étant enregistrées si au moins l’un des deux seuils est dépassé. Cependant, nous avons constaté une perte aléatoire d’événements, envi-ron 1% en totalité, et plus importante à basse énergie qu’à haute énergie. Le constructeur n’ayant pas été en mesure de trouver une explication, nous avons alors pensé à sommer directement les signaux en sortie des préamplificateurs. Cependant, une différence de gain significative a été observée, due au fait que les détecteurs et les composants électroniques ne sont jamais parfaitement identiques. Nous avons alors mis en place un module passif permettant d’ajuster finement les gains, en prenant comme référence le pic à 975 keV du

207Bi. Le signal sommé est ensuite acquis à l’aide d’un module LabZY3 nanoMCA, un module numérique bas bruit développé sur une carte FPGA4 incluant un analyseur mul-ticanaux, un amplificateur, un générateur d’impulsion réglable et un logiciel d’acquisition permettant d’ajuster le traitement du signal. Si cette solution nous a permis de mesurer différentes sources, elle a l’inconvénient de sommer aussi le bruit de chaque signal, dé-gradant de fait la résolution en énergie et le seuil de détection. Nous souhaitons revenir rapidement à la solution initiale d’une acquisition en parallèle avec un module FASTER5

développé par le Laboratoire de Physique Corpusculaire de Caen, en cours d’acquisition.

Figure 2.14 – (Gauche) La solution radioactive a été déposée sur un film de Mylar de 0.7 µm d’épaisseur, sur lequel des micro-sphères de polystyrène–latex ont été électro-pulvérisées. L’effet d’une meilleure mouillabilité est très net sur la forme de la goutte. Une fois séché, le dépôt sera recouvert d’un deuxième film de Mylar identique. (Droite) Autoradiographie d’une source finalisée.

Notons que cette configuration quasi 4π n’est possible que parce que nous avons renoncé à la possibilité de changer la source tout en maintenant le dispositif en froid et sous vide. La préparation des sources a aussi évolué. Les sources préparées sur film de Vyns étaient fragiles et ont occasionné une contamination des détecteurs. Depuis peu, des films de Mylar plus fins qu’auparavant sont commercialisés. Abhilasha a adapté la technique de préparation

3. https://www.labzy.com/ 4. Field-Programmable Gate Array. 5. http://faster.in2p3.fr/

des sources à des films de Mylar de 0.7 µm d’épaisseur, sur lesquels l’électro-pulvérisation est plus difficile. Après une quantification de l’effet par simulation Monte Carlo, il a été décidé d’ajouter un film de Mylar identique par-dessus le dépôt radioactif pour prévenir toute contamination. Ces nouvelles sources sont plus solides et plus pérennes. La figure 2.14 illustre une étape de la préparation de source et le résultat de l’autoradiographie effectuée, qui permet de s’assurer de l’homogénéité des dépôts.

Figure 2.15 – Spectre du 207Bi mesuré (bleu) avec le dispositif présenté en figure 2.13, comparé au spectre simulé (rouge) avec Penelope et le module PenNuc. Les raies prove-nant des transitions γ, photons et électrons de conversions, sont utilisées pour l’étalonnage en énergie.

L’ensemble de ce dispositif a été simulé à l’aide du code Monte Carlo Penelope [Sal15], bien connu en métrologie des rayonnements ionisants pour sa précision dans les simulations de transport des photons et des électrons, en particulier à basse énergie grâce à son modèle de diffusions multiples. Le code a été modifié afin de générer un fichier de sortie donnant l’énergie primaire émise par la source, l’énergie déposée dans chaque détecteur et la somme des deux. Un arbre ROOT [Bru97] est ensuite créé et les mêmes outils d’analyse développés pour l’analyse des spectres mesurés peuvent être utilisés. Récemment, le module PenNuc [Gar17] a été ajouté au code Penelope. Pour un radionucléide choisi par l’utilisateur, ce module va gérer automatiquement l’ensemble des particules primaires générées lors de la désintégration en suivant les différentes désexcitations nucléaires, mais aussi en tenant compte de la relaxation atomique. Les données utilisées sont celles du DDEP, assurant une bonne précision des simulations. L’étalonnage en énergie de notre dispositif a été effectué en mesurant des sources de 109Cd, de 133Ba et de 207Bi. La figure 2.15 montre le spectre mesuré comparé au spectre simulé avec Penelope et PenNuc, et les deux sont en très bon accord.

Les spectres bêta du 14C, du 36Cl, du 99Tc et du 204Tl ont été mesurés. L’analyse pré-liminaire a montré que la distance réelle entre les deux détecteurs était plutôt de 2.5 mm, et non de 3 mm comme nous l’avions définie a priori selon les plans de fabrication. Les spectres mesurés et simulés sont en bon accord, mais il est encore nécessaire de déconvo-luer la mesure de la déformation induite par le système de détection, comme le montre la figure 2.12. Pour ce faire, une nouvelle procédure de déconvolution a été développée, plus robuste. Dans le cadre du projet européen de métrologie MetroBeta, M. Paulsen du PTB a développé pour les mesures MMC un algorithme de déconvolution qui corrige la déforma-tion due à l’échappement des photons de bremsstrahlung dans le cas du 36Cl. Au lieu de considérer des distributions continues, il a décidé de travailler sur des spectres échantillon-nés. L’avantage de cette méthode est que le problème inverse est cette fois-ci bien posé et peut être résolu exactement. En effet, le spectre mesuré est alors un vecteur, produit d’une matrice représentant la fonction réponse du système de détection et d’un vecteur représen-tant le spectre émis initial. La matrice peut être construite colonne par colonne par des simulations Monte Carlo impulsionnelles. Elle est ensuite inversée et appliquée au spectre mesuré. Nous avons adapté cette idée aux mesures de spectres bêta et nous avons appliqué notre nouvel algorithme d’abord aux anciennes mesures en configuration . 2π sr, puis à la configuration compacte actuelle lorsque les mesures ont été disponibles. L’inconvénient principal de cette méthode est qu’elle requiert une simulation mono-énergétique avec plu-sieurs millions d’événements pour chaque canal en énergie considéré, ce qui nécessite de très longs temps de calcul.

Energy (keV) 0 20 40 60 80 100 120 140 160 Counts 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 6 10 × geometry π Unfolded : 4 geometry π Unfolded : 2 Allowed shape Kuzminov shape Measured with MMC C 14

Figure 2.16 – (Gauche) Spectres bêta du 14C mesurés avec un MMC et des détecteurs silicium dans les configurations des figures 2.6 et 2.13. Ces deux derniers spectres ont été corrigés par déconvolution. Les spectres calculés comme une transition permise (noir) et avec le facteur de forme expérimental de [Kuz00] (rouge) sont également donnés. (Droite) Les facteurs de forme ont été extraits des spectres mesurés entre 30 keV et 140 keV et en fixant l’énergie maximale. Ils ont été recalculés sur toute la gamme en énergie.

Deux spectres bêta ont été récemment analysés et nous présentons ici des résultats préliminaires. La figure 2.16 à gauche montre la comparaison de plusieurs mesures du spectre du 14C : l’ancienne mesure dans une géométrie . 2π sr, la nouvelle mesure dans une géométrie ' 4π sr et une mesure préliminaire MMC. Notons que la mesure MMC a connu quelques difficultés permettant de douter de la fiabilité du spectre à basse énergie, en-dessous de 10 keV. Une nouvelle mesure est en cours. À l’œil, formidable instrument du métrologue, on constate que les spectres sont en bon accord dans leur gamme de mesure commune, de 25 keV à l’énergie maximale. Les facteurs de forme expérimentaux ont été ajustés selon la formulation de [Kuz00] donnée à l’équation (2.4), entre 30 keV et 140 keV et en fixant l’énergie maximale. Les résultats sont présentés en figure 2.16 à droite, et montrent que l’œil n’est peut-être pas l’instrument le plus pertinent dans ce cas. La disparité des résultats est importante, l’accord semblant être meilleur entre les spectres MMC et en configuration compacte. Notre conclusion préliminaire est qu’en mesurant un spectre beaucoup plus proche du spectre émis initial, le nouveau dispositif minimise l’impact du processus de déconvolution et l’incertitude associée.

Energy (keV) 0 50 100 150 200 250 Counts 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 6 10 × geometry π Unfolded : 4 geometry π Unfolded : 2 Measured with MMC Reich shape Tc 99

Figure 2.17 – (Gauche) Spectres bêta du 99Tc mesurés avec un MMC et des détecteurs silicium dans les configurations des figures 2.6 et 2.13. Ces deux derniers spectres ont été corrigés par déconvolution. Le spectre calculé avec le facteur de forme expérimental de [Rei74] (rouge) est également donné. (Droite) Les facteurs de forme ont été extraits des spectres mesurés entre 60 keV et 260 keV et en fixant l’énergie maximale. Ils ont été recalculés sur toute la gamme en énergie.

Comme pour le 14C, la figure 2.17 à gauche montre la comparaison de plusieurs me-sures du spectre du 99Tc, là encore avec des détecteurs silicium pour les configurations de mesure . 2π sr et ' 4π sr, et une mesure préliminaire MMC. Les mesures semblent toutes cohérentes au-dessus de 80 keV, même celle issue de [Rei74]. On observe un excellent accord entre les spectres MMC et en configuration compacte au-dessus de 70 keV, mais

un écart significatif en-dessous. Les facteurs de forme expérimentaux ont été ajustés selon la formulation de [Rei74], entre 60 keV et 260 keV et en fixant l’énergie maximale. Les résultats sont présentés en figure 2.17 à droite, et semblent assez sensibles à la gamme en énergie considérée, des facteurs de forme très proches issus des spectres MMC et en configuration compacte pouvant être obtenus entre 60 keV et 240 keV. Cependant, nous n’arrivons pas à expliquer pour le moment leur désaccord en-dessous de 70 keV. La seule piste envisageable serait la présence de cristaux plus gros que prévu dans notre source, à cause d’une cristallisation plus délicate qu’attendu à maîtriser.

Par leurs performances exceptionnelles, les MMC ont contredit l’opinion commune, à savoir que les effets atomiques sur la forme du spectre bêta étaient négligeables. Concernant les mesures avec détecteurs silicium, un effort important a été entrepris pour développer un système de détection robuste et des outils d’analyse appropriés. Les résultats de la thèse en cours, dans la continuité de la précédente, sont très prometteurs. L’analyse doit encore être finalisée, les détecteurs Si(Li) et leur électronique doivent être mis en place et caractérisés, et il faut certainement étudier encore plus finement l’influence de la préparation de source. Néanmoins, les résultats sont déjà suffisants pour une comparaison avec les prédictions théoriques, que nous allons maintenant aborder.

Approche théorique

“But I don’t want to go among mad people,” Alice remarked. “Oh, you can’t help that,” said the Cat : “we’re all mad here. I’m mad. You’re mad.” “How do you know I’m mad ?” said Alice. “You must be,” said the Cat, “or you wouldn’t have come here.” — Lewis Carroll, Alice’s Adventures in Wonderland La désintégration d’un radionucléide par interaction faible, bêta (β±) ou capture élec-tronique (ε), décrite dans toute sa généralité est un défi théorique très complet. En effet, la probabilité de transition dépend à la fois de l’interaction faible, de l’interaction forte car la transition a lieu dans le noyau, et de l’interaction électromagnétique à cause du champ coulombien des protons. L’intensité des interactions forte et électromagnétique interdit tout traitement perturbatif. Le formalisme doit être complètement relativiste à cause de la faible masse de l’électron par rapport aux énergies en jeu. Si une précision de l’ordre du pourcent est recherchée, il faut aussi prendre en compte des corrections radiatives issues de l’électrodynamique quantique et des effets atomiques tels que l’écrantage et l’échange.

Mon étude théorique de la désintégration par interaction faible n’a pas été linéaire, et elle ne l’est toujours pas. La première raison est personnelle. Avec une formation initiale d’expérimentateur, il m’a été nécessaire d’acquérir des connaissances théoriques de plus en plus en élaborées et des compétences en techniques mathématiques numériques. La seconde tient à l’environnement, avec la nécessité de produire rapidement et régulièrement des ré-sultats concrets, valorisables scientifiquement et dans des projets financés, pour justifier du maintien de cette activité pour le moins atypique en métrologie des rayonnements ioni-sants. Cela pousse à s’intéresser précisément à des aspects très spécifiques qui, autrement, auraient été moins prioritaires.

Sans entrer dans des démonstrations théoriques longues, j’essaie ici de présenter mes travaux en donnant une idée de leur complexité et de la démarche. La désintégration bêta sera abordée à travers le code BetaShape, la modélisation précise des effets atomiques et la prise en compte de la structure des noyaux. Nous continuerons avec la modélisation de la capture électronique que j’ai développée. Enfin, quelques applications notables dans les données nucléaires et en métrologie seront évoquées.

3.1 Désintégrations bêta

Au début de cette étude, j’ai développé un premier code de calcul à partir d’un for-malisme analytique très proche de celui du programme LogFT [Gov71]. Puis, j’ai débuté l’étude détaillée du formalisme de Behrens et Bühring [Beh82], très complet mais très complexe. Plusieurs années d’étude seront encore nécessaires pour en comprendre tous les raffinements. Néanmoins, j’ai pu développer le code BetaShape à partir de ce formalisme, incluant plusieurs améliorations importantes dans la modélisation par rapport à LogFT. Les exécutables de ce code ont été mis à disposition sur le site internet du LNHB en 2016. Les résultats des mesures MMC au LNHB sont d’une précision inégalée, et la mise en évidence de l’échec des modèles de désintégration bêta usuels m’a conduit à étudier les effets atomiques d’écrantage et d’échange. Cela a nécessité la mise en place d’un calcul numérique précis des fonctions d’onde relativistes des électrons, tant pour les états du continuum que pour les états liés. Plus récemment, j’ai commencé à intégrer la structure des noyaux dans les calculs en débutant par un modèle nucléaire simple.

Je présente ci-dessous le code BetaShape et sa validation, puis l’étude précise des effets atomiques. Je finis par l’introduction de la composante nucléaire dans les calculs.