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Introduction : rappel de l’objet de recherche et de la problématique

LE CAS D’UN SERVICE D’ONCOPEDIATRIE

Contexte

Afin de comprendre le processus de Sensemaking, il est important de rappeler le contexte dans lequel les soignants créent du sens. Durant les entretiens, en parlant, et donc en créant du sens, les soignants ont montré comment ils avaient mobilisé et développé leur compétence éthique.

Le service d’oncologie pédiatrique, dans lequel nous avons mené nos entretiens, est « un endroit de mobilisation extrême aussi bien pour les soignants que pour les familles et les patients » (chef de service).

Le cancer est une pathologie complexe, qui nécessite un système d’informations complexe ainsi qu’un système de création de sens. Sous la pression des familles, les médecins se doivent de partager ces informations et de les rendre compréhensibles par tous. De plus, c’est un service qui s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue. Le chef de service soutient et/ou porte de nombreux projets. Parce que la charge de travail est lourde à la fois physiquement et psychologiquement, différents espaces de discussion sont nécessaires. Ce service d’oncopédiatrie peut être décrit à partir des trois spécificités suivantes : le caractère incertain et parfois ambigu des prises en charge ; une faible attractivité mais un fort engagement et une variété de parties prenantes avec la prédominance d’une d’entre elles : la famille.

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Un univers incertain et ambigu

Sont traités dans ce service, les bébés, enfants et adolescents souffrant d’une maladie du sang ou ayant développé un cancer. Ces jeunes patients résident dans le service de quelques semaines à plusieurs années. Il s’agit donc d’une prise en charge sur le moyen et long terme, d’une pathologie qui parfois devient chronique. Des relations intenses vont se développer entre le personnel et les familles. La plupart de ces patients vont donc être traités puis être en rémission et enfin guérir. Il arrive néanmoins que certains d’entre eux décèdent dans le service ou de plus en plus fréquemment à leur domicile. Dans tous les cas, il règne toujours une incertitude quant à l’issue de la maladie. Le personnel et les familles dans ce service doivent faire avec l’idée de la possibilité de la mort, avec « la possibilité connue d’un désastre » (Cohen et Gooch, 1990, cité dans Weick, 2005). C’est particulièrement le cas, lorsque les enfants quittent le protocole standard de soin. Le médecin doit alors décider de la pertinence d’une énième ligne de chimiothérapie, d’une intervention chirurgicale ou bien d’une greffe de moelle osseuse dont le calcul bénéfice-risque n’est pas toujours évident. Tous vont recevoir des soins dont les effets secondaires seront difficiles à supporter tant du point de vue des patients et de leur famille que du point de vue des personnels. Si le choix des traitements est fortement « protocolisé », standardisé, la gestion quotidienne des effets secondaires des traitements entraîne une négociation et des ajustements de normes en perpétuel mouvement.

Ces ambiguïtés concernant la prise en charge quotidienne sont dues aux flux constants d’information, aux différentes façons de les interpréter et aux différents rôles des soignants du service.

Faible attractivité et fort engagement

De plus, dans ce service, nous pouvons constater un paradoxe : il existe à la fois un problème de faible attractivité et de fort engagement chez ceux qui choisissent de rejoindre ce service ou d’y rester. Bien que le personnel ne choisisse pas forcément ce service et que certains d’entres eux choisissent de le quitter, tous ceux qui restent l’ont choisi. Ils choisissent de rester parce qu’ils découvrent un service dynamique et plein de vie, dans lequel « on voit des choses qu’on ne verrait nulle part ailleurs » (puéricultrice). Ils envisagent difficilement de quitter le service de peur de s’ennuyer ou d’être moins utiles ailleurs.

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Une variété de participants

Ce service comme tous les services de l’hôpital est caractérisé par la suprématie de l’expertise médicale et la répartition sexuée des rôles professionnels. Cependant, la reconnaissance dans ce service de l’ensemble des parties prenantes, est facilitée par la volonté du chef de service de partager l’information et par les négociations quotidiennes des effets secondaires de la prise en charge.

Tous les participants partagent l’objectif de l’hôpital en tant qu’institution : assurer la meilleure prise en charge possible pour le patient. Ils partagent tous les principes très présents en pédiatrie d’une prise en charge globale impliquant les familles. Cette prise en compte des familles est renforcée dans le cas présent par le fait que les séjours sont de longue durée, de quelques semaines à plusieurs mois consécutifs, durant lesquels, sauf exception, un des parents reste dormir avec l’enfant. Le service devient donc le lieu de vie des familles qui vont cohabiter avec les autres familles et toutes les catégories de professionnels et de bénévoles intervenant dans le service.

La présence en continu des parents induit la prise en compte d’une multiplicité des « mondes de la vie » (Habermas, 1992) rendant nécessaire une universalisation des normes et respectant dans le même temps les contextes de chaque famille. En outre, la présence continue des parents met une pression sur le personnel médical favorisant le dialogue entre les différentes parties prenantes. Par conséquent, l’ensemble des parties prenantes participent au Sensemaking : les soignants comme les familles. Le processus de création de sens est influencé par une variété de facteurs sociaux : les schémas de pensée, les discussions, les interactions, les négociations et les informations (Weick, 2005).

Méthodologie

30 entretiens semi-directifs ont été conduits avec le personnel soignant et non-soignant, dans cette unité d’oncologie pédiatrique entre mai et décembre 2013. La décision de mener ces entretiens a été prise car pendant les entretiens, les personnes sont des créateurs de sens. Elles élaborent un discours plausible. Pour cette étude, nous avons sélectionné les personnels présents aux réunions hebdomadaires, appelées « staff » : personnel soignant1 : médecins,

1 Par souci de simplification, nous parlerons de « personnel soignant » pour l’ensemble des personnels intervenant dans la prise en charge du patient

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puéricultrices et auxiliaires de puériculture ou « faisant-fonction » ; personnel non soignant : assistante sociale, psychologue et enseignant d’activités physiques adaptées.