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L’expérience de groupe de diagnostic réalisée à Tin Aouker, montre que le groupe de travail lui-même entame un processus de maturation, de recomposition des enjeux, de repositionnement des acteurs dans l’interaction avec le projet. L’avancée ne peut être qu’itérative, et le temps imparti à cette activité est important, même s’il ne débouche que sur une première esquisse. En répétant l’opération, avec autant de groupes et d’informateurs que nécessaire, on peut envisager de projeter différents scenarii de stratégies groupales. Mais il ne faut économiser ni qualité ni rigueur scientifique. Aucun des déterminants invariables ne peut être délaissé pour motif d’insignifiance.

Une approche de ce type implique un niveau de proximité important avec des populations. Or pour l’atteindre, il faut que l’approche ait transité au préalable par le repérage des groupes-cibles implicites, des groupes passifs, actifs, et des groupes dynamiques prévisibles du fait du secteur d’intervention, du type de ressources concernées par la mise en valeur, des orientations générales des investissements. Le repérage doit être fait a minima en référence à la culture générale globale de la région considérée. Cette préparation ne peut pas être considérée comme une phase de participation locale. Il s’agit pour le chercheur, l’agent de projet ou l’organisme de financement, de collecter, d’interpréter, puis de projeter. Cette phase ne peut déboucher sur un produit plus fin, qu’à la seule condition, de déployer une

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Un responsable d’association villageoise dans un village du Cercle de Kolokani (Mali), Programme Gerenat (Banque Mondiale-GTZ).

exigence scientifique dont les conditions ne sont pas réunies actuellement dans le monde du développement.

Le passage de la théorie à l’action

Le fait de définir de façon plus réaliste, les différentes catégories d’acteurs susceptibles de se sentir concernés à un titre ou un autre par la ressource projet ou par ce que sa présence apporte, permet sur la base d’une série de déterminants invariables maîtrisés, de rendre en partie prévisibles les stratégies qu’adopteront ces acteurs. Cela nous permet-il de considérer pour autant que le passage de la théorie à l’action est franchi ?

D’une certaine manière, la prévisibilité relative des stratégies d’acteurs, devrait permettre aux intervenants d’adopter une attitude prospective en matière d’actions recommandées, qui tienne compte par anticipation des réactions des acteurs. Mais même dans l’idéal, cette situation ne pourrait pas dépasser celle du bon joueur d’échec qui prévoit au début du tournoi quelques coups à l’avance, ainsi que toutes les parades et les développements conséquents, ce qui lui permet de choisir son ouverture et les orientations principales de son jeu. Une fois épuisées les projections de départ, s’il n’anticipe pas au fur et à mesure sur le jeu qui va suivre, très vite il ne maîtrisera plus rien. Au mieux, il aura donc eu un meilleur départ. Mais rien ne garantit que son avantage durerait longtemps, si de nombreux enjeux continuent à se développer pendant le déroulement du projet, sans qu’il les ait pris en compte. Les stratégies d’acteurs sont réactionnelles, d’abord à l’environnement du projet, puis à son déroulement. Elles ne peuvent qu’être en perpétuel changement, et comme on l’a vu, elles sont sensibles à toutes les influences extérieures, y compris les plus conjoncturelles et les plus imprévisibles.

En conséquence, la seule solution pour qu’un projet se passe bien est que la participation des populations soit en permanence maximisée dans le sens le plus positif possible, à la fois pour le projet et pour l’ensemble des bénéficiaires potentiels183. Il faudrait que ce travail d’analyse stratégique et de projection, soit fait en permanence, le contexte évoluant au fur et à mesure de l’avancée du projet, les enjeux se transformant. De telles perspectives montrent qu’un projet est quelque chose d’impensable a priori. Mais un projet n’est qu’un projet, il a une durée limitée et des objectifs relativement circonscrits. Par contre, les éléments susceptibles de changements abrupts et inattendus, restent somme toute, relativement limités. D’ailleurs, un bon marin ne finit-il pas par être capable d’anticiper sur les éléments les plus redoutables d’une tempête ? On pourrait donc considérer qu’une approche scientifique préliminaire permettrait de poser des bases fiables dans l’identification des acteurs et des enjeux qui conduisent leurs choix dominants. Et que, les projets construits sur ces principes, pourraient offrir aux bénéficiaires, un cadre dans lequel ils se reconnaissent, et où leurs choix ne seraient pas indésirables, où ils n’éprouveraient pas le besoin perpétuel de truquer le jeu, tout au moins vis-à-vis des intervenants. Une analyse périodique par les intervenants de l’ensemble des déterminants, donnerait une lecture actualisée des enjeux et des stratégies. Elle permettrait une remise en question des choix d’accompagnement. Nous sommes loin des simples évaluations par étape.

Quoi qu’il en soit, l’objectif poursuivi par le projet, reste dominé par les enjeux

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Il est évident que cette perspective n’est possible qu’au travers d’une permanente renégociation et d’une redistribution perçue comme équitable à chaque tour par tous les acteurs.

politiques du programme général, dans lequel il s’inscrit du fait des financements qu’il reçoit. Et ces enjeux ne pourront jamais coïncider avec l’objectif des populations, des différents groupes qui la composent et qui chacun poursuit des intérêts propres. Mais une approche scientifiquement réalisée selon l’approche méthodologique réfléchie dans ce chapitre, devrait permettre d’orienter vers, et de rapprocher le choix politique du décideur, de la part commune des intérêts propres de chacun des groupes implicites et dynamiques. Elle permettrait aussi de rapprocher les méthodes proposées par le projet, des modes de fonctionnement social, des logiques des acteurs locaux, y compris de leurs velléités à les transformer. Il s’agirait donc d’élaborer un projet qui satisfasse a maxima la majorité des gens auxquels il s’adresse directement et indirectement, explicitement ou implicitement. La question de la participation ne se poserait donc plus, puisque l’ensemble des paramètres jouant un rôle décisif dans la motivation et l’engagement des différents acteurs seraient inscrits dans le projet.

Un problème reste néanmoins sans réponse, celui de la position du bailleur de fonds à laquelle les intervenants sont obligés de se conformer : celle de ne pas s’engager à soutenir un groupe de pression contre un autre, position faussement non interventionniste persistante. Attitude hypocrite ou inconsciente des acteurs de l’aide au développement ? Elle constitue un fossé infranchissable pour toute approche méthodologique du développement, quelle qu’en soit la qualité scientifique, dans la mesure où le choix politique qu’elle impose reste un élément fondamental, un des principaux marqueurs qui détermine l’avenir de tout projet.