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UNE COMPETENCE ETHIQUE DISCURSIVE : LE CADRE CONCEPTUEL

Introduction : rappel de l’objet de recherche et de la problématique

UNE COMPETENCE ETHIQUE DISCURSIVE : LE CADRE CONCEPTUEL

L’éthique de la discussion d’Habermas, en tant que variation du Sensemaking, permet de donner un éclairage intéressant en management de la santé.

Sensemaking et théories des organisations

Aujourd’hui, la théorie du Sensemaking est l’un des cadres conceptuels les plus féconds et les plus souvent utilisés en sciences de gestion (Bartunek, Rynes et Ireland, 2006 ; Oswick, Fleming et Hanlon, 2011). Elle est issue des théories sociopsychologiques et a été développée par Weick (1995 ; 2009).

Ses objets de recherche sont les suivants : les événements inhabituels, l’équivocité, le rôle du langage, l’utilisation des métaphores, l’introduction du contexte, aussi bien que la lecture critique des connaissances et les explications contre-intuitives (Bensebaa et Autissier, 2006). Selon Weick, formuler une situation comme un problème ou plus largement comme une opportunité, un dilemme, un paradoxe, un conflit ou une préoccupation conduit à élaborer du sens (Vidaillet, 2003).

Comprendre, c’est créer du sens (Weick, 1995). Weick plaide pour une science des organisations riche en variété d’interprétations afin d’appréhender les phénomènes complexes.

La nature du Sensemaking

Les questions auxquelles les personnes intéressées par le Sensemaking essayent de répondre sont les suivantes : « Comment les personnes construisent ce qu’elles construisent ? Pourquoi ? Et avec quels effets ? ».

D’abord, le processus de création de sens, est une activité individuelle et sociale. Le Sensemaking peut être vu comme une activité individuelle, privée, et défini comme « un processus à partir duquel les individus développent des cartes cognitives de leur environnement » (Ring et Rands, 1989, dans Weick, 1995, p.6). Mais, il peut aussi être vu comme une activité sociale, nécessaire. Le Sensemaking permet aux membres d’une organisation de partager et de développer une compréhension commune de leur environnement, des réussites de l’organisation comme des problèmes auxquels elle est confrontée ainsi que la manière de les résoudre (Feldman, 1989 cité par Weick, 1995). De

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plus, le Sensemaking a quelque chose à voir avec l’argumentation basée sur des systèmes de valeurs et des croyances qui varient selon les individus.

Deuxièmement, le Sensemaking concerne le passé, le présent et le futur. C’est une combinaison de moments passés + une connexion + le moment présent de l’expérience qui nous conduit à définir la situation présente et à agir dans le futur. La même activité peut refléter le processus de création de sens et le processus de compréhension de l’environnement. Le Sensemaking est donc davantage qu’une activité d’interprétation. Il s’agit autant de créer du sens que de lire du sens (p.16). Discuter de création de sens, c’est parler de la réalité comme un accomplissement en cours, qui prend forme lorsque les gens produisent un sens rétrospectif des situations dans lesquelles ils se trouvent et de leurs conséquences (Weick, 1995).

Pour expliquer davantage ce qu’est le Sensemaking, Weick utilise la phrase de Graham Wallace (1926, p.106, cité par Weick, 1995, p.8) : « Comment puis-je savoir ce que je pense avant d’avoir vu ce que je dis ? ». Cette citation attire notre attention sur l’importance de la narration, en présentant l’action et le discours comme des cycles plutôt que comme une séquence linéaire. En effet, lorsqu’on fait face à des événements inattendus, on cherche à recréer du sens. Le Sensemaking se situe entre l’interprétation et l’action. Il essaye d’organiser le flux et de rationaliser le chaos à partir de signaux, que nous sélectionnons.

Finalement, c’est d’abord une question de langage, de conversation et de communication (Weick, 2009). C’est un processus qui commence par la sélection des événements, que nous effectuons à partir de nos schémas de pensée et de nos cartes cognitives. Il s’agit d’une activité continue de catégorisation et d’étiquetage, d’individus socialisés. Les gens essayent d’expliquer l’interruption d’activité à partir de leurs « cadres » de référence. Les interprétations sont des narrations à partir d’interactions. Ce sont des réponses à l’ambiguïté et à l’incertitude qui sont la conséquence d’événements inhabituels que nous pouvons rencontrer. Elles permettent la construction d’une histoire plausible et de continuer l’action en mouvement. Il s’agit davantage d’une question de plausibilité que de rationalité.

Le Sensemaking est enraciné dans les 7 propriétés suivantes : (1) La construction identitaire, (2) la rétrospection, (3) l’adaptation et la ré-action à l’environnement (enactment), (4) la socialisation, et (5), le caractère continu du processus, (6) l’accent mis sur la sélection d’événements et (7) la plausibilité plutôt que sur la rationalité, auxquelles il faut ajouter l’importance des émotions (Weick, 2005).

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Le recours à la compétence éthique discursive nous permet de donner une version plausible de la façon dont la théorie peut porter un éclairage sur une étude empirique. Ce processus de création peut éclairer le sens que les soignants donnent à leur activité.

Sensemaking et éthique de la discussion

Le lien qui peut être fait entre les théories des organisations et l’éthique est désormais bien établi (Collier, 1998).

L’activité de prendre soin…

La prise en charge d’un patient, vue comme une relation et non une fusion, une compassion ou une connaissance, implique de la délibération, de la décision et de la justification (Canto- Sperber et Ogien, 2004). C’est un acte singulier parce qu’il nous oblige à regarder l’autre : le patient, comme un « autre singulier ». C’est une activité qui engage les relations humaines complexes. Parfois, les personnes engagées dans les activités de soin doivent faire face à la brutalité de la réalité et à des émotions fortes. Cela est propice à la mobilisation et au développement d’une compétence éthique.

L’éthique de la discussion de Jürgen Habermas

L’éthique de la discussion (1991) nous fournit un cadre d’analyse avec lequel les aspects normatifs de la prise de décision dans les organisations peuvent être analysés. Les questions éthiques cherchent à répondre à la question suivante : comment dois-je mener au mieux ma vie en fonction de mes valeurs ? Elles sont enchâssées dans les questions d’identités. Elles ne suffisent pas cependant à fixer des normes universellement valides. Ce sont les questions morales qui vont permettre de définir un consensus permettant de résoudre les conflits et d’agir collectivement de la façon la plus « juste » possible (correctness).

Habermas, nous explique que ce consensus est le fruit d’un processus de communication intersubjectif. Les participants doivent trouver un consensus en argumentant, justifiant rationnellement leur éthique personnelle et professionnelle, et en comprenant les intérêts des autres (Habermas, 1986) de sorte que « seules celles des normes qui pourraient trouver l’assentiment de tous les concernés en tant que participants à une discussion pratique peuvent aspirer à la validité » (p.61).

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Le consensus ainsi trouvé peut donc être différent de la réponse qu’aurait apportée l’éthique personnelle. Cela explique pourquoi la norme validée par une éthique de la discussion peut malmener l’identité autant qu’elle peut la renforcer.

L’éthique de la discussion est une éthique post métaphysique, néo-kantienne, qui prend en compte le contexte et les conséquences de l’action (Habermas, 1991). L’éthique d’Habermas est réflexive, intersubjective et inter compréhensive. Il s’agit davantage d’un processus de communication que de règles dogmatiques. Elle suppose que tous les intéressés à une question doivent être invités à participer à la discussion librement et à égalité, dans une recherche de vérité où ne vaut que la seule force de l’argument le meilleur.