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Des consommateurs étrangers

A la catégorie des groupes implicites actifs, on peut ajouter un groupe auquel une attention particulière devrait logiquement être portée, surtout du fait des problèmes que son quantités économiquement rentabilisables par le paiement de l’eau consommée au vrai coût (fonctionnement et amortissement). Une fois les infrastructures dimensionnées sur ces bases, il n’est pas possible que les autres besoins, ceux de production notamment, puissent être satisfaits par ces systèmes.

apparition provoque inéluctablement (problèmes de préservation de la ressource et des installations, problèmes de gestion, de contribution). Il s’agit du groupe des consommateurs

étrangers aux groupes sociaux bénéficiant officiellement des installations : les éleveurs de

passage, les transporteurs routiers, les usagers du marché hebdomadaire. Pour les éleveurs de passage le recours au système de pompage est parfaitement prévisible si l’on se trouve en zone pastorale, d’autant plus si l’eau du forage peut se substituer à une cure salée pour les animaux. Pour les transporteurs et tous les passagers, l’installation constitue un point d’eau exceptionnel d’approvisionnement véritable oasis sur un axe transsaharien. Si le village a un marché hebdomadaire, la question de la consommation des commerçants et des acheteurs, celle de l’exploitation gratuite ou payante de l’eau, se posent d’elles-mêmes. Ces groupes – même s’ils ne sont pas organisés – sont composés d’individus qui adoptent un comportement similaire et prévisible du fait des intérêts qui les poussent vers la ressource. L’augmentation soudaine des quantités d’eau disponibles change les comportements et les stratégies des acteurs extérieurs de façon constante par rapport à une situation donnée. Ainsi, les transporteurs routiers peuvent considérer le village de Tin Aouker comme une base régulière d’approvisionnement. Certains iront même jusqu’à dévier de leur ancien itinéraire pour y passer de façon systématique.

L’attitude prédatrice de ces consommateurs est d’autant plus prévisible que l’on sait qu’un investissement de projet génère un sentiment général de non-propriété qui invalide les normes locales respectées jusque là. En fait, quelles que soient la structure et l’organisation de la société considérée, l’existence a priori de tous ces groupes est facilement envisageable ainsi que, de manière plus ou moins approximative, le contenu et la forme de leur (logique) revendication.

On peut imaginer à l’avance les stratégies des groupes prédateurs, du fait de leurs besoins, des réflexes générés par le rapport des populations locales au bien public en général. Le bien collectif obtenu dans le cadre des projets de développement est dévalorisé « parce qu’il ne coûte rien », « vient de l’étranger », « les règles locales de respect ne s’y appliquent pas ». Ces stratégies ont des effets différents qui sont toujours destructeurs. Elles ont un effet démobilisateur pour la population bénéficiaire à laquelle des efforts sont demandés en matière de participation financière et physique. On observe ce phénomène à Tin Aouker où les camionneurs de passage viennent remplir leurs barriques à la pompe pendant que les villageois travaillent comme manœuvres pour la préparation du béton du réservoir. Les stratégies des utilisateurs extérieurs hypothèquent la ressource en eau et entraînent la dégradation du matériel :

A Tin Aouker, les passagers en camions ont toujours été tolérés au puits. Mais à partir du moment où la pompe livre l’eau en permanence, les abus auxquels se livrent les chauffeurs et leurs passagers, mettent en péril la sécurité en eau des familles et de leur bétail. Ils remplissent des barriques et des bidons sans compter, et laissent les robinets ouverts parfois après les avoir arrachés pour obtenir un débit plus rapide.

La perte du respect des règles traditionnelles se propage à d’autres ressources vitales qu’elles menacent de destruction par effet secondaire :

La surcharge du piétinement du bétail, du pacage sur les pâturages devenus de transit pour tous ces utilisateurs imprévus, est extrêmement destructrice. Elle laisse les troupeaux des autochtones sans fourrage de sécurité et détruit irrémédiablement des superficies pastorales importantes.

sont contraints de faire ce qu’ils sont toujours refusé de faire : demander l’aide de l’administration pour faire respecter les droits d’accès à l’eau et préserver les pâturages. Le projet est obligé de soutenir officiellement la légitimité des droits traditionnels et du discours de la chefferie - qu’il invalidait jusque là -. Pour tous, il s’agit d’une question essentielle, puisqu’il s’agit de prévenir des risques d’affrontements sanglants, peut-être meurtriers.

Les groupes extérieurs ne sont pas obligatoirement prédateurs et destructeurs. Mais l’absence de considération a priori par le projet de tous les groupes implicites susceptibles de venir s’ajouter aux utilisateurs de la ressource, en dehors des règles de fonctionnement, constitue encore aujourd’hui dans des grands programmes de coopération internationale un sérieux problème. Celui-ci surgit toujours, soit pendant le projet, mais plus souvent après son retrait. Les effets sont d’autant plus graves, qu’aucun dispositif de prise en compte et aucune parade n’ont été envisagés, dans les normes du projet ou dans celles qui organisent les relations du groupe social avec les groupes étrangers. Le problème est difficile à résoudre pour le groupe local qui doit gérer un dysfonctionnement généré de l’extérieur.

En 1ère région au Mali, Ségala N’Di était déjà un marché régional et la base administrative de toute la zone avant l’arrivée du projet d’AEP. Le choix d’installer des bornes-fontaines était technico-idéologique. Un système mixte de recouvrement des coûts – une partie du prix à la borne-fontaine, une autre en cotisation compensatrice - permettait à la fois de partager la charge financière entre la bourse des hommes et celle des femmes, de contribuer à la génération d’un sentiment de propriété des usagers sur les infrastructures et de perpétuer des systèmes de solidarité préexistants – l’accès à l’eau potable des familles pauvres étant préservé par leur exonération de la contribution fixe, le prix à la borne étant maintenu le plus bas possible -. En conséquence, le paiement à la borne ne couvre qu’une partie du prix de l’eau, y compris pour le passager, le riche commerçant ou transporteur, étranger, l’entrepreneur qui n’hésite plus à remplir des camions citernes pour les chantiers, la vente. Tout ceci entraîne un déficit de l’AEP qui passe injustement à la charge de la communauté. Le bureau de gestion de l’AEP a hérité de ce problème auquel il a dû construire des solutions a posteriori.

Tous les consommateurs potentiels qui ne sont pas considérés a priori, parce que passagers, membres d’autres communautés, transhumants, éleveurs, artisans, etc… ne peuvent qu’adopter des stratégies de contournement vis-à-vis du projet, mais de ce fait, aussi vis-à-vis de la communauté bénéficiaire. Le fait d’ignorer délibérément ces acteurs, ne les fait pas disparaître pour autant. Dans la mesure où ils existent et que leur comportement par rapport à la ressource est prévisible, il serait raisonnable de les considérer dès la conception de l’intervention.

Des contributeurs étrangers

Bien que ces groupes n’existent pas dans les projets étudiés pour cette thèse, je les ai rencontrés dans d’autres projets. Les processus déclenchés par leur implication sont beaucoup trop importants pour ne pas être analysés et considérés.

Certains groupes extérieurs se constituent stratégiquement sans être prédateurs. Au contraire, ils contribuent à la dynamique participative et au projet d’ensemble. Leur intérêt ne porte généralement pas sur la ressource du projet elle-même, mais plutôt sur des avantages périphériques qui naissent de leur contribution à la venue de la ressource. Les Soninké migrants en France, cadets et descendants de castes inférieures, visent l’accession au statut social privilégié de bailleur de fonds en contribuant au financement (voire en se substituant à la communauté dans cette obligation). Les habitants d’un groupe de villages contribuent en main d’œuvre à la construction d’un tronçon de piste en faveur d’un d’entre eux, parce qu’ils se sont laissés dire qu’ils bénéficieront ensuite des mêmes largesses que le village qui y est inscrit et pour lequel la piste est réalisée. Dans le premier cas, il faut s’attendre, après le

départ du projet, à des revendications de ces acteurs devenus essentiels. Dans le deuxième cas, l’apparition de tensions sociales est inévitable162.