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Une ambiance urbaine pesante : criminalités et intolérances

La fréquente mauvaise conjoncture économique accentue le clivage entre les plus favorisés et les autres, et entraine un climat de violence larvée. Comme le décrivent Tollon et Bennassar, « plus de pauvres, moins de riches : déséquilibre dangereux. Voici pour la ville un temps d’agitation chronique, d’ « alarmes », de « terreurs », de « courroux ». Pas de mouvement de révolte organisé, il est vrai, mais une recrudescence de vols, d’escroqueries, de brigandages, voire de meurtres. Dans les camps de pestiférés et les hôpitaux la violence est exacerbé par la proximité de la mort » (Wolff 1974 : 301). L’afflux des miséreux chassés des campagnes voisines explique pour une part cette mise à mal de la très relative paisibilité urbaine. Dans Les criminels de Languedoc, les exigences d’ordre et les

voies du ressentiment dans une société pré-révolutionnaire (1750-1790) (1980),

Nicole Castan montre à quel point « la criminalité urbaine s’est gonflée à la fin de l’Ancien Régime et plus que l’essor démographique ne pouvait le laisser attendre. La ville est très sensible à la conjoncture économique et opiniâtrement en années mauvaises » (Castan 1980 : 22)346. Une évolution s’effectue au fur et à mesure que la grande ville gagne à la fois en importance et en population paupérisée. « Le vrai conducteur de la délinquance réside essentiellement dans la précarité qui s’attache à la condition des pauvres. Et si dans ce domaine il y a annonce de temps nouveau, c’est bien dans le phénomène de l’urbanisation qu’il convient de le rechercher ; grâce à lui et dans l’anonymat des bas quartiers des villes, ou des faux métiers, commence à se modeler un type criminel très différent tant dans son recrutement que dans son comportement » souligne Castan (1980 : 55). La complexification des relations sociales générée par l’urbanisation offre ainsi un terrain favorable aux débordements les plus divers.

346 Castan cite l’exemple de Toulouse en 1752, où 167 affaires sont évoquées devant les

Capitouls », « ce chiffre traduit les secousses que vient de subir la ville : mauvaise récolte de 1749, cherté, surmortalité ; dans les années suivantes où la conjoncture s’améliore, la délinquance poursuit sa lancée car la population vient d’être affectée par une importante immigration de mendiants venus du Nord (Massif Central et Rouergue) et du Sud (Pyrénées) ; ce qui explique que les Capitouls aient eu à juger jusqu’à 233 affaires » (Castan 1980 : 22). Elle précise que la société citadine représente environ 40 % du contentieux global, mais qu’en temps de crise, la proportion peut atteindre jusqu’à 43,3 % en 1783 et même 57,8% en 1789 (Castan 1980 : 277).

Il existe donc une problématique spécifiquement urbaine de la criminalité et de la police, spécificité qui recoupe celle des territoires urbains de l’échange, car la violence ou le vol constituent des cas particuliers de l’anthropologie du don : dons ratés, qui manquent à être, mais qui, précisément de ce fait, ne peuvent être appréhendés que dans cette perspective. Ce que la ville se révèle incapable de fournir, autant d’espérances déçues, un certain nombre de membres de la société urbaine se les procurent en dehors des formes de légalité admise. Les contradictions historiques inhérentes à cette phase pré-révolutionnaire sont éclairées par ces blocages des échanges. Le thermomètre de la criminalité urbaine est certes quelque peu faussé par la plus grande accessibilité de la justice en ville,

a fortiori dans une ville comme Toulouse qui abrite l’ensemble de l’appareil

judiciaire. C’est pourquoi cette criminalité « en constante progression au cours du siècle tenait aussi au recours plus aisé à une justice dotée de moyens de poursuite plus efficaces » ; et ainsi le nombre de requêtes (en moyenne 1,23 en ville contre 1,1 à la campagne) confirme la plus grande « familiarité avec le maquis judiciaire et d’une volonté de défendre sa cause avec toutes les ressources offertes par la procédure. Cet acharnement à plaider venant des classes modestes urbaines atteste une indépendance de condition inconnue, à égalité de niveau, des populations rurales entravées dans les réseaux de clientèle. Il n’est pas jusqu’au nombre de témoins produits qui ne soit révélateur de cet état d’esprit, même s’il procède par ailleurs de la publicité que la ville accorde aux moindres faits et gestes » (Castan 1980 : 240, 242). Néanmoins des « caractères économiques et socio-culturels de la ville, il résulte des aspects qualitatifs affirmés ; au petit criminel, on constate la prédominance d’affaires médiocres qui expriment l’irritation due à des contacts sociaux tendus ; d’autre part l’énorme progression des agressions les plus diverses contre des biens annonce cependant une préférence grandissante pour les formes les plus retorses » (Castan 1980 : 240). Toulouse, qui est la plus grande ville du Languedoc, comporte une population assez différenciée et un mouvement d’affaires suffisamment considérable pour permettre, selon Castan, l’existence de « bas fonds peuplés d’une pègre en constant renouvellement », d’un « milieu » (Castan 1980 : 240)347. En effet, tout autant que les autres activités économiques, les activités criminelles sont proportionnelles à la taille des villes.

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Plus surprenante est la dimension « genrée » de la criminalité urbaine. Alors que chez les hommes, le comportement ne se fait très vif qu’au cabaret et singulièrement à propos du jeu », il n’en va pas de même pour la gent féminine. Ainsi, « à la différence des campagnes, où les femmes participent peu aux rixes, justement parce que c’est une affaire trop sérieuse, une inversion des rôles les amène dans les villes à se battre avec une rare prédilection ; à coups de griffes et d’ongles, loin du regard des hommes, elles s’arrachent les cheveux à pleine poignées ; elles aiment à faire voler les coiffes et les mouchoirs de col en signe de victoire » (Castan 1980 : 243). Il faut y voir là sans doute le début d’une lente mais significative émancipation de la femme. Cet « affranchissement dans le comportement féminin, et dans la grande ville particulièrement », est confirmé par « l’essor foudroyant du nombre des grossesses extraconjugales », surtout chez « les filles de marchands et de maîtres artisans, les plus tenues à la sagesse » (Castan 1980 : 269)348. Une plus grande tolérance de l’opinion publique permet à ces femmes de davantage oser afficher leur déshonneur en justice. Cependant, loin de disparaître, la logique de l’honneur se diffuse aux couches les plus modestes de la société urbaine349. Castan insiste sur cette « fidélité aux valeurs traditionnelles d’une société fondée sur l’honneur. Des catégories inférieures aspirent à la dignité ; elles revendiquent symboliquement les titres de « sieur » et de « demoiselle » ; de ce fait elles témoignent d’une susceptibilité plus vive, alors que leur mode d’expression reste sommaire. La propension à l’agressivité ne peut en être tempérée. Et malgré la contagion d’un modèle plus inspirée du bourgeois que du gentilhomme, la discrétion et l’honnêteté sont loin de se substituer à la violence des pulsions. La ville du XVIIIe siècle reste toujours dominée par le tumulte et par l’excès » (Castan 1980 : 268). « Une sociabilité turbulente » caractérise la citadinité de l’époque : « le champ urbain compartimenté et disparate oblige l’individu à des contacts multipliés. Il est difficile d’échapper à

habitants, la place dans des conditions criminologiques assez similaires à Toulouse qui en compte plus de 60 000, alors que Montpellier qui n’en comporte 32 000, ou Montauban 20 000, ne voient pas l’émergence d’un tel milieu (Castan 1980 : 240).

348 Voir aussi, avec une méthode moins quantitativiste (se reporter à l’introduction par Chaunu du

livre de Castan) et s’inspirant davantage de la micro-histoire, La vie fragile. Violence, pouvoirs et

solidarités à Paris au XVIIIe siècle, d’Arlette Farge (Paris, 1986), qui d’ailleurs cite l’ouvrage de

Nicole Castan.

349 « Ce sentiment fut castillan ou cornélien au XVIIe siècle. Il demeure toulousain ou biterrois au

XVIIIe. Il se rencontre dans tous les états sociaux y compris chez les gueux », « il s’accommode de la violence et même il l’encourage ; mais il exclut le vol chez les hommes et le dévergondage chez les femmes », écrit Le Roy Ladurie (1998 : 499).

une sociabilité que tout favorise, la foule, l’entassement, l’encombrement des rues » (Castan 1980 : 254). Dans ce « théâtre de la rue »350, où les pauvres vivent une bonne partie de leur temps en raison de l’exigüité de leur logement, et où se déroulent 31,6 % des affaires du petit criminel (Castan 1980 : 260), s’échangent insultes, cris et coups : « beaucoup de bruit mais non pour rien, puisqu’ils transmettent les ruptures, les peurs et les émancipations croissantes » (Castan 1980 : 324). La criminalité est un révélateur de l’ambiance sociale et urbaine. La rue n’est toutefois pas l’unique espace où se manifeste cette atmosphère pré- révolutionnaire. Au café pour les plus riches ou au cabaret pour les autres, les frustrations trouvent à s’exprimer. Mais « si le café et le cabaret tiennent une place si grande dans le contentieux urbain c’est plus par les excès du jeux que par l’ivresse. La passion en a gagné toutes les classes de la société : il s’agit bien sûr des jeux de hasard effrénés qui donnent aux pauvres en particulier l’espoir du renversement miraculeux de la fortune » (Castan 1980 : 266). « On peut l’interpréter comme un besoin d’évasion, peut-être aussi comme une revanche éclatante sur la sévère discipline d’épargne si enracinée dans la mentalité du temps. Dans le domaine de la consommation aussi, le modèle aristocratique a gagné » explique Castan (1980 : 267). Les voies offertes à la compensation de normes trop rigidement inscrites dans les esprits et les pratiques de l’époque n’en sont pas pour autant égalitaires. Les plus démunis ne sont pas les seuls à vouloir surmonter les tensions suscitées par l’attention excessive portée à la propriété, celle-ci étant bien plus menacée en contexte urbain qu’en contexte rural351. Ils ne sont en tout cas pas les plus habiles pour pouvoir le faire en toute impunité. Le vol représente évidemment le type même de l’agression en ville, et occupe « la première place dans la délinquance, avec une aussi constante progression que celle de l’injure à marquer les contrariétés de la relation sociale » (Castan 1980 : 287). Il caractérise la pauvreté352, et incontestablement, il requiert de la

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Farge insiste sur cette dimension dans Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle (Paris, 1979). 351 « 75 % du total contre seulement 68,7 % dans les campagnes » (Castan 1980 : 277).

352 « La classe supérieure (9 % des criminels) n’est accusée que de 1 % des vols », alors qu’ « on

constate que 90 % des vols sont le fait de classes indéniablement populaires » (Castan 1980 : 277). Pourtant, la corrélation entre pouvoir d’achat et augmentation des vols n’est pas stricte. « A coup sûr, les années de cherté (1752, 1778, 1788-1789 par exemple) accusent un démarrage brusque du nombre des vols ; des discordances cependant entre les deux courbes des prix et des vols apparaissent sur une plus longue période et mettent en cause des facteurs plus complexes ; à Toulouse, par exemple entre 1779 et 1784, on constate un net décrochement entre le prix du blé,

débrouillardise. Mais c’est surtout une compétence urbaine développée par les déracinés venus s’installer dans les faubourgs, où à Toulouse en 1766, se déroulent « deux fois plus de vols qu’à l’intérieur des remparts » (Castan 1980 : 291). Cela explique la sulfureuse réputation de ces quartiers : « repaire de brigands et de vagabonds », « monde à part avec ses tavernes louches, ses bordels, ses recéleurs, son « milieu » de professionnels, liés entre eux par leur argot et leurs réseaux de complicité » (Castan 1980 : 291)353.

L’envergure de ces réseaux est malgré tout dérisoire en comparaison de celle de la criminalité d’affaires, moins violente mais de plus grande ampleur. En effet, « les vrais requins en matière de faux et de malversations appartiennent à une toute autre classe ; ils jouissent à l’ordinaire d’une culture et d’une expérience juridiques ; bref d’un pouvoir social et de relations, capables d’assurer le maximum de profit avec le minimum de risques et au mépris de toute légalité. Et cela aux dépens d’une classe moyenne obligée de tomber dans leurs rets. La progression du volume des falsifications et des abus de confiance est très nette dans les dernières années de l’Ancien Régime » (Castan 1980 : 279). La temporalité du capitalisme, ses fréquents revers de conjoncture, incitent les plus malins à mettre à profit les failles du système juridique, socle de la confiance partagée que les territoires urbains de l’échange engendrent et dont ils se nourrissent. « L’incertitude, propice aux illégalismes s’est accrue des effets de la crise qui frappe l’économie à la fin de la Monarchie » ; et des banqueroutes plus ou moins frauduleuses illustrent les aléas du crédit. Le cas de « Bonnaure, marchand tapissier à Toulouse » en témoigne : « en 1783, il est obligé de déposer son bilan ; il se retrouve en prison pour dettes (6241 livres), avec un excédent réel de 13 034 livres » ; « car, à force de consentir des avances de 4 à 5 000 livres à certains de ses clients « de qui le nom, le rang et la distinction inspirait la plus grande confiance », il accumule ainsi plusieurs milliers de livres de dettes actives » relate Castan (1980 : 281). L’arnaque classique consiste alors à soustraire aux créanciers la majeure partie du capital par l’entremise de l’épouse

qui oscille sans amplitude notable autour de 14-15 livres le setier, et le nombre des agressions contre les biens jugés par les Capitouls ; elles passent de 20 à 35 par an, soit un accroissement de 75 % » (Castan 1980 : 289).

353 « Le lieu est singulièrement propice à la clandestinité ; les fugitifs, poursuivis par la justice, s’y

terrent pour échapper aux contrôles policiers et à la vérification des passeports » ; fonction de refuge qui leur confère « un aspect de bidonville avant la lettre » (Castan 1980 : 291, 277).

ou de relations, ou plus franchement, à établir des comptes truqués. Les à coups de la vie économique, mais aussi les dépenses de faste que la sociabilité urbaine nécessite, peuvent également conduire à se tourner vers des emprunts à des usuriers, qui s’appuient parfois sur le prêt sur gages pour contourner la législation (Castan 1980 : 282-286). Tout cet éventail de la criminalité « en col blanc », mis en lumière et en perspective par Nicole Castan, exemplifie le « génie de la ville, véritable creuset où se croisent et se mêlent les puissants et les aventuriers obligés à beaucoup d’imagination pour survivre », utilisant de manière opportuniste et ingénieuse les labyrinthes de la sophistication urbaine (Castan 1980 : 278).

La plupart de ces comportements malhonnêtes, dont l’essor est symptomatique de profonds dysfonctionnements dans l’ordre des échanges, ne constituent vraisemblablement qu’un pis-aller. Ils ne pallient sans doute que de façon très partielle le peu de crédit accordé aux modalités légales de l’ascension sociale. Pilier traditionnel de la promotion des plus défavorisés, l’institution scolaire remplit alors assez mal son rôle. Les difficultés d’insertion commencent cependant dès le plus jeune âge. En effet, bien que davantage estimé, et même si son éducation fait l’objet de plus de soin354, l’enfant n’en reste pas moins la « victime désignée » de cette société prompte à exclure les déviances qu’elle contribue par ailleurs à faire émerger. Il en va ainsi de l’extra-conjugalité en général355, et de la prostitution en particulier, car bien souvent, « la débauche conduit tout droit à l’infanticide ou à l’abandon du nouveau-né qui n’est guère qu’une mort en sursis » (Castan 1980 : 306-311). Le phénomène prend à cette époque des proportions considérables ; « dans les registres de baptêmes des paroisses toulousaines », la part « des enfants inscrits comme « nés de père et de mère inconnus » ne cesse d’augmenter : inférieure à 2 % au XVIIe siècle, elle

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Voir aussi, évidemment, L’enfant et vie familiale sous l’Ancien Régime, de Philippe Ariès (Paris, 1960). Arlette Farge rappelle comment « le XVIIIe siècle, brasseur d’idées et de réflexions philosophiques, met l’enfant au centre de ses préoccupations », mais « les migrations et les taux de relations illégitimes, les difficultés de contraception et la pratique des abandons, la mortalité infantile et la pauvreté dressent un paysage où chacun gère de façon personnelle sa propre insécurité, tiraillé entre le désir de vivre et toutes les circonstances qui viennent à faire de la réussite une gageure » (Farge 1986 : 65, 69). Elle met en garde contre la tentation de « relier automatiquement enfance à sentiment, enfant et affectivité », et souhaite « chercher un autre moyen de regarder l’enfant en travaillant sur sa fonction dans la cité, comme sur l’assise économique et sociale de ses parents » (Farge 1986 : 87).

355 Farge qualifie ces « indésirables alliances » de « mauvais commerce amoureux » (Farge 1986 :

89). Se reporter en outre à l’ouvrage qu’elle a coécrit avec Michel Foucault, Le désordre des

atteint 4 % au début du XVIIIe, 10 % vers 1750 et 17 % dans les décennies suivantes, avec des pointes à près de 25 % certaines années comme 1781 ou 1788 » précise Taillefer, dans Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime (2000 : 126). Les hôpitaux sont pleins d’enfants, et il existe même une niche, sorte de petite armoire ronde et tournante appelée « le tour », dans un des murs de l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques, pour recueillir les enfants abandonnés dans l’anonymat le plus complet. « La réception de ces enfants obéissait à un rituel immuable. Ils étaient d’abord portés dans la salle des épreuves, nourris au lait de vache, réchauffés au bain-marie, et baignés deux fois par jour, pendant quinze jours. Si, à ce terme, on ne voyait apparaître aucune marque de mal vénérien, on les confiait à des nourrices » jusqu’à l’âge de sept ans ; après quoi, ils étaient amenés à l’hôpital de La Grave pour y recevoir une instruction et commencer à travailler (Frexinos 2001 : 54-56). Ces jeunes sans parents ni ressources sont toutefois promis à un avenir plus qu’incertain, et le système est extrêmement coûteux pour l’ensemble de la société.

Les progrès de l’alphabétisation sont néanmoins importants356, et cela distingue les villes des campagnes, comme le souligne Chartier (Le Roy Ladurie 1998 : 265). Ils s’appuient sur le « treillis d’écoles élémentaires progressivement constitué dans les cités », notamment celles contrôlées par le chapitre cathédral, comme à Saint-Etienne de Toulouse, où « les enfants de la maitrise sont au nombre de huit à la fin du XVIIe siècle, enseignés par un maître de grammaire et un maître de musique, surveillés par un sous-maître, qui est parfois un ancien enfant de chœur » (Le Roy Ladurie 1998 : 257). Ce « treillis » est également composé par les petites écoles présentes dans chaque quartier, celles-ci étant concurrencées par des maîtres écrivains indépendants plus ou moins reconnus. Cependant « malgré les efforts des notables et des Eglises, l’école, qui ne mord que sur une part du peuple urbain, reste plus un instrument de christianisation que le lieu privilégié d’un apprentissage culturel. Celui-ci paraît relever beaucoup plus du contact spontané et ancien établi avec les formes multiples de la culture écrite qui circulent dans la cité » (Le Roy Ladurie 1998 : 281). En revanche, la ville

356 « Un des meilleurs témoignages du degré d’alphabétisation des Toulousains réside dans les

assure de moins en moins la circulation des élites à travers ses collèges357 et ses universités, lesquels ne font plus figure d’ascenseur social. Comme le montre l’étude de Jacques Revel dans La ville et l’innovation (Lepetit 1987 : 75-88), « pour une université, l’existence d’un évêché et de chapitres, d’une cour souveraine, d’une intendance ou d’institutions universitaires puissantes, signifie d’abord la promesse d’un marché » (Lepetit 1987 : 78). Il décrit la « réorganisation des flux étudiants sur une base régionale », tendance qui s’accentue à Toulouse pendant le XVIIe siècle, « à la fin de l’Ancien Régime, elle parait mettre en cause jusqu’à l’idée d’une circulation universitaire » (Lepetit 1987 : 81)358. Ainsi, « sclérosée » (Wolff 1974 : 365), l’université « souffre d’une profonde déliquescence, que révèle en 1688 une enquête officielle : les professeurs, souvent nommés dans des conditions irrégulières » s’absentent pendant de longues périodes359, « aussi les étudiants, bien moins nombreux qu’au XVIe siècle, vivent-ils dans l’oisiveté et le libertinage, assurés qu’ils sont d’être reçus à leurs examens » (Taillefer 2002 : 149). « Cette indifférence au contenu même de l’apprentissage que sanctionne le titre universitaire peut nous surprendre, mais elle est au cœur des représentations d’Ancien Régime. Le grade est un certificat de conformité qui ouvre, le cas échéant des possibilités