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était seule avec le bébé depuis le matin…

IRRÉCUPÉRABLE LE CAS DE L’ANGE NOIR

G. était seule avec le bébé depuis le matin…

Je passe les détails des téléphones que cet appel déclencha à l’hôpital pour un examen approfondi du bébé, à la police scientifique pour une intervention immédiate sur les lieux (la scène du crime comme on dit dans les séries télévisées…), des photos, un constat, à la police judiciaire pour interroger la mère, les voisins, le père (Mme ne vivait déjà plus avec le père de l’enfant), le père de G. (un autre homme que le père du bébé) ; à l’Office des Mineurs (appellation de l’époque du Service de la Protection des enfants) qui suivait la situation de la mère depuis la naissance de G. pour se faire une idée de la situation.

Tout cela dans un temps très bref (il était vendredi après-midi) et pour savoir que faire.

Vers les six heures du soir : les principaux renseignements étaient arrivés, que

je résume ainsi :

- confirmation de traces de strangulation

- correspondance des traces laissées avec de très petites mains

- impossibilité que ce soit un adulte car le bébé serait mort ; seul le manque de force a sauvé l’enfant

- importante vulnérabilité de famille de Mme M.

- gros problèmes rencontrés par G. malgré son jeune âge

- confirmation par une enquête rapide de voisinage que Mme M. éprouve de sérieuses difficultés

- pas de renseignements objectifs sur les faits survenus,

- sauf que l’interrogatoire rapide de Mme M. confirme qu’elle a trouvé G. près du berceau en rentrant et que cette dernière était très bizarre, comme choquée.

L’évidence semble s’imposer d’elle même : G. a du essayer de faire mourir son petit frère… Pour le moment, personne n’a encore interrogé G., même pas la mère, elle-même complètement abattue.

Je demande à la police d’aller chercher G. chez la voisine à qui elle a été confiée ; G. est très excitée et on décide de reporter son interrogatoire au lendemain. Mais on ne peut la laisser rentrer à la maison, on redoute la réaction de la mère. On trouve une place dans une institution de la ville qui accepte de la garder pour le week-end. G. s’y rend sans faire d’opposition, comme soulagée.

Le samedi matin, je prends contact avec la police judiciaire et demande que

l’on procède à cet interrogatoire directement au Tribunal des mineurs ; je souhaite participer à cet interrogatoire, pour me faire une idée de la fillette, observer ses réactions et pouvoir intervenir si nécessaire. A cette époque, on n’a encore aucune idée des interrogatoires filmés, de la vitre sans tain et de la présence d’une psychologue…118

.

Deux inspecteurs amènent G. au Tribunal ; il n’y a pas de brigade spécialisée pour mineurs à cette époque,119 ni de femmes agentes disponibles ce samedi matin, donc ce sont deux hommes qui procèdent à l’interrogatoire, en ma présence plutôt passive. L’assistante sociale et l’éducatrice de l’institution attendent dans la salle d’attente. On a pronostiqué un très long et pénible interrogatoire. Je commence par parler à G. et à lui indiquer où elle est et qui sont les personnes présentes; elle paraît comprendre très vite le mot police, mais pas tribunal, ni juge. Elle n’est pas effarouchée, a bien dormi et dit être d’accord de nous parler.

L’interrogatoire se déroule très rapidement : en moins de trente minutes, G. explique qu’elle ne voulait pas de petit frère, qu’elle veut garder sa maman pour elle seule et qu’elle n’aime pas les bébés. Comme sa maman était au travail, elle avait du rester à la maison pour garder le petit et elle a eu l’idée de jouer un peu avec lui. A un moment, elle lui a mis le duvet sur la tête ; puis elle a essayé de le sortir du berceau, mais c’était trop lourd. Puis elle lui a serré le cou, « un petit peu fort » et à ce moment, sa maman est arrivée… elle a fait comme si de rien n’était.

Non personne d’autre n’est venu dans la maison ; non elle n’a pas appelé les voisins ; non elle ne pensait pas le faire mourir, mais simplement, elle ne voulait plus l’avoir là à la maison… ni partager sa maman… non elle n’a pas vu son papa depuis très longtemps… ni le papa du bébé. Personne ne lui a donné cette

118 Toutes les techniques d’audition des victimes, les règles de procédures pour régler le statut, les droits et la protection de la victime d’infractions pénales ne sont intervenues que bien plus tard en Suisse, avec l’adoption de la Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI) du 4 octobre 1991, révisée en 2000, complètement renouvelée le 23 mars 2007 (RS 312.5). La formation, elle n’a commencé que vers le milieu des années 90, avec la formation des policiers. A ce jour, la formation des magistrats et des avocats est encore non systématisée

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idée, qui est venue toute seule… Elle trouve que ce n’est pas bien, mais elle ne pense pas que ce qu’elle a fait est très mal… juste « un petit peu mal ».

Pour ses sept ans, G. s’exprime de manière assez claire, cherche à faire des phrases complètes. Elle ne semble pas répéter quelque chose d’un autre ; elle regarde ses interlocuteurs sans gêne. Elle n’est pas à l’aise, mais, elle n’est pas non plus mal à l’aise…Une attitude surprenante…

J’appelle alors la mère, la renseigne et la prie de venir au Tribunal : elle se déchaine contre sa fille, ne viendra pas la chercher, ne la prendra plus à la maison, ne veut plus en entendre parler et laisse le juge s’en charger… « D’ailleurs tous ces services sociaux n’ont jamais rien fait pour moi, sauf essayer de me contrôler… ».

La mère de G. a à peine 25 ans, n’a pas de formation, une vie assez cabossée, et déjà deux enfants… dont G. « Par contre, je vais bien m’occuper du petit…, qui est guéri et va rentrer à la maison ce soir… je ne veux pas avoir G. dans l’appartement, sinon, je l’étrangle. Foutez-moi la paix » !

Après un bref conciliabule avec l’assistante sociale et l’institution, G. est confiée à l’institution à titre provisoire.

Durant les semaines qui suivirent, la police poursuivit son enquête pour ne rien

laisser au hasard, le médecin rendit son rapport, le service social nous renseigna sur le sort de Mme M., sur les deux pères, sur G. et on fit procéder à un examen psychologique de G. par l’Office compétent de l’époque, qui expliqua le drame par une crise aiguée de jalousie et préconisa un éloignement de G. de la maison, pour un « certain temps ».

Au terme de toutes ces démarches, le Tribunal décida de placer G. dans l’Institution où elle séjournait déjà, confirmant l’éloignement préconisé et une prise en charge socio-éducative importante, avec un suivi psychologique ambulatoire.