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Chapitre 6 : LA SEXUALITÉ DES JEUNES EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

7. Le cadre institutionnel des pays africains

Parce qu’il réglemente plusieurs aspects de la vie sexuelle, le cadre institutionnel a une influence sur le comportement sexuel des individus, notamment en ce qui concerne l’entrée en

sexualité des adolescents. Très peu d’études ont évalué cet effet des facteurs institutionnels sur le comportement sexuel des individus, nous jugeons à bien des égards important de nous y attarder. En effet, dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, il existe une législation régissant entre autre l’âge légal d’entrée en sexualité et l’âge légal du mariage. Des dispositions légales encadrent un certain nombre d’activités relatives à la vie sexuelle. C’est le cas de l’homosexualité, de l’interruption volontaire de grossesse, de la prostitution, des abus sexuels, de l’atteinte à la pudeur ou aux mœurs…

Alors que l’entrée en sexualité était jadis marquée par des rites initiatiques introduisant la jeune fille ou le jeune garçon dans le groupe des adultes, la société moderne fixe par la loi l’âge de la majorité sexuelle. Cet âge de la majorité sexuelle varie d’un pays à l’autre, passant de 12 ans en Angola à 20 ans en Tunisie [1]. Au Cameroun le législateur n’a pas spécifiquement définit l’âge de la majorité sexuelle, même si en considérant l’âge légal du mariage de la fille fixé à 15 ans, certains auteurs situent cette majorité sexuelle autour du même âge. Si en occident l’âge de la majorité sexuelle est majoritairement respecté, ce n’est malheureusement pas le cas dans les pays d’Afrique (Pettifor, O’Brien, MacPhail, C.Miller & Rees, 2010). Plusieurs raisons peuvent expliquer cela.

D’une part, dans beaucoup de ces pays, coexiste une législation coutumière et une législation moderne (Guinchard, 1978). Ces deux législations ne se subordonnent pas notamment dans certains domaines comme celui du mariage où du partage de l’héritage. Par exemple dans plusieurs pays africain, le mariage traditionnel (ou coutumier) a une symbolique presque égale au mariage civil. En effet, la conception sociale du mariage traditionnel donnent aux couples qui en bénéficient le droit de jouir des prérogatives maritales accordées par le mariage civil, même si exception faite des pays comme le Sénégal (Guinchard, 1978), de tels mariages n’assurent pas aux membres du couple aucune protection juridique prévu par le droit civil relatif au mariage, notamment en matière de divorce ou d’héritage. Au Cameroun par exemple, le code des personnes et de la famille (2008) prévoit dans son article 52, qu’aucun mariage ne peut être célébré si la fille est mineure de 15 ans ou le garçon mineur de 18 ans, ou s’il n’y a pas consentement des époux. Le nouveau code de lois pénales (2006) camerounais considère quant à lui le mariage forcé comme un délit et prévoit des peines d’emprisonnement assorti d’amende pour tout contrevenant. Une peine est aussi prévue pour celui qui donne en mariage une fille mineure de quatorze ans tout comme un garçon mineur de seize ans. Pourtant, cette disposition législative n’est pas systématiquement appliquée, dans la mesure où dans certaines tribus, notamment du nord Cameroun (Abega, 2007), des filles sont mariées

bien avant l’âge de 15 ans selon les us et coutumes de la tribu considérée. Le cas du Cameroun n’est évidement pas isolé, dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne ces dispositions légales demeurent purement symboliques. En effet, si depuis 1990, plusieurs de ces pays ont relevé l’âge légal du mariage (Rwenge, 1999 ; 2000), l'âge moyen au premier mariage des filles est très différent de celui imposé par les prescriptions légales officielles (Ordioni, 2005 ; Prual, 1999).

D’autre part, l’application de la loi relative à la majorité sexuelle ou à l’âge légal du mariage n’est pas systématique dans les situations délictueuses portées à la connaissance des instances judiciaires (UNICEF, 2001). La plupart du temps déjà, les familles dont les enfants mineurs ont des rapports sexuels avec des personnes majeures ou sont mariés contre leur gré ne portent pas plainte. Pourtant, quand on sait qu’une grande part des relations préconjugales, notamment des jeunes filles, implique une fille mineure et un homme majeur, il est clair que le respect du critère tant de la majorité sexuelle que de l’âge légal du mariage pourrait influe r significativement sur l’activité sexuelle des jeunes, notamment en reculant l’âge du premier rapport sexuel, l’intensité du rapport sexuel et les comportements sexuels à risque (Rwengue, 1999).

Outre la loi sur la majorité sexuelle et celle de la majorité nuptiale, la majorité des pays d’Afrique subsaharienne ont mis en place d’autres lois pouvant avoir une influence sur le comportement sexuel des jeunes. Au Cameroun plusieurs dispositions du code de lois pénales visent la régulation de la vie sexuelle. Ainsi, l’article 296 traitant du viol prévoit une peine de cinq à dix ans pour celui qui, à l’aide des violences physiques ou morales, contraint une femme, même pubère, à avoir avec lui des relations sexuelles. Cet article bien que protégeant la femme ne va suffisamment pas loin dans la mesure où il n’est pas explicitement fait mention du viol de l’homme. Elle reste conforme à la représentation sociale qui n’envisage pas toujours la possibilité que l’homme puisse être victime d’un viol. Une loi juste devra it sanctionner autant les délits récurrents que ceux jugés rares bien que probables. En outre l’absence d’une législation sur la majorité sexuelle empêche l’usage systématique de cette disposition de l’article 296 à l’endroit des majeurs ayant des rapports sexuels avec des mineurs de moins de 15 ans, ceux-ci pouvant en cas de plainte être tout au plus être coupables de détournement de mineur ou d’outrage privé à la pudeur, mais pas de viol. En outre la notion de consentement est étendue aux mineurs, puisque la loi ne prévoit pas d’exception à leur égard.

Dans la grande majorité des pays africain, l’interruption volontaire de grossesse est prohibée par la loi sauf dans certaines conditions définies par le législateur (Desgrées du Loü, Msellati, Viho & Welffens-Ekra, 1999 ; Guillaume, 2002; 2005). Au Cameroun, l’article 337 du code de lois pénales puni d’un emprisonnement de quinze jours à un an et d’une amende ou de l’une de ces deux peines seulement, la femme qui fait recours à une interruption volontaire de grossesse. Exception est faite lorsque l’interruption volontaire de grossesse est justifiée par la nécessité de sauver la mère d’un péril grave pour sa santé, en cas de viol après attestation du ministère public sur la matérialité des faits (article 339). Évidement, loin de dissuader les jeunes filles de s’exposer à des grossesses non désirées, cette pénalisation de l’avortement a pour effet de multiplier le recours à des avortements illégaux très souvent pratiqués dans des conditions mettant en danger la vie ou santé sexuelle et reproductive de la jeune fille (Desgrées du Loü, Msellati, Viho & Welffens-Ekra, 1999 ; Guillaume, 2002 ; 2005).

Bien que réglementée par la loi dans la majorité des pays africains, la prostitution est pourtant très présente dans la vie des adolescentes et jeunes filles dans ces pays (Songué, 1986). Les conditions socio-économiques difficiles sont régulièrement avancées pour expliquer cette proximité des jeunes filles avec le milieu de la prostitution (Ankomah & Ford, 1993; Petit & Tchetgnia, 2009 ; Rwenge, 2003). Une fois de plus, malgré l’existence des lois, le comportement sexuel apparait peu encadré. Cet état de chose est également lié à une application faible de la loi. Au Cameroun, l’article 343 du code de lois pénales prévoit une condamnation de six mois à cinq ans de prison et une amende pour toute personne qui se livre habituellement contre rémunération, à des actes sexuels avec autrui. Pourtant malgré les cas multiples et flagrants de prostitution, très peu de personnes sont jugées. On peut constater, à la lumière de la section précédente justifiant le comportement sexuel des jeunes par une adaptation socioéconomique, qu’une application systématique de l’article 343 n’épargnerait pas toutes les jeunes filles qui se livrent à des rapports sexuels avec des personnes plus âgées contre des ''cadeaux'' de natures diverses et notamment financières.

Bien d’autres dispositions législatives ayant directement un impact sur le comportement sexuel des jeunes existent dans les pays africains. Si certaines de ces dispositions méritent d’être révisées pour protéger davantage la vie sexuelle des jeunes, une application effective des dispositions existantes pourraient avoir un effet positif sur le comportement sexuel des jeunes, comme en Suède où la pénalisation des personnes achetant ou tentant d’acheter des services sexuels a conduit à une réduction de la prostitution entre 1996 et 2008 de 13,6% à 7,8% (Government Offices of Sweden, 2010 ; [2]). De même, si beaucoup de pays africains

ont réduit grâce au code la famille les influences coutumières favorables aux mariages précoces, il n’en demeure que les considérations coutumières déterminent encore le comportement sexuel des jeunes dans plusieurs de ces pays.

TROISIÈME PARTIE