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Une approche privilégiant interdisciplinarité et complémentarité

HENRI LEU

B) Une approche privilégiant interdisciplinarité et complémentarité

L’avocat, pas plus d’ailleurs que le juge, ne saurait, en souverain solitaire du haut de sa tour d’ivoire, décréter ce qu’est l’intérêt supérieur du mineur dans un cas d’espèce.

L’intérêt supérieur du mineur doit, dans chaque cas, faire l’objet d’une recherche aussi approfondie que possible, basée sur la connaissance du réseau, de la famille et de son fonctionnement, du parcours scolaire et médico-social, des fréquentations du mineur, de son état de santé physique et psychique, et prenant en compte l’âge et le degré de développement du jeune prévenu. Comme le relève le Conseil fédéral dans son message du 21 septembre 1998, « ces investigations fondent un mode de travail particulier qualifié d’interdisciplinaire et justifient l’intervention, déjà bien avant le jugement, des services de protection de l’enfant par le biais de mesures prises à titre provisoire ou de mandats d’enquête sociale »100

.

Les acteurs de la justice (policier, juge, procureur, fonctionnaire pénitentiaire, avocat), du monde social (pédagogue, assistant, éducateur spécialisé) et du corps médical (médecin, psychologue, psychothérapeute, psychiatre, expert) sont ainsi en quelque sorte « condamnés » à une collaboration, plus ou moins contrainte, aux fins de déterminer l’intérêt supérieur du mineur et permettre la mise en œuvre de la réponse la mieux adaptée aux besoins du mineur et de la société. L’avocat du mineur, à l’instar des autres acteurs de la scène judiciaire des mineurs, doit ainsi privilégier une approche interdisciplinaire, dans le respect de

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la complémentarité du rôle de chacun, sans oublier celui de la famille et de la victime.

Questions ouvertes ayant une incidence sur le rôle de l’avocat des mineurs

L’incidence, sur le rôle de l’avocat, de certaines innovations introduites par ailleurs dans la procédure pénale applicable aux mineurs reste largement ouverte à ce jour, et seule leur mise en œuvre dans la pratique permettra d’en mesurer l’impact.

Il en va ainsi de l’introduction de l’institution du procureur des mineurs, de la partie plaignante, et de la personne dite de confiance, de même que la multiplication d’instances judiciaires non spécialisées en droit pénal des mineurs : tribunal des mesures de contrainte, autorité de recours et juridiction d’appel.

Selon l’approche accusatoire adoptée par le procureur des mineurs, l’avocat sera amené à privilégier plus ou moins largement son rôle de défenseur pur et dur dans la tradition classique de sa fonction, au détriment d’une approche davantage socio-éducative.

De même, l’arrivée d’un nouvel acteur ayant un intérêt manifeste à la condamnation du mineur - la partie plaignante - va modifier profondément les équilibres actuels, ne serait-ce qu’en introduisant dans le procès une éventuelle dimension financière (à charge, cas échéant, des parents ?). Il appartiendra à l’avocat de chercher à favoriser, par la conciliation voire la médiation, toute forme de réparation ne mettant pas en péril l’avenir économique du mineur ou de sa famille.

Quant à la « personne de confiance » auquel le prévenu mineur peut faire appel à tous les stades de la procédure (article 13 PPMin), l’intérêt de sa présence et son rôle demeurent obscurs pour beaucoup de praticiens, et il y a tout lieu de penser que l’autorité pénale fera largement usage de la faculté de l’écarter au motif que l’intérêt de l’instruction s’oppose à sa présence. Compris dans un sens de vecteur de resocialisation et de soutien personnel au jeune prévenu, la personne de confiance est sensée, dans l’esprit du législateur, influencer positivement le mineur et l’aider à revenir sur le droit chemin101

.

Enfin, la multiplication des instances judiciaires non spécialisées dans le traitement des mineurs (et des parties pouvant y recourir) peut légitimement inquiéter le praticien. A titre d’exemple, il est révélateur de constater que le canton le plus répressif en matière de sanctions est apparemment Neuchâtel, soit

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un canton qui ne connaît pas l’institution du juge des mineurs (cette fonction étant occupée, au cas par cas, par le Président du Tribunal de district concerné).

A cet égard, peu d’efforts semblent consentis pour assurer la formation spécialisée de tous les professionnels intervenant dans les affaires concernant les mineurs, malgré l’obligation, d’application directe, découlant de la Convention relative aux droits de l’enfant102

et des instruments internationaux en dérivant103.

Avant de conclure, un dernier point mérite réflexion. Si le droit pénal des mineurs prévoit expressément le principe d’une collaboration entre l’autorité civile et l’autorité pénale des mineurs (article 20 DPMin), dans la pratique rares sont les cantons où une collaboration efficace et satisfaisante existe réellement. Or, la possibilité de mettre en œuvre la justice civile en tant qu’alternative effective à la poursuite du traitement pénal du mineur libèrerait l’avocat d’un certain nombre de cas de conscience liés au caractère forcément stigmatisant, pour l’avenir de son jeune client, d’une décision pénale. Ainsi, il arrive que les conditions objectives et subjectives de l’acte ayant donné lieu à l’intervention de la justice pénale ne soient que très marginalement fondées ; néanmoins, l’avocat renoncera parfois à en tirer profit, pour privilégier l’impérieux besoin de son client à bénéficier immédiatement de mesures de protection au vu des circonstances et de son intérêt supérieur. Une collaboration effective entre autorités pénale et civile permettrait d’éviter pareille situation, largement insatisfaisante.

Conclusions

Le mineur est un être en développement, malléable et suggestible, ayant un droit personnel à la protection, à la participation à toute décision le concernant et à voir son intérêt supérieur pris en considération.

Le droit pénal des mineurs et la procédure y afférente mettent en exergue la protection et l’éducation du mineur, avec une attention particulière portée, eu égard à l’âge et au degré de maturité du mineur, à ses conditions de vie, son environnement familial et au développement de sa personnalité.

L’avocat du mineur, agissant dès la première heure ou au-delà, doit tenir compte de ces spécificités et ne saurait limiter son rôle à celui traditionnel du défenseur d’un prévenu adulte : son approche doit être, dans l’intérêt de l’enfant, interdisciplinaire et complémentaire à celui des autres acteurs de la scène judiciaire des mineurs.

102 art. 3 ch. 3 CDE

103 cf. en particulier, en matière de formation, l’art. 22 des Règles de Beijing et le chiffre 97 de l’Observation générale no. 10 (2007) du Comité des droits de l’enfant

Sur un plan plus général, une sensibilisation de tous les professionnels intervenant à un stade ou un autre dans le traitement des mineurs, et favorisant l’émergence d’une culture commune interdisciplinaire et respectueuse de la complémentarité du rôle de chacun, apparaît souhaitable, voire nécessaire, pour la mise en œuvre d’une justice des mineurs dont l’enjeu premier demeure la mise en place des conditions permettant le développement harmonieux du jeune prévenu.

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