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3.3 Applications

3.3.2 Métrologie de la radioactivité

La technique de mesure par scintillation liquide est l’une des techniques de prédilection de mesure primaire de l’activité. Les deux méthodes couramment utilisées dans les labo-ratoires de métrologie internationaux, RCTD et CIEMAT/NIST [Bro07], nécessitent une connaissance préalable du spectre bêta pour l’analyse. Elles y sont d’autant plus sensibles que l’énergie maximale du spectre est faible car le rendement de détection est fortement non linéaire à basse énergie.

Ainsi, nos collègues du National Metrology Institute of South Africa (NMISA) ont analysé le résultat de la mesure d’activité du 241Pu par la méthode RCTD, dans le cadre d’une comparaison internationale pilotée par le BIPM [Wyn12]. Ils ont d’abord utilisé un spectre calculé avec les approximations usuelles, puis le spectre expérimental MMC mesuré au LNHB et que mes calculs reproduisent. Ils ont conclu à un écart très significatif d’environ 7% entre les deux activités, issues d’une même mesure analysée différemment. Les incertitudes relatives typiques associées à ce type de mesures étant de 0.5%, on voit bien l’impact d’une connaissance précise du spectre bêta sur un étalon primaire d’activité. Avec des collègues du Physikalisch-Technische Bundesanstalt (PTB, Braunschweig), nous avons étudié cette même influence du spectre bêta sur les mesures primaires

d’acti-vité par scintillation liquide pour des radionucléides présentant des énergies maximales plus importantes, 66.977(15) keV pour le 63Ni et 317.06(21) keV pour le 60Co [Kos15, Kos18]. Avec le 63Ni, nous avons démontré que le spectre bêta avec effets atomiques : i) per-mettait d’obtenir des activités cohérentes entre les deux techniques d’analyse RCTD et CIEMAT-NIST, qui sinon présentent un écart supérieur à 1% ; ii) mettait en évidence des budgets d’incertitudes sous-évalués dans les anciennes études internationales qui utilisaient un spectre bêta sans effets atomiques, avec une incertitude relative totale donnée inférieure à 0.5% ; ii) conduisait à une valeur d’activité plus importante de 0.5% à 1%. Les résultats de cette étude ont été à l’origine du projet européen de métrologie MetroBeta, coordonné par le LNHB et en partenariat avec, notamment, le PTB.

Dans le cas du60Co, on s’attend a priori à un effet négligeable car les électrons sont bien plus énergétiques, ce qui diminue proportionnellement l’influence d’une probabilité d’émis-sion plus importante à très basse énergie sur le rendement total de détection. L’avantage avec ce radionucléide, c’est qu’il est possible de vérifier les mesures d’activité par scintilla-tion liquide à l’aide d’une autre méthode de mesure primaire, le comptage en coïncidence 4πβ − γ, qui est indépendante de la forme du spectre bêta. La mesure 4πβ − γ sert donc de référence, et nous avons observé à la fois une dispersion des mesures par scintillation liquide, jusqu’à 1%, et une sous-estimation de l’activité d’environ 0.25%. Lorsque le spectre bêta du 60Co avec effets atomiques est utilisé, les mesures par scintillation liquide rede-viennent cohérentes et l’écart à l’activité de référence devient inférieur à 0.1%. L’incertitude relative totale sur l’activité finale n’est plus que de 0.2%. Même si l’effet est plus faible que pour le 63Ni et le241Pu, il reste significatif pour établir les étalons primaires d’activité en métrologie.

Il reste encore beaucoup de travail pour améliorer les prédictions théoriques et atteindre des incertitudes inférieures à 1%, en particulier dans le cas des transitions interdites non-uniques. La comparaison avec des mesures de grande précision apportera encore certai-nement son lot de surprises, et sera nécessaire pour valider les modèles développés. Les précisions actuelles et futures ouvrent de belles perspectives, de la physique fondamentale à des domaines très applicatifs, comme nous allons maintenant le voir.

Perspectives

“Vous ne trouverez jamais ce que vous ne cherchez pas.” — Confucius Les développements effectués ces dix dernières années dans l’étude des transitions par interaction faible à basse énergie ont permis de tisser des liens avec des groupes de recherche de différents domaines. L’expertise acquise en spectrométrie bêta pour les besoins des données nucléaires et de la métrologie de la radioactivité peut encore être approfondie sur de nombreux aspects. Conjointement aux expertises déjà existantes en son sein, le LNHB peut apporter une contribution significative à différentes thématiques scientifiques, tant en physique fondamentale que pour des applications aux enjeux sociétaux forts.

Aborder en détail l’ensemble de ces thématiques serait particulièrement difficile. Je me contenterai d’évoquer dans ce chapitre les sujets qui me semblent les plus importants, soit parce qu’ils font l’objet de travaux en cours et que des pistes intéressantes mériteraient d’être étudiées, soit parce qu’ils seront très structurants dans les dix prochaines années. Le degré d’implication du LNHB dépendra essentiellement des financements qu’il sera possible d’obtenir, tant pour le matériel que pour la main d’œuvre, sur chacun de ces sujets.

Deux thématiques intéressantes ne seront pas développées ici, mais je souhaite les évo-quer malgré tout. La première concerne les recherches expérimentales visant à mettre en évidence l’existence de la matière noire. J’ai été contacté ces dernières années par plu-sieurs équipes développant des systèmes dédiés et analysant les données recueillies. Ces expériences tentent de mesurer un très faible nombre d’événements au milieu d’un bruit de fond très largement dominant. La modélisation précise de la radioactivité naturelle re-présente alors un défi majeur, qui va dépendre de la qualité des données atomiques et nucléaires et de certains spectres bêta spécifiques à très basse énergie : ceux du 39Ar, du

40K, du42Ar ou encore du 214Pb.

La seconde thématique concerne la micro-dosimétrie pour la médecine nucléaire. Il me semblerait intéressant d’étudier l’impact d’une connaissance plus précise des spectres bêta, et plus généralement des électrons émis lors des désintégrations nucléaires, sur la modélisation de la dosimétrie au niveau cellulaire. Cependant, ce sujet dépasse le cadre des expertises de la métrologie de la radioactivité, et des partenariats seraient à trouver afin d’apporter une contribution significative.

4.1 Travaux en cours

4.1.1 Détecteurs silicium

Les développements en cours concernant les mesures par détecteurs silicium entrent dans le cadre de la fin de la thèse de doctorat d’Abhilasha Singh. Comme évoqué au deuxième chapitre en section 2.3.3, nous souhaitons tester un module FASTER afin d’ac-quérir en parallèle les signaux des deux détecteurs PIPS de notre configuration compacte, et effectuer la reconstruction du spectre bêta par des coïncidences lors de l’analyse des données. De plus, un travail est encore nécessaire autour de la technique de préparation de source dans le cas du 99Tc pour élucider l’écart entre notre mesure et celle par MMC en-dessous de 70 keV, illustré en figure 2.17.

L’évolution suivante consistera à adapter le dispositif à deux détecteurs Si(Li) de 5 mm d’épaisseur. Les porte-détecteurs ont déjà été dessinés et usinés. La figure 4.1 présente la configuration choisie, proche de celle des détecteurs PIPS. Les préamplificateurs de charge choisis sont adaptés aux détecteurs Si(Li) et ne doivent pas être refroidis à la température de l’azote liquide. C’est pourquoi ils seront fixés sur des supports en Téflon (polytétrafluoroéthylène). En ajoutant un capteur thermique lors du développement de la configuration ' 4π sr, nous avons constaté que les déperditions thermiques étaient trop importantes pour assurer la température requise pour les détecteurs Si(Li), avec une température effective de -50C. La connexion entre le Dewar et la chambre à vide dans laquelle passe le doigt en cuivre, mise en place lors du développement de la configuration . 2π sr, doit donc être changée. Une nouvelle connexion a été récemment dessinée en concertation avec nos collègues du LNHB experts en cryogénie, et est phase de production. Cette nouvelle configuration du dispositif devra ensuite être caractérisée et étalonnée en énergie. Les mesures des spectres bêta du36Cl et du90Y sont prévues, auxquelles viendront s’ajouter ultérieurement d’autres radionucléides selon la disponibilité des sources.

Figure 4.1 – Évolution du dispositif de mesure en configuration compacte pour remplacer les détecteurs PIPS par des détecteurs Si(Li) de 5 mm d’épaisseur.

À l’avenir, un tel dispositif pourrait être adapté sans modification trop importante pour ajouter deux détecteurs γ, un à l’arrière de chaque détecteur silicium. Cela permettrait de détecter en coïncidence les particules β et les photons γ lorsque plusieurs transitions bêta sont en compétition vers différents niveaux excités du noyau fils, ou dans le cas de transitions β+ avec les photons d’annihilation à 511 keV. Cette étape sera importante pour mesurer précisément les spectres bêta de radionucléides se désintégrant autrement qu’entre les états fondamentaux des noyaux père et fils, qui constituent la très vaste majorité des transitions. Les détecteurs idéaux seraient bien évidemment des germanium ultra-purs (HPGe). Cependant, une solution moins coûteuse et plus facile à mettre en œuvre pourrait être d’utiliser des détecteurs au bromure de lanthane dopés au cérium (LaBr3:Ce) [Loe01]. Ce scintillateur cristal est un bon compromis entre les deux détecteurs γ les plus couram-ment utilisés, le NaI(Tl) et le HPGe. Le premier a l’avantage de fonctionner à température ambiante, mais possède une mauvaise résolution en énergie. Le second possède une excel-lente résolution en énergie, mais doit être refroidi à la température de l’azote liquide. Le LaBr3:Ce, quant à lui, fonctionne à température ambiante et possède une résolution en énergie intermédiaire entre le NaI(Tl) et le HPGe, comme l’illustre la figure 4.2. Notons cependant qu’il possède une activité intrinsèque dû au 138La [Qua16].

Figure 4.2 – Comparaison des résolutions en énergie de détecteurs γ NaI(Tl), HPGe et LaBr3:Ce. Ce dernier représente un bon compromis entre les deux premiers, usuellement utilisés en spectroscopie nucléaire, et a l’avantage de fonctionner à température ambiante. Il serait également intéressant d’étudier l’application potentielle du silicium noir à la spectrométrie bêta, et d’électrons plus généralement. Ce cristal de silicium présente une surface nanostructurée suite à une préparation spécifique. Depuis sa découverte dans les années 1990, plusieurs techniques de préparation ont été explorées. L’une d’entre elles consiste à placer le cristal de silicium dans une chambre à vide, de la remplir de gaz SF6

(hexafluorure de soufre) et d’irradier le cristal avec les impulsions ultra-courtes d’un laser femtoseconde [Her98]. La surface obtenue, très noire, présente un ensemble de pointes très

structuré à l’échelle nanométrique. Une surface typique est présentée en figure 4.3. Ses propriétés optiques sont exceptionnelles : la réflexivité du silicium, usuellement autour de 30%, peut baisser jusqu’à seulement 5% dans une large gamme de longueur d’onde, de l’infrarouge à l’ultra-violet. Un champ de recherche particulièrement actif concerne son application à la production de cellules photovoltaïques plus efficaces [Lv18].

Figure 4.3 – Surface nanostructurée d’un silicium noir. Figure extraite de Wikipédia. Il est raisonnable de penser que la diminution de réflexivité du silicium va concerner également les électrons. Les particules β issues de la source ont une forte probabilité de rétrodiffuser sur le détecteur silicium, et elle est d’autant plus importante que leur énergie cinétique est faible. Ce phénomène est à l’origine d’une déformation majeure du spectre mesuré et sa correction introduit une incertitude importante. C’est pourquoi notre dispo-sitif a évolué vers une configuration géométrique compacte, pour laquelle une déformation, certes beaucoup plus faible, reste malgré tout présente. Or, on peut s’attendre à ce qu’un électron arrivant sur une telle surface nanostructurée ait une probabilité plus faible de ré-trodiffuser car : i) il va traverser une plus faible quantité de matière au niveau des pointes ; ii) s’il repart en arrière, il aura une plus grande chance d’être réabsorbé dans les pointes ; et iii) comme il a très peu de chance d’arriver en incidence normale sur une surface, il dif-fusera préférentiellement vers d’autres pointes. Un tel détecteur aurait donc des propriétés excellentes pour la mesure de spectres bêta, mais aussi d’électrons Auger et d’électrons de conversion interne. Des photodiodes de silicium noir commencent à être disponibles chez certains fabricants de détecteurs. Elles permettraient de tester cette éventualité.