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La ville naît de rencontres. Ainsi Toulouse est-elle le fruit de la colonisation romaine. Entendons-nous au préalable sur la notion de colonisation car celle-ci est lourdement chargée de connotations péjoratives, suite entre autres à la critique marxienne du phénomène colonial moderne. Pourtant l’étymologie du terme ‘colon’ est à la fois plus large et surtout moins polémique, puisque le ‘colonus’ est un cultivateur, mot très utilisé en latin médiéval pour désigner le « tenancier d’une terre », ensuite « repris en français au XIVe siècle comme terme d’histoire antique à propos de la personne qui habite une ville nouvelle fondée par une cité (Grèce) ou par Rome » (Rey 2004, 1 : 805). La colonie évoque les idées de migration et de peuplement ; on parle de la sorte d’une colonie pour un « groupe d’animaux

68 Un tel questionnement fondamental anime par exemple René Maunier, dans son étude sur L’origine et la fonction économique des villes, publié en 1910 (Maunier 2004).

69 Se reporter au commentaire de La forme d’une ville par Alain-Michel Boyer dans Julien Gracq. Paysages et mémoire (Nantes, Editions Cécile Defaut ; 2007 : 137-200).

vivant dans un lieu », pour des enfants qui partent en vacances, ou pour des émigrés résidents dans le même lieu d’accueil. ‘Colonisation’, pour sa part, apparaît au XVIIIe siècle et a été influencé par l’anglais du fait de la prépondérance britannique dans l’histoire des empires coloniaux. Il est alors intéressant de remarquer que ce terme a gardé dans cette langue une valeur plus neutre qu’en français, et est fortement corrélé au verbe ‘to settle’ et au mot ‘settlement’. Ces termes peuvent être traduits par établir, s’établir et établissement, mais comportent d’autres acceptions qu’il n’est pas inutile de rappeler : évidemment ‘peupler’, ‘coloniser’, mais aussi ‘mettre bien en place’, ‘fixer’, ‘déterminer’, ou encore ‘trouver un arrangement’, un ‘accord’, ‘apaiser’70. Nous retrouvons ici des ramifications de la racine Indo-européenne ‘Sta’, et comprenons mieux comment, du point de vue de la très longue durée, la colonisation se confond presque avec l’histoire des établissements humains71. La tribu celte des Tectosages, « chercheurs de terres », avait colonisé le toulousain quelques siècles avant que les Romains ne s’y installent et fondent la colonie de Tolosa. L’origine de Toulouse procède de la mise en relation de ces deux peuplements successifs. Il convient de souligner que bon nombre de villes résultent d’un processus similaire, et ne surgissent pas d’elles mêmes à la faveur d’un surplus agricole.

La rencontre avec la dynamique romaine d’urbanisation n’est pas le fruit du hasard. « C’est vers le milieu du second âge de fer que Toulouse entre dans l’histoire, en devenant la capitale d’un peuple gaulois en pleine expansion, les Volques Tectosages » (Pailler 2001 : 77). Cultivateurs plus tard vantés par César, ces derniers contrôlent un point de passage important72 de l’archaïque voie de l’étain73. L’intérêt du site toulousain réside dans l’existence d’un gué naturel74 sur la Garonne car, comme le fait remarquer Coppolani, celle-ci fait d’abord figure de

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Mes sources sont l’Harraps et l’Oxford advanced learner’s dictionnary ; à noter également la traduction par agglomération de l’utilisation par Melvin Webber de ‘settlement’ dans L’urbain

sans lieu ni bornes.

71 Ainsi, selon Paul Bairoch, dans Mythes et paradoxes de l’histoire économique, « affirmer que

l’histoire du monde se confond avec celle du colonialisme est à peine une exagération » (1999 : 201). Voir aussi la préface de Thierry Paquot à L’origine et la fonction économique des villes de René Maunier (2004 : IX).

72 « Poste de trafic occupé à un commerce transit » ; aussi, « bateliers, conducteurs d’animaux,

trafiquants, gardiens d’entrepôts, tels furent sans doute les premiers habitants de Toulouse, plutôt qu’agriculteurs » estime Coppolani (1963 : 15), partiellement contredit par les recherches ultérieures.

73 Cet axe était l’ancienne route de l’étain (dans l’autre sens) (Labrousse 1968 : 107). 74

frontière entre les peuples celtes et aquitains (Coppolani 1963 : 250)75, à l’endroit où le chemin est le plus court entre Méditerranée et Atlantique. Bien qu’il ne faille pas trop « exagérer le rôle de l’isthme français », nous met en garde Braudel (1990 : 267), les Tectosages ont largement tiré parti de leur établissement à proximité de la trouée de Montaudran et du seuil de Naurouze. En effet, ceux-ci constituent la percée la plus aisément franchissable des coteaux du Terrefort vers la Méditerranée et sa civilisation. Cette position avait déjà été utilisée par les peuplements qui avaient précédé celui par les Tectosages, comme en témoignent les céramiques, bijoux ou mobiliers en provenance du monde méditerranéen mis à jour par les fouilles archéologiques, mais il s’agit là de traces d’échanges assez irréguliers. Jusqu’alors ces derniers sont principalement « effectués à petite échelle, de tribu à tribu, et le secteur n’est pas encore intégré au circuit du grand commerce », comme le montre Jean Marie Pailler (Taillefer 2002 : 14). Avec les Tectosages, nous assistons à un « véritable boom des échanges avec le littoral languedocien », car ils sont des « interlocuteurs indigènes solvables, pourvus d’une bonne assise territoriale et de structures politiques assez solides pour garantir la régularité et la sécurité du trafic » (Pailler 2001 : 81, 84)76. « Bastion avancé de la présence romaine », Toulouse devient un bourg marché, jouant « très tôt un rôle d’accueil et de transfert vers l’intérieur de la Gaule des produits d’Italie, mais aussi d’Espagne » (Taillefer 2002 : 17)77. Les nombreuses amphores retrouvées attestent en particulier d’un important commerce de vin, importé surtout de Campanie où de grands vignobles spécialisés avaient été créés au IIe siècle avant J.C. par l’aristocratie sénatoriale. Il était destiné à satisfaire la demande des élites locales, car les Gaulois étaient réputés pour en être de grands

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« La ville se trouve à la rencontre des pays complémentaires du terrefort et des boulbènes, des terres à froment et des sols à seigle et à vigne » ; « Toulouse pouvait alors se qualifier de « barriera e frontiera » » (expression tirée des Doléances de la ville de Toulouse aux Etats de

Languedoc en 1438). « Ce sont deux provinces, séparées par le fleuve, qu’elle mettait en

communication : pays de Languedoc à l’Est, de Gascogne à l’ouest. La toponymie révèle encore leur opposition : ainsi, au milieu des noms en –ville (…), apparaissent aux environs de Toulouse les premiers éclaireurs (…) des noms en –ielle » indique Wolff, dans les premières pages de sa thèse (1954 : 5)

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Après la victoire sur la Carthage d’Hannibal et la mainmise sur le bassin occidental de la Méditerranée (première moitié du IIe av. J.C.), le littoral languedocien devient une chasse gardée militaire et commerciale de Rome, entre Espagne et Italie (Taillefer 2002 : 17).

77 Voir aussi Michel Labrousse (Wolff 1974 : 20) : « la Campanie et peut-être l’Etrurie fournirent

jusqu’au règne d’Auguste les lampes et la vaisselle de luxe à lustre noir. (…). Vingt ou trente ans avant notre ère, les ateliers toscans d’Arezzo prirent la relève et firent triompher à Toulouse comme dans tout le monde romain la céramique arétine à pâte et à couvercle rouges. Vinrent encore d’Italie : des lampes de terre cuite de Rome, des gobelets décorés de la plaine du Pô, de la vaisselle et des casques de bronze ».

consommateurs, ainsi que celle des premiers immigrés venus de la péninsule italienne qui « n’entendaient certainement se priver ni de leur boisson ordinaire, ni des crus qu’ils avaient appréciés en leur pays d’origine » (Wolff 1974 : 19). « On pense en général que le fret de retour vers l’Italie se composait d’esclaves (« un esclave pour une amphore », dit un texte grec), de métaux et sans doute, de plus en plus, de blé du Lauragais », d’après Jean Marie Pailler (Taillefer 2002 : 17). « Le fait essentiel est que son commerce tournait le dos à la Gaule pour ne guère regarder que vers la Méditerranée. La route de Narbonne lui apparaissait certainement comme celle de la Civilisation », comme l’écrit Michel Labrousse ; selon le mot de ce dernier, avant même la fondation de la ville romaine, Toulouse vit déjà à « l’heure italienne » (Wolff 1974 : 20-21).

Si les Tectosages sont en voie de romanisation avancée, ils n’en sont pas moins un peuple celte d’abord indépendant. Leur capacité à jouer un rôle de redistribution est la conséquence d’un certain rayonnement propre. Ils bénéficiaient de la fertilité de leurs campagnes ; et aux yeux du voyageur grec Posidonios, dont le récit est parvenu jusqu’à nous par le « géographe » ancien Strabon, ils apparaissaient fort riches ; celui-ci était notamment très impressionné par leurs nombreux bijoux en or (Wolff 1974 : 15). Posidonios insiste également sur le fait que Toulouse possédait le sanctuaire le plus vénéré de la région, fréquenté par les habitants de la capitale mais aussi, preuve de son attractivité, par les gaulois des alentours (Pailler 2001 : 92). Les Tectosages pratiquaient en outre le culte des eaux : puits et étangs sacrés dans lesquels des offrandes étaient déposées. Lorsqu’en 106 (av. J.C.), à la suite d’une révolte et d’alliances conclues avec les Cimbres et les Teutons qui étaient presque devenus maîtres du sud de la Gaule, ils subirent l’assaut des troupes romaines, leurs trésors furent livrés au pillage et ainsi naquit la légende de « l’or de Toulouse ». En effet, chargé de diriger les opérations, le consul Caepio qui s’était emparé à cette occasion d’une importante quantité de métal précieux, connut une cuisante défaite à Orange sur son chemin retour. Issu de la plus haute noblesse, cela lui valut le déshonneur et il fut condamné à l’exil. De là proviennent toute une série de légendes autour de l’expression qui allait devenir proverbiale : « bien mal acquis ne profite jamais » ; l’histoire politique et économique rejoint ici celle du fait religieux et de la morale, faces complémentaires des échanges qu’il s’agit de penser ensemble. Cet épisode

marque un tournant décisif dans le processus d’urbanisation du toulousain car il est synonyme d’établissement d’une garnison et signe la fin de l’autonomie relative des Tectosages, soumis pendant un temps à de lourdes taxes pour leur commerce des vins puis servant de base arrière dans la conquête de la Gaule par César. Progressivement, leur centre de gravité se déplace vers le lieu où la ville romaine sera établie. L’étude des nécropoles nous montre que l’habitat proto urbain, jusqu’alors regroupé autour du sanctuaire sur la hauteur de Vieille Toulouse ainsi que sur un chapelet de hauteurs avoisinantes et près des étangs sacrés en contrebas, connaît au Ier siècle avant J.C. un développement sans précédent avant de disparaître assez rapidement de ces sites, pour se concentrer ensuite à proximité du gué sur la Garonne, sur la terrasse de la rive droite protégée des crues (Baccrabère 1983 : 126-149)78. D’objet de culte, l’eau va devenir un enjeu économique et stratégique davantage encore qu’elle ne l’avait été, évolution qui sera ultérieurement symbolisée par la construction d’aqueducs79.

A la veille de la fondation de la ville romaine, une forte poussée démographique reflète la mutation à l’œuvre. La présence d’une importante garnison accéléra la romanisation entamée depuis longtemps. Elle eut pour conséquence une immigration italienne, favorisant l’essor de l’économie locale, qui à son tour contribua à accroître la fécondité des Tectosages, déjà considérée comme traditionnellement forte. « Outre les vétérans qui ont dû faire souche, Toulouse accueillit, comme toute la Provincia, des hommes d’affaires, des banquiers, des marchands qu’attirait le commerce des vins, des fournisseurs trafiquant sur les arrières des armées. Les uns et les autres ont traîné derrière eux, recruté parmi leurs esclaves et leurs affranchis, un peuple de commis, d’agents d’exécution, de caissiers et de comptables. Ce sont ces petites gens, venus du Latium ou de la Campanie, dont les noms se lisent en 47 av. J.C. sur l’inscription de Vieille

78 « Le plus souvent l’emplacement de l’ancien oppidum ne fut pas conservé : précaution contre

d’éventuels soulèvements sans doute, mais aussi volonté consciente de créer des conditions de vie nouvelles en changeant le caractère de la cité. Il ne s’agit pas de maintenir une tradition mais d’en commencer une. La ville gallo-romaine ne doit plus être seulement un centre religieux et une forteresse d’accueil. Elle doit être la résidence des notables et un centre de vie économique et social » explique Pierre Grimal (1981 : 315).

79 En ce sens, « les installations hydrauliques constituent un « équipement collectif » de grande

envergure : elles domptent, contraignent l’eau sauvage (…). Il faut remarquer qu’il ne s’agit pas d’un simple stockage et redistribution d’un flux-déjà-donné ; il y a production d’eau utile, c’est-à- dire transformation d’une énergie naturelle (destructive ou inaccessible) en énergie utile » Comme le montrent François Fourquet et Lion Murard dans Les équipements du pouvoir (Fourquet 1973 : 80-81)

Toulouse », ainsi que le décrit Labrousse (Wolff 1974 : 22). Fait rare en dehors de la péninsule italienne comme le souligne Jean Andreau, une tessère nummulaire datant de cette époque a été retrouvée sur ce site (Andreau 2001 : 155). Petits bâtons d’os ou d’ivoire suspendu à un sac de monnaie portant le nom de l’esclave qui les transportaient, celles-ci étaient utilisées pour les transactions entre grandes sociétés ou avec l’Etat. A ces flux monétaires à grande échelle s’ajoute une augmentation générale du numéraire romain ainsi que des espèces indigènes et espagnoles. Cette monétarisation croissante des échanges ne doit pourtant pas nous induire en erreur ; le mode de vie des Tectosages demeure pré urbain et assez rudimentaire : l’habitat de cabanes reste villageois, l’élevage continue d’être l’activité principale, et l’artisanat limité. Malgré tout, de nouvelles ressources en provenance de Rome sont apparues, et dont les locaux surent profiter80. Ceci nous éclaire quant à la notion même de ressource. En effet, contrairement à l’image d’élément directement utilisable, disponible immédiatement, que nous pouvons en avoir à la suite notamment de l’usage intensif par nos économies des matières premières, une ressource est quelque chose qu’il s’agit de faire rejaillir. L’histoire du mot nous indique que c’est le doublet populaire de ressurgir et qu’il a d’abord signifié « le secours que l’on obtient d’un pays ». Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’il a commencé à désigner « les réserves dont dispose un pays, son potentiel économique », conservant toutefois dans certains dialectes son sens initial pour parler par exemple « d’une pâte bien levée ou de ce qui vient en abondance » (Rey 2004 : 3212). Cette « pâte bien levée », c’est la ville de Toulouse en gestation, les Romains en auront été le ferment ; l’exploitation de ressources nécessite leur explicitation, et constitue un certain accomplissement 81.

Le rôle de Rome a donc été crucial dans l’émergence de Toulouse en tant qu’établissement urbain, mais il ne serait pas juste de considérer la puissance romaine comme salvatrice des Tectosages, ceux-ci n’étaient nullement en danger.

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Ils y trouvèrent certains avantages, ce qui leur a permis de croître ; voir aussi les différents sens de ‘profiter’ au cours de l’histoire (Rey 2004 : 2959).

81 Voir l’histoire du verbe ‘exploiter’ (Rey 2004 : 1370). En effet, ce verbe a connu une évolution

sémantique similaire à celle du mot ‘ressource’ puisque ce n’est qu’au XVIIIe siècle qu’il prend une valeur abstraite et souvent péjorative ; il avait été introduit en français à partir du latin populaire explicitare, ‘accomplir’ puis ‘travailler’, ‘faire valoir’, tiré d’explicitum supin d’explicare ‘dérouler’, ‘développer’. Sa signification, à l’époque proche de celle d’exploit, de concrètement tirer parti de quelque chose, notamment d’une entreprise agricole, industrielle ou commerciale, date du XIIIe siècle.

Au bénéfice de meilleurs rendements agricoles et d’un profond changement de leur mentalité, ces derniers auraient probablement développé une urbanité sui

generis82. Dans sa description de l’Europe avant le « miracle » grec, Paul Bairoch souligne que « même un « miracle » a besoin d’un environnement propice. Même une greffe a besoin d’un porteur solide » (Bairoch 1985 : 122), pour insister sur les progrès de l’agriculture réalisés antérieurement à l’urbanisation. Il reprend les conclusions de Goudineau et Kruta concernant la Gaule pré romaine, pour qui « certains centres étaient sans doute proches de (et prêts à) devenir des villes, plus nombreux sans doute dans le Midi qu’ailleurs. La conquête romaine devait mettre en évidence cette disponibilité ; là où les structures n’étaient pas adaptées dès la fin de la protohistoire, l’action de Rome rencontrait un échec au moins relatif » (Duby 1980, 1 : 231). Néanmoins, au regard du « retard urbain de l’Europe non romanisée » (Bairoch 1985 : 124), il est indéniable de constater que la colonisation a précipité les choses ; le délai de 2000 ans séparant généralement, selon Bairoch, l’existence d’une véritable agriculture de l’apparition des villes, ayant « été raccourci artificiellement par des phénomènes de transferts » pouvant s’effectuer par migration, par commerce ou par conquête (Bairoch 1985 : 130- 131).

Le cas toulousain relève de ces trois types de transferts, tous les trois étant au service du principal objectif des Romains, avant tout militaire. Un analyste stratégique comme l’américain Edward Luttwak a dessiné à grands traits quelle était leur manière de procéder à cette époque : pour économiser leurs forces, ils ne déployaient pas leurs troupes sur le périmètre des frontières, mais avaient organisé leur système défensif à partir de légions et de colonies situées en retrait de ces limites, sur des axes de communication pour faciliter la mobilité des armées. De la sorte, celles-ci pouvaient être utilisées à la fois à des fins externes et internes, car le risque de révoltes intérieures de minorités autochtones rebelles était autant sinon plus important que d’éventuelles infiltrations ou incursions d’ennemis venus de l’extérieur. Ainsi, « la priorité de la sécurité intérieure sur la sécurité extérieure était le facteur clé de la distribution des légions. D’où les trois légions en Espagne, qui n’était pas une province frontière mais se trouvait au stade terminal d’un effort

82 De telles hypothèses fictionnelles nous permettent d’éviter d’avoir une conception par trop

unilatérale de l’histoire urbaine car elles sont l’occasion de mesurer le devenir historique à l’aune de la multiplicité des possibles.

de pacification séculaire ». « Les colonies étaient un second moyen de contrôle stratégique », avec des vétérans légionnaires stationnés en permanence ; « centres de contrôle direct de Rome », elles « fournissaient des renseignements et des bases de surveillance ». A ce dispositif, s’adjoignait une défense indirecte par le biais d’Etats clients et de tribus clientes. « Leur perception de la puissance militaire romaine et la crainte des représailles expliquaient leur docilité. En se chargeant de prévenir les attaques contre la province, les clients diminuaient d’autant la nécessité d’assurer la sécurité locale aux frontières contre les attaques de faible ampleur ; de cette façon, la totalité de la puissance militaire disponible était accrue… et ainsi de suite » (Luttwak 1987 : 14-16)83. L’évolution du statut de Toulouse vis à vis de la puissance dominante romaine jusqu’à la fondation de la ville par Auguste, puis le titre de colonie décerné par Domitien, illustre fort bien cette stratégie globale. En effet, les Tectosages étaient d’abord un peuple allié, autrement dit, en suivant Luttwak, un client de Rome, au rôle de garde frontière par procuration face une Gaule encore hostile. Puis, après la conquête romaine, ils se révoltèrent ce qui entraîna leur mise au pas par l’installation de troupes pour prévenir toute nouvelle rébellion, celles-ci serviront notamment de renfort à Crassus dans sa campagne contre les Aquitains (en 56 av. J.C.)84. Enfin, ville latine et ensuite colonie romaine, Toulouse, par sa situation de carrefour routier, est conforme aux exigences de mobilité mentionnées plus haut. Ainsi, sa gestation correspond à sa « clientélisation » progressive jusqu’au moment où il devenait plus opportun pour l’Empire, eu égard au contexte et sa stratégie de l’époque, de la transformer en relais urbain de sa puissance. Le commerce a donc préparé la mutation culturelle des Tectosages, mais c’est la guerre qui conduit à urbaniser leur territoire, deux pôles majeurs du monde des échanges.