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Quel éclairage des protocoles d’audition de l’enfant victime ?

Chef de la Brigade des mineurs, Genève

4. L’enfant victime et “son” audition

4.5 Quel éclairage des protocoles d’audition de l’enfant victime ?

L’audition de l’enfant victime est de nos jours effectuée par du personnel policier formé à cet effet, comme l’exige la Loi. Plusieurs protocoles sont utilisés pour mener ces entrevues structurées. Ils permettent donc d’offrir un cadre à l’enquêteur qui procède à l’audition et ils optimisent la récolte d’informations utiles à la manifestation de la vérité que doit rechercher l’intervenant judiciaire. Penchons-nous sur ces méthodes afin de voir en quoi elles donnent à l’enfant la liberté de s’exprimer ou non.

4.5.1 Le protocole de Yuille (1988)

Il s’agit de la méthode d’audition spécifique la plus pratiquée en Suisse romande. Elle se veut non-suggestive et par étapes progressives, structurée et dont l’étape fondamentale est celle du récit libre. Cette méthode, enseignée à de nombreux policiers par le Prof. Van Gijseghem, qui l’a traduite en français, comporte d’abord une partie de considérations générales concernant l’entrevue. Il y est question du lieu de l’entrevue et des participants. C’est dans la phase dite de “mise en relation” que l’on pourrait trouver une tentative de s’assurer de la volonté de l’enfant à collaborer à l’entretien ; elle n’y figure pas explicitement. Il s’agit surtout de mettre l’enfant à l’aise : les conditions doivent favoriser son récit et permettre à l’enfant de ressentir que son interlocuteur est prêt à l’écouter : “Parfois, plus d'une rencontre sera nécessaire pour établir cette relation avec l’enfant. Il est difficile de procéder à une entrevue sans avoir établi une relation au préalable” (Yuille, 1991 p. 5).

Ce protocole suggère d’aborder avec l’enfant “son opinion sur l’importance de dire la vérité et sur les conséquences des mensonges” (Ibid., p. 5). D’aucuns prétendront que cette approche suggère à l’enfant a priori authentique qu’il pourrait mentir ; cela peut alors être perçu par l’enfant comme une mise en doute peu supportable, s’il n’imagine pas dire autre chose que la vérité ; ou alors il peut y voir une “porte ouverte” en cas de question embarrassante ou dont il ne connaît pas la réponse.

Grégoire et Francart (2003) suggèrent une information à l’enfant autour du concept de vérité, qui lui signifie aussi la possibilité de ne pas répondre aux questions de l’intervenant :

La meilleure façon est simplement de donner la bonne réponse, si tu la connais, ou de me dire que tu ne connais pas la réponse, si c’est le cas. [...]

Il n’y a aucun intérêt à dire que quelque chose est arrivé si cela ne s’est jamais passé ! [...] si je te pose une question sur quelque chose dont tu connais la réponse, mais dont tu ne veux pas me parler encore, alors à ce moment-là, tu n’as pas besoin de dire que ça ne s’est pas passé ou que tu ne t’en souviens pas. Tu peux tout simplement me dire que tu n’as pas encore envie d’en parler, ou que ça te fait trop peur d’en parler, ou que tu n’aimes pas cette question. (p. 70) Nous pouvons critiquer la lourdeur sémantique de leur approche ; il n’en demeure pas moins qu’elle a le mérite de signifier à l’enfant son autonomie vis- à-vis de l’intervenant.

4.5.2 Le protocole du NICHD

Le National Institute of Child Health and Human Development (NICHD) propose un guide pour les auditions de mineurs, en particulier en matière d’abus sexuel, mais applicable également aux abus physiques. Ce guide est décrit comme détaillé, concret, facile à suivre. Il intègre les connaissances récentes sur le fonctionnement de la mémoire, les aptitudes cognitives, communicatives et sociales ainsi que la suggestibilité chez l’enfant. Son objectif est d’opérationnaliser les recommandations issues des recherches en proposant un entretien structuré par étapes et visant l’obtention d’informations plus complètes et plus pertinentes.

Les consignes que ce protocole indique de proposer d’emblée à l’enfant, dans sa phase pré-déclarative (juste après la présentation de l’enquêteur et la clarification des tâches) sont plus directes et ne lui laissent que peu d’autonomie : “Il est très important que tu ne me dises que la vérité aujourd’hui. Tu ne dois me parler que de choses qui te sont véritablement arrivées.” Et si l’enfant ne parle pas : “ [...] Comme je te le disais, mon travail consiste à parler avec des enfants au sujet de choses qui auraient pu se passer pour eux. C’est très important que tu me dises pourquoi tu es là. Dis-moi pourquoi tu penses que (ta maman, ton papa, ta grand-mère) t’a conduit ici aujourd’hui.” (Lamb et al.

2007)110. Un rapport de type hiérarchique entre les générations est utilisé pour tenter de déclencher un récit libre chez l’enfant. Or, pour Zermatten & Stoecklin (2009), il y a lieu de tenir compte du fait que : “ [...] le décideur qui entend l’enfant (ou l’intermédiaire) est un adulte et [...] il y a forcément une relation hiérarchisée (du haut vers le bas), qui peut être préjudiciable à ce climat de confiance” (p. 24).

Le point commun de ces protocoles est l’aménagement d’une phase dite de récit libre, qui se déroule dans le respect total du rythme et du développement de l’enfant, puisqu’il ne doit pas être interrompu ni confronté. Cela signifie que l’enfant peut apporter les éléments qu’il désire, selon ses souvenirs et avec ses mots. Cette partie de l’audition est respectueuse de sa volonté de dire ou de ne pas dire ; nulle ne peut en effet contraindre un enfant à formuler une accusation à l’encontre d’un (prétendu) agresseur.