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Une clarification terminologique : alg` ebre et Alg`ebreAlg`ebre

Le cadre qu’on vient rapidement de d´ecrire ne marque pas seulement les math´ematiques euclidiennes, il est aussi celui dans lequel les math´ematiques ´evolu`erent jusqu’`a la fin du XVI`emesi`ecle. La transformation profonde qui correspond `a la naissance de l’analyse, dont je me propose ici de montrer un pr´elude, fut pr´ec´ed´ee par une autre transformation, peut-ˆetre moins profonde, mais sans doute telle qu’elle a fourni aux math´ematiciens de la deuxi`eme moiti´e du XVII`eme si`ecle un cadre plus souple, dans lequel la s´eparation nette entre th´eorie des nombres et th´eories des grandeurs avait ´et´e largement r´esorb´ee. Pour faciliter la descrip-tion, qui ne pourra qu’ˆetre fort rapide, de cette transformation pr´ealable, je commencerai par introduire une pr´ecision terminologique : je distinguerai trois sens, essentiellement dis-tincts, qu’il me paraˆıt possible d’assigner au termes “alg`ebre” et `a ses d´eriv´es. Il me semble en effet que ces termes sont souvent employ´es par les historiens des math´ematiques d’une mani`ere impr´ecise, et que cela est la raison de plusieurs confusions que je voudrais en re-vanche m’efforcer d’´eviter.

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D’abord, j’utiliserai ce terme, que j’´ecrirai alors en italique, pour me r´ef´erer `a la th´eorie math´ematique, ou, pour ˆetre plus pr´ecis, `a la classe d’´equivalence de th´eories math´ematiques, qui fixent les r`egles de transformation des ´ecritures symboliques, ne com-portant que des symboles de quantit´es d’une part et des symboles indiquant l’addition, la soustraction, la multiplication, la division, l’extraction de racine, l’´egalit´e et l’in´egalit´e d’autre part, de mani`ere ind´ependante de la nature des quantit´es que les premiers de ces symboles indiquent. Une telle ´ecriture sera ensuite dite “alg´ebrique” (toujours en italique) seulement si on est dispos´e `a lui assigner un sens ind´ependamment de la d´etermination de la nature de ces quantit´es.

Si la reconstruction ci-dessus est correcte, il s’ensuit que, dans le cadre des math´ematiques classiques, il n’y a pas d’espace pour de l’alg`ebre. Cela ne d´epend pas, ´evidemment, de l’absence de la notation symbolique qui nous est ajourd’hui habituelle. En effet, l’absence de cette notation n’empˆecha pas, par exemple, Diophante ou les math´ematiciens arabes d’employer des formules stables et codifi´ees pour indiquer des rela-tions ou des op´erations r´ef´er´ees `a des nombres. Ainsi, employer notre notation et ´ecrire par exemple “x2+1−2x” pour indiquer un nombre inconnu que Diophante cherche `a d´eterminer ne me semble pas une trahison majeure quant `a la nature des math´ematiques diophan-tiennes14. Le point est que la mani`ere dans laquelle un math´ematicien travaillant dans le cadre classique pouvait traiter ces formules n’´etait pas ind´ependante de la consid´eration de la nature des quantit´es auxquelles ces formules ´etait r´ef´er´ees. Lorsqu’elle est cens´ee indiquer une formule de l’arithm´etique de Diophante, l’´ecriture pr´ec´edente n’est donc pas alg´ebrique,

14Les livres I-VI de l’Arithm´etique de Diophante furent imprim´es pour la premi`ere fois, en latin, dans la traduction et avec le commentaire de G. Xylander, en 1575 [cf. Diophante (AX), et, pour une ´edition moderne, Diophante (OT)]. Les livres IV-VII n’ont surv´ecu qu’en traduction arabe et sont maintenant disponible grˆace `a l’´edition faite par J. Sesiano [cf. Sesiano (1982)]. L’exemple consid´er´e dans le texte est pris du livre VI,§ 16 [cf. Sesiano (1982), 149 et 392-393].

dans mon sens, de mˆeme que ne l’est pas l’´ecriture “3a = b ” r´ef´er´ee `a la g´eom´etrie d’Eu-clide15.

Suivant ma convention, on ne peut donc pas parler d’alg`ebre avant qu’on ait fourni une d´efinition g´en´erale de l’addition, la soustraction, la multiplication, la division et l’extraction des racines, c’est-`a-dire une d´efinition de ces op´erations en tant qu’op´erations portant sur n’importe quelle sorte de quantit´es et donc ind´ependantes de la nature particuli`ere de ces quantit´es. La question est ´evidemment plus compliqu´ee pour les trois derni`eres op´erations, car dans les math´ematiques classiques, d’Euclide jusqu’`a la fin du XVI`eme si`ecle, on ne dis-posait pas d’une d´efinition de la multiplication (et donc de la division et de l’extraction de racine) propre `a n’importe quelle sorte de grandeur : on assignait un sens `a des op´erations qu’on pourrait penser respectivement comme une multiplication, une division d’une gran-deur par un nombre16, ou une multiplication de deux nombres ; `a diverses ´epoques, on commen¸ca mˆeme `a traiter comme un nombre le r´esultat de la division des deux nombres quelconques entre eux, et de l’extraction d’une racine d’un nombre quelconque ; mais on n’assigna pas de sens ni `a la multiplication ou `a la division de deux grandeurs, ni `a l’extrac-tion des racines d’une grandeur.

Le fait de disposer d’une d´efinition g´en´erale de l’addition, de la soustraction, de la mul-tiplication, de la division et de l’extraction des racines n’est pourtant pas encore une condi-tion suffisante pour pouvoir se r´eclamer de ces op´erations en g´en´eral, pour assigner certaines propri´et´es `a des quantit´es. Je m’explique. Supposons d´efinie l’addition entre segments. En disant que le segment z est la somme des segments x et y nous disons alors quelque chose de ces segments, nous affirmons qu’ils jouissent de certaines propri´et´es. On peut en revanche imaginer une d´efinition de l’addition en g´en´eral qui n’exige pas une d´efinition pr´ealable de la quantit´e en g´en´eral. L’´ecriture alg´ebrique “y + x = z” ne pourra pas dans ce cas nous dire quelque chose des quantit´es x, y et z. Dans ces conditions, une ´ecriture “alg´ebrique” ne nous dit pas que certaines quantit´es jouissent de certaines propri´et´es ; elle ne correspond qu’`a une ´

etape dans une proc´edure de transformation symbolique, exprimant dans son ensemble des propri´et´es de certaines op´erations. Pour ne donner qu’un exemple, en tant qu’alg´ebrique, l’´ecriture “x + y = z” ne nous dira pas, dans ces conditions, que la quantit´e z est la somme des quantit´es x et y, mais elle exprimera, confront´ee `a l’autre ´ecriture alg´ebrique “y +x = z”, la commutativit´e de l’addition. On verra que celle-ci est justement la situation dans laquelle

15En histoire des math´ematiques, le terme “alg`ebre” est g´en´eralement employ´e pour indiquer une classe de th´eories ayant `a faire avec des expressions symboliques o`u interviennent des symboles litt´eraux indiquant des quantit´es, connues ou inconnues, et d’autres symboles indiquant des op´erations d’addition, soustraction, multiplication, division et extraction de racines portant sur ces quantit´es. J. Klein est all´e jusqu’`a soutenir [cf. Klein (1934-1936)] que “la cr´eation du langage formel des math´ematiques est identique `a la fondation de l’alg`ebre moderne”. Bien que Klein fˆut bien conscient que cette “cr´eation” n’´etait pas ind´ependante d’une nouvelle conception des quantit´es (en particulier des nombres, d’apr`es Klein), cette insistance sur les aspects notationnels a port´e beaucoup d’historiens des math´ematiques `a croire (ou `a raisonner comme s’ils croyaient) que parler d’alg`ebre, au moins avant Abel et Galois, ne revient qu’`a parler d’un certain syst`eme notationnel et des r`egles de manipulation des notations qui interviennent dans ce syst`eme. Cela me semble une m´esentente profonde. Je suis naturellement persuad´e que la possibilit´e de l’alg`ebre, dans mon sens, tient `a l’introduction de notations permettant de se r´ef´erer en g´en´eral `a des quantit´es ind´etermin´ees [cf. `a ce propos la note (43), ci-dessous], mais je vise, par ma d´efinition, `a isoler la question qui me semble essentielle, et qui n’est pas, je crois, une question de notations.

16Cf. la note (8), ci-dessus. Cela ne signifie ´evidemment pas qu’on savait toujours construire les grandeurs r´esultant d’une multiplication d’un nombre par une autre grandeur (comme le montre le cas de la duplication du cube), ou d’une division d’une grandeur par un nombre (comme le montre le cas de la trisection de l’angle).

se trouvera Vi`ete.

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Du fait que dans le cadre des math´ematiques classiques on ne puisse pas parler d’alg`ebre dans le sens pr´ec´edent, il ne s’ensuit pas que le terme “alg`ebre” ne puisse pas ˆetre convena-blement employ´e (et mˆeme, d’un point de vue strictement philologique, plus convenablement employ´e) pour indiquer une th´eorie math´ematique, ou une classe d’´equivalence de th´eories math´ematique, qui eˆut, dans ce mˆeme cadre, son espace indiscutable. Je me r´ef`ere aux th´eories — allant de l’arithm´etique de Diophante, jusqu’aux travaux de la tradition arabe et de l’´ecole italienne de Cardano, Tartaglia, Ferrari, Scipione del Ferro, Bombelli — visant la solution d’une large classe de probl`emes num´eriques et, plus en g´en´eral, la manipulation (c’est-`a-dire la transformation) des structures symboliques indiquant des op´erations sur les nombres. Pour me r´ef´erer `a ces th´eories j’emploierai le terme “Alg`ebre num´erique” (´ecrit en romain, et avec une majuscule)17.

Plus g´en´eralement, j’emploierai les termes “Alg`ebre” et “Alg´ebrique” (toujours en ro-main et avec majuscule) pour me r´ef´erer `a des th´eories traitant des relations qui s’instaurent parmi des quantit´es d’une nature d´etermin´ee par l’application `a ces quantit´es d’op´erations qu’on reconnaˆıt comme des additions, des soustractions, des multiplications, des divisions ou des extractions de racines, ces op´erations ´etant ´evidemment d´efinies par rapport `a ces quantit´es. L’Alg`ebre num´erique doit ainsi, selon cette convention, ˆetre con¸cue comme une parmi de nombreuses Alg`ebres possibles ; n´eanmoins elle fut la seule `a ˆetre d´evelopp´ee `a l’int´erieur du cadre des math´ematiques classiques.

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Le d´eveloppement de l’Alg`ebre num´erique ne se fit pas sans que des relations, mˆeme ´etroites, fussent ´etablies entre celle-ci et la g´eom´etrie. Les math´ematiciens arabes avait d´ej`a fait usage d’une pratique consistant `a accompagner l’´enonciation des r´esultats Alg´ebriques par des illustrations g´eom´etriques18. Les math´ematiciens de la Renaissance n’abandonn`erent pas cette pratique, et arriv`erent mˆeme `a qualifier ces illustrations de “d´emonstrations”19. Bien qu’on puisse ramener cette coutume `a un respect de la tradition classique, d’apr`es

17Le but de ma recherche me permet, je crois, de passer sous silence une distinction majeure : celle entre une th´eorie des nombres en tant que multitudes d´etermin´es d’unit´es, et une th´eorie des nombres en tant que quantit´es d’une esp`ece particuli`ere. La th`ese fondamentale de l’´etude classique de J. Klein `a propos de “l’origine de l’alg`ebre” [cf. Klein (1934-1936)] est justement que cette origine tient au passage de la premi`ere de ces conceptions du nombre (qui pour Klein est le propre de l’arithm´etique grecque) `a la deuxi`eme. Bien que pr´epar´e par l’œuvre de Diophante (qui est pourtant encore “concern´e seulement par la recherche de nombres enti`erement d´etermin´es” et vise l’´etude des “relations possibles que [ces] nombres [...] peuvent avoir entre eux” [cf. Klein (1934-1936), 134-135]), ce passage n’aurait compl`etement lieu qu’avec Vi`ete et serait intimement connect´e avec l’introduction d’un nouveau formalisme. La th`ese de Klein est sans doute fascinante, mˆeme si celui-ci ´evite malheureusement de la mettre `a l’´epreuve d’une ´etude des textes issus de la tradition arabe et de la Renaissance italienne (ce qui d’apr`es C. Fraser [cf. Fraser (1997), 48-50] aboutirait `

a une relativisation du rˆole de Vi`ete dans ce passage). Elle reste pourtant, en tant que telle, ind´ependante de la question que j’aborde ici : celle de l’unification des th´eories des nombres et des grandeurs, d´ej`a pens´es, les uns et les autres, comme des quantit´es d’une esp`ece particuli`ere.

18Cf. : Giusti (1992), 304 ; et Rashed (1994), 13-14 ; et (1996), 359-362.

laquelle la g´eom´etrie aurait constitu´e la partie logiquement premi`ere des math´ematiques20, il me semble difficile de justifier, dans le cadre th´eorique des math´ematiques de l’´epoque, la possibilit´e de faire d´ependre la preuve de r´esultats propres `a l’Alg`ebre num´erique de la consid´eration d’objets g´eom´etriques. Il me semble plutˆot que ces “d´emonstrations” doivent ˆ

etre con¸cues comme des constructions, visant `a fournir des “mod`eles g´eom´etriques”21pour ces r´esultats, en particulier pour des classes d’´equations et pour les proc´edures conduisant `a la d´etermination de leurs racines. Si on peut donc parler, en toute l´egitimit´e, de “construc-tions g´eom´etriques des ´equations”22, il reste que ces constructions ne pouvaient que fonc-tionner comme des illustrations, des confirmations, des v´erifications, des justifications par analogie, des g´en´eralisations23, mais non pas, au sens strict, comme des preuves.

Cette possibilit´e de fournir des mod`eles g´eom´etriques de th´eor`emes ou probl`emes num´eriques se fondait ´evidemment sur les analogies, d´ej`a largement ´etal´ees dans les

´

El´ements, entre les produits de deux nombres et les rectangles et entre les produits de trois nombres et les parall´el´epip`edes24.

L’´egalit´e

(a + b)2= a2+ 2ab + b2 (1.5) o`u les symboles “a” et “b” indiquent des nombres quelconques, pr´esente par exemple une analogie ´evidente avec l’´egalit´e g´eom´etrique

R ((a + b), a) + R ((a + b), b) = Q(a + b) (1.6) o`u les symboles “a” et “b” indiquent des segments quelconques et les symboles “R(x, y)” et “Q(y)” d´enotent respectivement le rectangle construit sur les segments x et y et le carr´e construit sur le segment x, ´egalit´e exprimant le contenu de la proposition II.2 des ´El´ements. La proposition VI.16 des mˆemes ´El´ements ´etait d’ailleurs l`a pour montrer que des analo-gies comme celles-ci ne pouvaient pas ˆetre purement occasionnelles. En affirmant que quatre segments quelconques “x”, “y”, “X” et “Y ” sont en proportion si et seulement si le carr´e construit sur les segments “x” et “Y ” est ´egal au carr´e construit sur les segments “y” et “X”, cette proposition ´enon¸cait en effet l’´equivalence

(x : y = X : Y )⇔ (R(x, Y ) = R(y, X)) (1.7) dont l’analogie avec l’´equivalence (1.4) est ´evidente.

Si x, y et z sont trois segments commensurables, que le segment h est leur mesure commune, et que n, m et p sont trois nombres (entiers positifs) tels que x = nh, y = mh

20Cf. Freguglia (1989), 4.

21Cf. Freguglia (1994), 260 et (1999), 113. 22Cf. Freguglia (1991), 202.

23Cf. Giusti (1992), 304, o`u, apr`es avoir cit´e la th`ese classique, d’apr`es laquelle les mod´elisations g´eom´etriques des r´esultats de l’Alg`ebre num´erique s’expliquent “par le fait que seule la g´eom´etrie ´etait [consid´er´ee comme ´etant] `a mˆeme de produire des preuves”, E. Giusti ajoute une autre explication qui me semble ˆetre, de loin, plus satisfaisante et correcte : “seul le langage de la g´eom´etrie rendait possible [`a cette ´

epoque] la traduction d’un exemple num´erique particulier en une situation g´en´erale”.

24L’analogie entre les th´eor`emes du livre II des ´El´ements et les r`egles fondamentales de l’Alg`ebre num´erique a fait l’objet de nombreuses discussions. M. S. Mahoney [cf. Mahoney (1994), 32-33] a rap-pel´e que d´ej`a Pierre de la Ram´ee avait insist´e sur cette analogie [cf. La Ram´ee (1599)]. Elle a t soulign´ee, `

a la fin du XIX`eme si`ecle par Tannery et Zeuthen [cf. Tannery (1882), 257-259 et Zeuthen (1886), ch. I, 1-38], entre autres. Plus r´ecemment, Giusti [cf. Giusti (1992), 304] a parl´e d’ “´equivalence essentielle entre les r`egles de l’alg`ebre et les m´ethodes du deuxi`eme livre des ´El´ements d’Euclide”.

et z = ph, il est de surcroˆıt facile de montrer que le rectangle construit sur x et y et le parall´el´epip`ede construit sur x, y et z contiennent respectivement nm carr´es ´egaux au carr´e construit sur h et nmp cubes ´egaux au cube construit sur h. On aura alors les implications suivantes : x = nh y = mh  ⇒ R(x, y) = nm [Q(h)] (1.8) et x = nh y = mh z = ph    ⇒ P (x, y, z) = nmp [C(h)] (1.9) o`u les symboles “P (x, y, z)” et “C(h)” d´enotent respectivement le parall´el´epip`ede construit sur les segments x, y et z et le cube construit sur le segment h.

Ce fut probablement ce fait ´evident, joint aux analogies indiqu´ees ci-dessus, qui conduit `

a penser et indiquer respectivement un rectangle et un parall´el´epip`ede comme des produits de segments. Il ne faut pourtant pas penser cette pratique comme une d´efinition d’une op´eration de multiplication entre segments, analogue `a la multiplication entre nombres. Contre cette interpr´etation ne milite pas seulement l’absence d’une d´efinition explicite, mais surtout deux circonstances math´ematiques aussi ´evidentes que le fait et les analogies pr´ec´edents : d’abord l’impossibilit´e d’´etendre, dans le cadre des math´ematiques classiques, une ´eventuelle d´efinition de la sorte au cas du produit de plus de trois segments ; ensuite, l’impossibilit´e de comparer, et donc d’additionner, un produit ainsi d´efini avec les segments de d´epart, un produit de deux ou trois nombres ´etant au contraire parfaitement comparable, et donc additionnable, avec ces nombres. Rien de similaire `a une application de l’Alg`ebre num´erique au traitement des grandeurs, ne peut d´ecouler ainsi d’une telle pratique.

Ainsi, s’il ne faut donc pas confondre les constructions g´eom´etriques des ´equations25, et, plus g´en´eralement, les mod´elisations g´eom´etriques des r´esultats propres `a l’Alg`ebre num´erique ´egalement r´epandues parmi les math´ematiciens de la Renaissance, avec des ap-plications de la g´eom´etrie `a l’Alg`ebre num´erique, il ne faut pas non plus confondre ces mod´elisations avec des applications de l’Alg`ebre num´erique `a la g´eom´etrie26. En effet, une chose est d’observer que l’´egalit´e (1.6) et l’´equivalence (1.7) correspondent respecti-vement `a l’´egalit´e (1.5) et `a l’´equivalence (1.4), une autre, bien diff´erente est de prouver l’´egalit´e (1.6) et l’´equivalence (1.7) en se r´eclamant respectivement de l’´egalit´e (1.5) et de

25Des exemples particuli`erement significatifs de ces constructions se trouvent autant dans le II`emelivre de l’Alg`ebre de R. Bombelli [cf. Bombelli (1572)], que dans le II`eme livre de l’Arithm´etique de S. Stevin [cf. Stevin (1585)]. Sur les exemples de Bombelli, cf. Freguglia (1988), 101-102 ; (1989), 75-77 ; (1991), 202-204 ; (1994), 264-271 ; et (1999), 100-116 ; sur ceux de Stevin, cf. Freguglia (1992), 137-140. Bombelli revint aussi sur la question dans le quatri`eme livre de l’Alg`ebre [cf. Giusti (1992), 308-318], qui, de mˆeme que le cinqui`eme, resta in´edit jusqu’`a 1929, date `a laquelle, il fut publi´e par E. Bortolotti [cf. Bombelli (AB IV,V) et, pour l’´edition int´egrale du trait´e, Bombelli (AB)].

26Il est pourtant facile de comprendre que de toute mod´elisation g´eom´etrique d’un r´esultat num´erique, on peut tirer, par renversement, des mod`eles num´eriques de r´esultats g´eom´etriques, et parvenir de l`a, par g´en´eralisation, `a un usage de l’Alg`ebre num´erique comme un “guide [que je dirais heuristique pour la solution de probl`emes g´eom´etriques” [cf. Giusti (1992), 304]. En se r´eclamant de l’œuvre de Bombelli, Giusti a ainsi r´esum´e ce processus : “a geometrical problem, often [...] an abacus problem in geometric disguise, is solved by putting it into equations, solving that equation by means of the algebraic rules, and then following step by step the solution formula, or rather the computational path, which proceeds itself from inside out, in order to produce a geometric construction” [cf. Giusti (1994), 317].

l’´equivalence (1.4). Ce serait seulement cette inf´erence d´emonstrative qui marquerait une ap-plication de l’Alg`ebre num´erique `a la g´eom´etrie, mais c’est aussi exactement cette inf´erence d´emonstrative qui est impossible dans le cadre des math´ematiques classiques.

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Ce qui est commun entre les deux significations pr´ec´edentes des termes “alg`ebre” et “Alg`ebre” est qu’elles ´etablissent les limites de ce qui est dit “alg´ebrique” ou “Alg´ebrique” de mani`ere explicite, ou mˆeme compositionnelle : ces limites sont par d´efinition celles de l’application, ou de la pr´esence d’un ensemble d´etermin´e et restreint d’op´erations (d´efinies de mani`eres diff´erentes dans les deux cas), `a savoir, l’addition, la soustraction, la multiplication,