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Chapitre 6 : LA SEXUALITÉ DES JEUNES EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

2. Une adaptation aux réalités socioéconomiques de la région

Si le comportement sexuel des jeunes en Afrique subsaharienne connait une forte influence de la culture occidentale, il est aussi une réponse au bouleversement socioéconomique actuel dans les sociétés africaines. En effet la sexualité des jeunes est aujourd’hui corrélée à un intérêt économique (financier ou matériel) et/ou social (accès au mariage, réponse à la curiosité et à la pression des pairs). Au delà de toute considération éducative, on ne peut minimiser le fait qu’aujourd’hui, peut-être plus qu’hier, l’intérêt économique et/ou matrimonial motive est oriente amplement la vie sexuelle des jeunes dans les pays d’Afrique subsaharienne, particulièrement celle des filles. Plusieurs auteurs qui se sont penchés sur la problématique de la sexualité des jeunes en Afriques subsaharienne n’ont pas manqué de relever cet obstacle pour la jeunesse africaine à s’inscrire dans une démarche sexuelle responsable (Irvin, 2000 ; Meekers & Calvès, 1997 ; Nyanzi, Pool et al., 2001 ; Omokaro, 2009 ; Sami Tchak, 2002). Ce constat est également fait par le sociologue Pierre Pradervand (1973) qui écrit :

Il est difficile est exclu de vouloir aborder le problème de l’éducation sexuelle en dehors du contexte général du développement d’un pays. Vouloir faire de l’éducation sexuelle alors que le milieu ambiant pousse à la facilité dans le domaine, c’est perdre son temps. Vouloir encourager chez les jeunes un comportement sexuel responsable, alors qu’un certain tourisme de masse financé et développé par l’Ouest encourage encore trop souvent le développement de la prostitution (tant masculine que féminine), alors que les films érotiques européens de bas étages passent devant des auditoires de jeunes adolescents dans presque

toutes les salles de cinéma, alors que certains achètent les privilèges des jeunes lycéennes par des robes, pagnes, des soirées au dancing, parfois avec l’assentiment des parents, bref, alors que tant de réalités de la vie sociales encouragent un comportement sexuel irresponsable, vouloir faire de l’éducation sexuelle sans s’occuper de ce contexte plus large serait non seulement inutile mais nuisible. (Pradervand, 1973, p.8)

Si ce constat date d’une quarantaine d’année déjà, il est pourtant plus actuel que jamais pour la majorité des pays d’Afrique subsaharienne. Combien sont-elles dans ces pays d’Afrique subsaharienne, les jeunes filles très souvent mineures dont la première expérience sexuelle n’est pas une expérience voulue, mais une expérience imposée par les réalités socioéconomiques ? Combien sont-elles qui offrent leur jeunesse, leur innocence, au prix d’une urgence matérielle que ne peut malheureusement combler une éducation à la sexualité si efficace soit-elle ?

La situation de dépendance économique dans laquelle sont assujetties les jeunes filles les poussent à se prostituer pour subvenir à leurs besoins (Ankomah & Ford, 1993 ; Petit & Tchetgnia, 2009 ; Rwenge, 2003). Comme le relève Rwenge (2006), « la plupart des jeunes filles ont plusieurs partenaires sexuels pour disposer des ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins » (p.26). Il ajoute que

le pouvoir économique du partenaire sexuel joue un rôle important dans la durabilité des relations. Ce qui veut dire que plus le pouvoir économique du premier partenaire sexuel d’une jeune fille … est élevé, moins sera le nombre de ses partenaires sexuels … Et ce nombre sera encore plus faible si la jeune fille est aussi économiquement aisée, … et si en plus elle vie dans une société où les mœurs sexuelles sont rigides. (Rwenge, 2006, p 26)

Les adolescentes ont davantage recours à cette pratique, souvent pour payer leurs études lorsqu’elles ne sont pas soutenues par leur famille. Dans ce cas les partenaires sont généralement plus âgés, ce qui en plus de la considération financière, limite les possibilités de l’adolescente à négocier un comportement sexuel à moindre risque (Rwenge, 2003). De même, souvent dans l’impossibilité de demander argent de poche, vêtements, chaussures et autres accessoires vestimentaires à leurs parents qui sont souvent incapables de satisfaire leurs besoins, ces adolescentes entretiennent des relations sexuelles avec des hommes généralement plus âgés et capables de satisfaire de tels besoins (Cole, 2004 ; Fouquet, 2007 ; Nyanzi, Pool

et al., 2001 ; Omokaro, 2009). Au-delà de cette envie de satisfaire leurs besoins matériels et financiers, certaines filles se prêtent à ces relations sexuelles afin de se faire valoir auprès de leurs amis et combler leur désir d’être à la mode, d’améliorer leur confort sans qu’il soit question de survie, et d’accéder à des espaces de sociabilité élevés (Gorgen, Maier & al., 1993 ; Petit & Tchetgnia, 2009).

Bien que les garçons se prêtent aussi à des relations avec des femmes plus âgées pour accéder aussi aux avantages financiers, et qu’ils décident souvent d’avoirs plusieurs partenaires (Meekers & Calvès, 1997), peu de travaux ont toutefois été menés à ce sujet. Néanmoins, même dans les relations avec leurs pairs, les considérations financières et matérielles ont un effet réel sur le comportement sexuel des jeunes filles comme des jeunes garçons.

Toutefois, la nécessité matérielle évoquée par la majorité des filles pour justifier qu’elles entretiennent ce type de relation est remise en question par certaines études ethnologiques (Abega, 2007 ; Nyanzi et al., 2001; Poulin, 2007). Pour ces auteurs, la contrepartie dans la relation sexuelle hors mariage serait perçue par les deux partenaires comme une marque du respect de la femme, une preuve d’amour ; et aboutirait ainsi à une forme de ''ritualisation de la compensation'' (Petit & Tchetgnia, 2009). Ainsi, plus la fille reçoit de son partenaire des cadeaux matériels ou financiers, plus elle s’estime aimée. Elle considère de plus tout avantage qu’elle peut tirer de sa relation comme une juste compensation de sa contribution au bonheur et à la valorisation sociale de son partenaire (Petit & Tchetgnia, 2009).

Pour clore cette analyse, comment ne pas relever la pression sociale exercée autant sur les garçons que les filles pour accéder à un mariage qui socialement est synonyme de ''personne

responsable'' et de dignité46 pour le garçon (Ombolo, 1991), d’une ''charge en moins'' pour la

famille de la fille et de sécurité matérielle47 pour la fille (Savane, 1974).