• Aucun résultat trouvé

Un renouveau urbain toulousain plutôt endogène

L’essor médiéval entretient une relation particulière à l’urbanisation du monde et des mœurs. En effet, en dépit de nombreuses survivances du monde antique, c’est avec le renouveau urbain médiéval que la spécificité de l’Europe urbaine se manifeste, avant de s’exporter de par le monde. Dans son ouvrage La

ville dans l’histoire européenne, Leonardo Benevolo écrit ainsi que

« l’urbanisation de l’Europe entre 1050 et 1350 reste le moment décisif de notre récit : elle est le cadre, fait de centres innombrables et diversifiés, sur lequel est tendu le tissu de l’habitat qui subsiste dans une large mesure aujourd’hui » (Benevolo 1993 : 97). Bairoch insiste lui aussi sur le caractère crucial de cette période dans « la mise en place du réseau urbain qui sera celui de l’Europe au moins jusqu’au début du XIXe siècle » (Bairoch 1985 : 202) Ce renouveau s’accompagne d’importantes transformations anthropologiques, mises en lumière notamment par les études de Jacques Le Goff dans Un autre Moyen Age (1999). Celles-ci sont le fruit de modes de vie urbains plus largement répandus et plus prépondérants, et vont fournir le terreau à l’affirmation du capitalisme. La figure du marchand est emblématique de ces mentalités nouvelles. Avec lui se diffuse une culture laïque qui prend progressivement le pas sur la domination de la ville par l’Eglise. « Pour ses affaires, il a besoin de connaissances techniques. Par sa mentalité, il vise à l’utile, au concret, au rationnel », décrit Le Goff, dans

Marchands et banquiers du Moyen Age (97 : 2001). Ce rôle important des

marchands a conduit des auteurs comme Pirenne à voir l’essor urbain médiéval comme une conséquence du développement du commerce. Il déclare en 1939, dans Les villes et les institutions urbaines, « l’origine des villes du Moyen Age se rattache directement, comme un effet à sa cause, à la renaissance commerciale » (Pirenne 1992 : 98). Cette thèse, popularisée par sa célèbre formule « la ville est la

fille du commerce », a nourri de nombreux débats historiographiques. Qu’en est-il à Toulouse ? « Le mouvement est-il parti des villes mêmes, grâce à la réanimation des vieilles routes commerciales, à la fixation de groupes de marchands, autour desquels se rassembla une population croissante ? Ou des campagnes surpeuplées, chassant vers les villes un surplus de main d’œuvre, que les premiers progrès de la technique agricole y rendaient inutile ? L’exemple de Toulouse, on va le voir, appuierait plutôt la seconde hypothèse », précise Philippe Wolff (1974 : 67). Le cas toulousain confirme ainsi l’historiographie qui a fini par invalider les vues de Pirenne128. Contemporain de ce dernier et n’hésitant pas à louer son érudition, Marc Bloch s’interrogeait déjà129 : « si la population n’avait été plus qu’auparavant abondante et la surface cultivée plus étendue ; si, mieux mis en valeur par des bras plus nombreux, soumis notamment à des labours plus souvent répétés, les champs n’étaient devenus capables de plus épaisses et de plus fréquentes moissons, comment eut-on pu rassembler, dans les villes, tant de tisserands, de teinturiers ou de tondeurs d’étoffe et les nourrir ? » (Bloch 1968 : 112). Il semble donc que l’urbanisation de l’Occident médiéval ait reposé sur la conjonction d’une augmentation démographique et d’un meilleur rendement de l’agriculture, ce n’est qu’ensuite que le commerce a joué un rôle moteur.

Dans un premier temps, une vague de déforestation prolonge les efforts entrepris à l’époque romaine pendant laquelle les grandes forêts avaient déjà été entamées. Aux portes de Toulouse et point de départ de l’aqueduc qui alimentait la ville en eau, Lardenne témoigne par son nom, d’« arduenna », mot gaulois signifiant ‘forêt’, de la superficie occupée par la forêt de Bouconne avant que la région ne soit urbanisée par la colonisation romaine (Taillefer 2002 : 62). Cependant, le manteau forestier reste important et la déforestation médiévale constitue un préalable à l’habitabilité de la terre : « toute notre région, jusqu’alors pour la plus grande partie couverte de friches et de bois, s’humanise ainsi » écrit Wolff (1974 :

128

En particulier, par Robert Latouche dans Les origines de l’économie occidentale (1970). L’autre thèse de Pirenne, d’abord énoncée dans Mahomet et Charlemagne, selon laquelle c’est l’Islam qui a entraîné la décadence commerciale de l’Europe occidentale a connu le même sort, en particulier à la suite des travaux de Maurice Lombard et notamment de L’Islam dans sa première

grandeur (1972).

129 « Apprendre à sortir du cercle enchanté, n’est-ce point souvent – surtout lorsqu’il s’agit de Mr

Pirenne – le meilleure manière de rester fidèle au maître ? » se demande Bloch, qui invite de futures recherches à dépouiller « à coté des sources latines, très pauvres, les documents arabes » (Annales).

68). La forêt va être assimilée au désert par l’imaginaire médiéval130 et, constituer à ce titre, une destination d’érémitisme, mais aussi un lieu de refuge pour les hors- la-loi ; « la grande opposition n’est pas celle entre ville et campagne comme dans l’Antiquité (urbs-rus, chez les Romains, avec les développements sémantiques

urbanité-rusticité) mais le dualisme fondamental nature-culture s’exprime

davantage à travers l’opposition entre ce qui est bâti, cultivé et habité (ville- château-village ensemble) et ce qui est proprement sauvage (mer, forêt, équivalents occidentaux du désert oriental), univers des hommes en groupe et univers de la solitude » (Le Goff 1999 : 509)131. Amorcée dès les temps carolingiens, plus précocement que l’on ne l’a longtemps pensé, cette vague de déforestation132 est encouragée et encadrée par les seigneurs, dont l’autorité est grandissante. Leur influence, soulignée par les études de Duby (1977, 1996)133, ne gagne que progressivement ; et la rupture aux alentours de l’an 1000 n’est pas aussi nette que celui-ci l’avait établi (Dutour 2003 : 156). La croissance économique médiévale est un phénomène de longue durée. Elle résulte de la « révolution agricole du Haut Moyen Age », analysée par Lynn White (1969). En effet, « de l’age néolithique jusqu’à il y a environ deux siècles, l’agriculture était le problème de base de l’homme. (…). Dans de telles circonstances, tout changement prolongé dans le climat, la fertilité du sol, la technologie, ou dans les autres facteurs touchant l’agriculture, apportait – nécessairement – des modifications à l’ensemble de la société : dans sa population, sa richesse, ses rapports politiques, ses loisirs et son expression culturelle » (White 1969 : 55). Si le Toulousain n’a pas connu, à la différence de la France du Nord, le passage à l’assolement triennal ou à l’utilisation de la charrue, une meilleure organisation des terres agricoles ainsi que la multiplication de l’usage du pressoir à huile (Contamine 1997 : 65) vont cependant permettre un régime alimentaire plus riche

130

A la tradition biblique s’ajoute celle « barbare », celtique, germanique ou scandinave.

131 Voir aussi, « Guerriers et bourgeois conquérants : l’image de la ville dans la littérature française

du XIIe siècle » : « malgré la continuité matérielle et géographique de beaucoup d’implantations urbaines de l’Antiquité au Moyen Age, la ville médiévale est un phénomène neuf, remplissant d’autres fonctions que la ville antique, suscitant une autre économie, une autre société, une autre symbolique » (Le Goff 1999 : 635-666).

132 Se reporter à l’étymologie de ‘sauvage’, de ‘sylvus’, la forêt.

133 « Le désir d’augmenter le rapport de l’exploitation suscita peu à peu dans l’esprit des seigneurs

et de leurs agents l’intention d’ « améliorer » (meliorare, ce mot latin revient fréquemment dans les documents économiques de ce temps) le rendement des paysans qui leur étaient soumis, soit en favorisant l’accroissement de la population rurale, soit en mettant les travailleurs en état d’étendre leurs capacité de production » (Duby 1996 : 177).

et des hommes en plus grand nombre (White 1969 : 82). Une transformation des mentalités accompagne cette nouvelle relation entre des hommes plus nombreux et leur milieu. En effet, à partir de l’époque carolingienne, Jacques Le Goff note une première percée idéologique du monde des travailleurs, « dont la sémantique met en évidence un cheminement : depuis le VIIIe siècle labor, ses dérivés et ses composés (notamment conlaboratus) développent un sens nouveau, centré sur l’idée d’acquisition, de gain, de conquête, surtout en milieu rural, il est vrai, où le mot est lié à la notion de défrichement » (Le Goff 1999 : 121)134.

La ville émane de cette vie rurale, ses abords sont les premiers à être défrichés. Ainsi la vallée de l’Hers (Taillefer 2002 : 62), jouxtant celle de la Garonne, est rapidement mise en culture. Toulouse, comme d’autres villes dans un contexte similaire a alors la fonction d’« un entrepôt, le plus important du pays que son influence irrigue » (Dutour 2003 : 135)135, c’est également une place de marché servant de débouché aux productions locales. La ville institue une centralité qui structure économiquement sa région. La théorie des lieux centraux élaborée par Christaller (1933) est assez probante pour rendre compte de cette première phase d’urbanisation médiévale. En effet, « le système des lieux centraux se base sur l’idée selon laquelle l’urbanisation est la résultante du processus de développement rural » (Hohenberg 1992 : 86). Toutefois, comme le notent Lees et Hohenberg, cette théorie n’est pas exempte de critiques et elle ne peut que fournir une vision d’ensemble qui ne coïncide que lointainement avec une réalité diverse136. En particulier, la répartition prévisible des villes en fonction de leur taille, que Russel a appliquée au développement médiéval urbain, ne parvient pas à expliquer l’apparition de régions fortement urbanisées en Italie du Nord ou dans les Flandres. Cette méthode d’analyse des systèmes urbains est de ce fait qualifiée

134 Cette « percée idéologique » s’effectue après un « effacement du travail et des travailleurs dans

la société, la mentalité et l’idéologie du Haut Moyen Age », qui voit la réduction de la notion de travail à celle de travail manuel et de celui-ci au travail rural. C’est par exemple entre le VIe et le VIIIe siècle que le verbe laborare se spécialise dans le sens du travail agricole », mentionne Le Goff (1999 : 112).

135 Pirenne rappelle que le « portus dans la langue administrative de l’Empire romain » désigne

« non point un port de mer, mais un endroit clôturé servant d’entrepôt ou d’étape pour des marchandises. L’expression a passé, en se transformant à peine, aux époques mérovingienne et carolingienne » (Pirenne 1992 : 106-107).

136 Mais il n’est pas si sûr, d’un point de vue épistémologique qu’une théorie doive coller à la

réalité ; les travaux de Jacques Bouveresse, notamment sur le physicien Boltzman, sont là pour nous le rappeler.

par Robson d’ « outil tranchant très émoussé » (Hohenberg 1992 : 84)137. Elle est tout de même féconde pour décrire comment l’armature urbaine s’appuie sur une armature villageoise très dense, puisque le Moyen Age connaît la formation de « peut-être 500 000 localités de 500 à 1000 habitants » (Dutour 2003 : 146). « Les villes médiévales procèdent d’un monde rural dont elles se distinguent mais ne se séparent pas » ; « le puissant mouvement de développement des habitats villageois intervenu dans les temps médiévaux en même temps que l’urbanisation donne au lien entre villes et campagnes une forme particulière, propre aux temps qu’on considère : c’est un lien entre des villes et des villages » souligne Thierry Dutour (2003 : 145).

L’urbanisation médiévale s’effectue ainsi à travers de nouvelles implantations tant dans les pôles citadins que dans les campagnes. André Chédeville montre que, de la sorte, « à Toulouse, la multiplication des sauvetés s’accompagne de la fondation de noyaux de peuplement identiques à l’intérieur de la vaste cité » (Le Goff 1998 : 105). Ces sauvetés138 viennent compléter les villages récemment formés autour des châteaux, les « castelnaux » comme Castelginest, Castelmaurou ou Cornebarrieu aux alentours de Toulouse. Contrairement à ceux-ci, leur habitat est plus lâche et ne se densifie que progressivement, au sein d’un territoire protégé par une ceinture de croix (Taillefer 2002 : 63). Les « salvetats » sont attractives parce que tout nouvel habitant doit « y recevoir un « casal » pour y élever sa demeure, et y bénéficier de diverses exemptions » explique Wolff (1974 : 68). Cela contribue à augmenter la mobilité des populations rurales, et ce faisant, à progressivement les urbaniser. Les vies rurales et urbaines sont très entrelacées. Thierry Dutour souligne combien cet entrelacement s’effectue par un « aller- retour incessant des gens et des biens entre la ville et la campagne ». En outre, la ville est également un lieu de production agricole : « grande ou petite, la ville médiévale sent le fumier » (Dutour 2003 : 134). Ainsi, « la ville n’est pas une île. L’expérience de la vie urbaine que font ses habitants n’est pas celle d’un système clos, isolé du monde extérieur » insiste Dutour (2003 : 150)139. Cela est

137 Lees et Hohenberg se réfèrent à Urban growth : An Approach (1973 : 34) de Robson, et à Medieval Regions and their Cities (1972) de Russel.

138 Il faut évoquer ici le cas particulier des bastides (Bernard 1998) ; « les villes neuves : jalons

pour la conquête du sol » (Heers 1990 : 100, 106) ; voir aussi Brunet (1965 : 310). Cela pose à nouveau la question des relations entre territoires urbains et colonisation.

139

particulièrement vrai dans le Toulousain dont l’existence de la principale agglomération est très imbriquée dans la vie rurale et ses territoires. Son habitat lui donne un aspect comportant de nombreuses similitudes avec ces territoires ruraux. « La symbiose avec ses campagnes vaut à Toulouse l’aspect d’une grosse agglomération rurale. D’une façon générale les textes contemporains parlent plus de « casaux » que de maisons. Des casaux, il y en a partout, dans l’enclos canonial de Saint-Etienne, dans la sauveté et dans le bourg Saint-Sernin » affirme Gérard Pradalié (Taillefer 2002 : 67). De la même manière, « les tours fossoyées qui sont l’orgueil des chevaliers toulousains ne sont pas sans rappeler, en plus monumental, les châteaux du plat pays » (Taillefer 2002 : 66).

Les contours de la vie urbaine sont d’autant plus flous que « la plupart de nos Toulousains sont venus des campagnes proches, abords de la ville, zone du Lauragais, réservoir qui à notre surprise paraît presque inépuisable » écrit Philippe Wolff (1974 : 70)140. Ces ex-villageois urbanisés conservent avec leur campagne d’origine d’importantes relations sociales (au premier chef, familiales), permettant à d’autres de venir vivre en ville et instituant de cette façon des filières d’émigration. « Le villageois qui devient citadin n’est donc pas un déraciné. Il n’est pas non plus, en ville, un inconnu : on connaît l’endroit d’où il vient, des citadins peuvent répondre de lui et attester sa réputation », indique Thierry Dutour (2003 : 149). Réciproquement, les citadins investissent les territoires ruraux, et « il n’est pas jusqu’aux milieux populaires qui n’entretiennent avec les campagnes suburbaines des liens étroits, soit comme petits propriétaires, soit plus souvent comme fermiers ou tenanciers des grands » ; ainsi, « la ville ne se contente pas de trouver dans ses campagnes en pleine vitalité sa nourriture et son travail, voire un marché pour les produits de son artisanat. Elle y puise aussi sa substance humaine, ses hommes et ses femmes plus nombreux qu’autrefois et qui, pour toutes sortes de raisons, en prennent le chemin » (Taillefer 2002 : 64). Il importe de souligner que « cette émigration rurale n’est pas seulement populaire, composée de serfs fuyant leur seigneur pour venir, selon l’expression consacrée, respirer l’air de la ville parce qu’il rend libre. Elle concerne aussi les couches supérieures de la

140

Par exemple, « rares sont en effet les seigneurs toulousains dont on peut dire avec certitude qu’ils descendent de fonctionnaires carolingiens, peut-être les Toulouse, ou sont originaires de contrées lointaines, de Provence par exemple, comme les Roaix. Beaucoup portent le nom d’un château ou d’un village du voisinage beaucoup plus proche : les Bruguières, Castelmaurou, Castelnau (…), Maurand, Villeneuve, noms qui fleurent bon le Toulousain » (Taillefer 2002 : 66).

société urbaine » (Taillefer 2002 : 65). Un bon exemple de l’enchevêtrement de l’appartenance des populations aux mondes urbains et ruraux est à ce titre le phénomène de la double résidence, phénomène qui est surtout le fait des plus riches : les citadins les plus aisés ont des maisons de campagne, et les aristocrates ruraux ont des maisons de ville, ce qui a amené Thierry Dutour à reprendre le qualificatif de « rurbanisme » pour analyser ce phénomène (Dutour 2003 : 197). S’appuyant sur les travaux de Louis Wirth, il montre que si « la mobilité des hommes n’est pas une invention des temps médiévaux », et que ceux-ci « ne sont pas moins mobiles après la fin du Moyen Age qu’auparavant », « la nouveauté propre aux temps médiévaux existe pourtant bien » : à la différence des temps industriels, on n’assiste pas à un « exode rural massif aboutissant à vider les campagnes de leur population » (Dutour 2003 : 199). Cette mobilité croissante tout au long du Moyen Age accompagne et participe à l’essor urbain et à celui des échanges.

Cependant ce processus s’inscrit dans la très longue durée, et l’essor urbain n’en est qu’une composante. « C’est, en effet, une croissance extensive poursuivie pendant des siècles, puis l’intensification de la croissance entre le Xe et le XIIe siècle, qui rendent compte du développement de l’influence urbaine sur les campagnes et de la multiplication du nombre des villes » (Dutour 2003 : 119). En ce sens, « la ville médiévale ne naît pas ; elle advient par une évolution – si l’on tient à s’autoriser une métaphore, on pourrait parler d’une mue » commente Thierry Dutour (2003 : 157). Elle est « surgie du plus profond d’évolutions endogènes obscurément locales » ; la ville n’est « pas un élément perturbateur, mais bien un élément nécessaire et constitutif » de la société médiévale (Dutour 2003 : 177). Ce n’est qu’ensuite, à partir du XIIe, que « pour la première fois depuis des siècles, le lien existant entre l’essor démographique et le développement économique d’ensemble se détend : le second dépend de moins en moins du premier. C’est une évolution d’une immense portée » (Dutour 2003 : 125). Mais avant que le fait urbain ne commence à s’autonomiser, il a fallu qu’il se maintienne. La chrétienté, dont le rôle a déjà été souligné au chapitre précédent, intervient comme condition de possibilité de ce maintien (Bairoch 1985 : 163)141,

141 Bairoch avance que l’Eglise a joué en la matière un « rôle important, plus important que le

et cela pendant une période relativement longue : depuis l’Antiquité tardive jusqu’au début du Bas Moyen Age, presque un millénaire. La christianisation va durablement imprégner les mentalités : elle apporte « une nouvelle mesure du temps » et un « remodelage de l’espace » (Le Goff 2003 : 39-41). Ainsi, le rythme de la semaine et le repos dominical, Noël et Pâques commencent à partir du IVe siècle à ponctuer les existences. Jacques Le Goff nous rappelle l’importance d’une autre scansion chrétienne du temps : « en effet, l’Occident vécut au VIIe siècle une nouveauté d’une grande portée, l’introduction des cloches et la construction de clochers et de campaniles. Les heures restaient incertaines au gré des moines, mais les heures étaient entendues partout en ville et à la campagne, et la mesure et la diffusion sonore du temps étaient une innovation capitale » (Le Goff 2003 : 40). Les territoires des diocèses142, dont la ville épiscopale est le centre de gravité (Dutour 2003 : 77-91), prennent le relais de la Cité antique, assurant la persistance du fait urbain, tout en lui conférant une tonalité nouvelle.

Les chemins de Saint-Jacques (Frexinos 2001 : 22).

Avec la Chrétienté, une réticularité différente s’instaure, à des fins qui ne sont plus militaires, comme elles avaient pu l’être pendant la période romaine, mais

facteurs d’urbanisation » (Bairoch 1985 : 163). Ellul, dans son Histoire des institutions, met en relief, la façon dont l’Eglise est « médiatrice entre les deux civilisations » (Ellul 1999 : 48).

142 L’étymologie du mot ‘diocèse’ comporte en elle-même une certaine conception de la

territorialité : le latin ‘diocesis’, « circonscription administrative de l’Empire romain », est emprunté au grec ‘diokêsis’, proprement « gouvernement d’une maison » d’où « administration gouvernement », qui est un dérivé de la notion d’‘oikos’, ancêtre de l’économie (Rey 2004 : 1090).

qui, elle aussi va ouvrir la voie aux commerces. Ainsi, « s’instituèrent des réseaux reliant certains point, certaines régions entre elles. Le culte des reliques amena la promotion de lieux de reliques célèbres ». Ce culte « engendra des pèlerinages et relia les populations de l’extrême Occident entre elles, mais, surtout, s’organisèrent en étapes » (Le Goff 2003 : 41) qui assurent la renommée de certaines villes. L’influence de ces réseaux s’accentua au fil du Haut Moyen Age, et « le passage des troupes de pèlerins, dont la plupart n’étaient pas partis sans se