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Un vaste champ de recherche scientifique 38!

2. Ambiances 38!

2.1. Un vaste champ de recherche scientifique 38!

recouvre le vaste champ de recherche scientifique qui s’intéresse au « réseau sensible »100 tissé entre l’environnement (entendu comme un « milieu » ou un « espace enveloppant ») et son utilisateur (en général humain). Il tente prioritairement d’en saisir la diversité des phénomènes sensibles.

Le domaine des « ambiances » est pluridisciplinaire comme l’atteste le nouveau réseau international101 monté depuis décembre 2008. Il fait appel aux techno-sciences (thermique, acoustique et éclairage par exemple), comme aux sciences humaines

(phénoménologie, psychologie de l’espace, anthropologie,

sociologie notamment), voire aux intéressants entre-deux avec les neurosciences et la physiologie de l’action et de la perception. Jean-François Augoyard102 notait en 1995 que le domaine des ambiances ne pouvait pas se concevoir sans la construction d’une véritable interdisciplinarité.

Devant cette richesse d’approches, il semble important de guider le lecteur vers la définition retenue dans le cadre de cette recherche de la notion d’ « ambiance (architecturale) » et de démontrer l’intérêt de cette conception partagée lors d’un questionnement prospectif sur le projet d’architecture ou de paysage.

2.1.1. Vers une définition

Les dictionnaires Larousse, Robert et Littré se rejoignent pour dégager les trois sens suivants à la notion d’ « ambiance » :

1) Atmosphère matérielle et morale qui environne un lieu, une personne.

2) Eléments et dispositifs physiques qui font une ambiance

3) humeur gaie, entrain joyeux. Familier : « il y a de l’ambiance » (cf. les termes anglais « mood » et allemand « stimmung »).

Luc Adolphe définit l’ambiance comme « une synthèse, pour un individu et à un moment donné, des perceptions multiples que lui suggère le lieu qui l’entoure »103.

100

Terme employé par Chelkoff en septembre 2008 lors du colloque international « Faire une ambiance » à Grenoble, op.cit

101

www.ambiances.net 102

Augoyard, 1995. « L’environnement sensible et les ambiances architecturales », L’Espace géographique, no.4

103

Cette définition implique que l’ambiance est unique, même si l’on gage tout de suite que son élaboration est plurielle. L’ambiance cumule des savoirs et savoirs-faire agissant à différents registres. A chaque registre correspondent une logique et des méthodes différentes, ce qui rend la notion protéiforme et floue. Les variables physiques sont mises en perspective par des variables subjectives liées à la perception mais aussi à l’affect comme nous l’avons évoqué dans la question de la sensibilité à l’architecture émotionnelle.

Jean-François Augoyard suggère de dépasser ce champ de recherche pluriel et disparate et tente, à la fin du XXè siècle, d’esquisser une théorie des ambiances architecturales et urbaines104. Il propose deux pistes principales.

La première est la recherche d’un modèle d’intelligibilité capable d’intégrer quantitatif et qualitatif. Cela a donné lieu notamment à la programmation de modélisations informatiques par exemple dans l’appréhension d’espace urbain français105. L’approche reste scientiste et ne correspond pas à priori aux objectifs premiers de l’architecture émotionnelle, dans la mesure où la prise en compte de l’affect dépasse le modèle informatique qui ne peut aujourd’hui que simuler les émotions. L’autre piste est celle de développer une méthodologie véritablement interdisciplinaire, croisant les données issues de la perception in situ, de l’intersensorialité et des représentations sociales.

Il définit alors l’ambiance d’un lieu, de manière formelle d’abord, puis de manière génétique106, ouvrant la définition sur les conditions d’existence même d’une ambiance.

L’ambiance, comme ensemble de phénomènes localisés ne peut exister selon lui que lorsque quatre conditions sont réunies.

Il faut d’abord pouvoir repérer et ensuite décomposer les signaux physiques de la situation. Ces signaux interagissent avec la perception et l’action du sujet autant qu’avec les représentations sociales et culturelles qui le façonnent. Il fait ensuite que les phénomènes retenus composent une organisation spatiale construite. Cette construction peut être architectonique et/ou perceptive. Enfin, il est indispensable que le complexe

104

Lire à ce propos 3 articles : « Particularités et ouvertures de la recherche sur l’environnement urbain et les ambiances architecturales », Intergéo-Bulletin, no.18, 2è trimestre 1995; « Elements pour une théorie des ambiances

architecturales et urbaines » (Adolphe 1998. Op.cit) et « Vers une esthétique des ambiances » (Amphroux, Thibaud, Chelkoff, dir. 2004. Ambiances en débats, éd. A la Croisée, France)

105

Citons par exemple le projet UrbaFormes : premiers pas, développé à la fin des années 1990 par l’Irin (Institut de recherche en informatique de Nantes, dépendant de l’Ecole Centrale et de l’UFR des Sciences et techniques de Nantes)

106

Cette distinction est proposée par Leibniz : la définition « formelle » (compréhension /extension), établie depuis la scolastique médiévale, se préoccupe de l’essence alors que la définition « génétique » cherche les conditions d’existence du phénomène

(signaux/percepts/représentations) soit exprimable, ce qui renvoie au choix du support de communication de ces résultats.

Augoyard s’interroge à partir de cette définition sur ce qui produit concrètement une ambiance. Il dégage deux voies principales : un dispositif technique lié aux formes construites d’une part et une globalité perceptive d’autre part, qui rassemble des éléments objectifs et subjectifs, et représentée comme une atmosphère ou un milieu107.

L’objectif de la recherche sur les ambiances est donc double : la restauration des facteurs physiques et quantitatifs dans les théories de la perception et la représentation de l’espace d’une part, et la mise en valeur, parallèlement des constructions perceptives, culturelles et sociales. L’environnement sensible n’est donc plus envisagé ici comme un objet de consommation (ou de simple contemplation) mais d’action.

En connaissant les pratiques, on peut modifier l’environnement ou le manipuler108. Cet objectif sous tend inconsciemment toute l’œuvre de Barragán. Il rejoint aussi la définition d’une architecture émotionnelle inventée par Goeritz.

2.1.2. Evolution des préoccupations et positionnement de la recherche

Alain Chatelet, qui dirigeait fin 1998 à Toulouse le laboratoire

GRECAU109 (Groupe de Recherche Environnementale et

Conception), situe les racines de la recherche architecturale sur les ambiances dans le mouvement américain des auto-constructeurs au milieu des années soixante. Les principaux jalons de l’évolution de la pensée dont s’est nourri le domaine des Ambiances sont les chocs pétroliers, les catastrophes écologiques, le constat des impacts nuisibles liés à la ville et récemment, par la prise de conscience environnementale (réchauffement climatique ou déplétion de la couche d’ozone notamment), l’urgence de la notion de développement durable.

La recherche a d’abord cherché à résoudre des « nuisances ». Il s’agissait principalement, dans le domaine de la construction et de la planification des villes, de minimiser les troubles liés à la crise d’approvisionnement en énergie et aux impacts visuels, sonores et olfactifs de la ville.

La recherche a joué un rôle pilote dans l’élaboration de méthodes d’évaluation de ces nuisances, de leurs impacts et des moyens de

107

Cette définition rejoint la position conceptuelle de Tadao Ando in Nussaume Y, 1999. Tadao Andô et la question du milieu. Réflexions sur l’architecture et le

paysage, éd. Le Moniteur, Paris

108

C’est un des objets par exemple du programme de recherche SILENCE mené par le Grecau de Bordeaux, op.cit

109

s’en protéger comme le rappelle l’ouvrage collectif des Cahiers de la Recherche Architecturale110.

Le domaine des ambiances visait alors la « maîtrise

environnementale ».

Dans un deuxième temps, et parallèlement à l’évolution des pratiques (notamment de l’urbanisme opérationnel), la recherche a élargi le champ disciplinaire au cortège de grandeurs qualitatives. Elle annexe le « sensible » (le confort et la physiologie par exemple) et le « vécu » (les sciences sociales). Les approches sont devenues pluridisciplinaires et la question de la « maîtrise » a évolué en « qualité environnementale ».

Concentrée sur l’architecture, l’urbanisme ou le paysage (plus récemment cependant), la recherche sur les ambiances a toujours traduit les attentes de notre société. Elle ne peut pas rester « fondamentale » précise Luc Adolphe111. Cette « recherche appliquée », encouragée par le pragmatisme professionnel des concepteurs et des commanditaires depuis plus de 40 ans a cependant un effet secondaire pervers.

Intégrée au cursus de l’enseignement du projet dans les écoles d’architecture en France depuis plus de 30 ans112, l’étude des ambiances est malheureusement encore trop souvent comprise et pratiquée comme une solution technologique posée à posteriori pour résoudre les soucis de confort et de consommation excessive, voire par effet (stylistique) de mode113.

Adolphe constate que « ce domaine se rapproche toujours, dans l’inconscient des architectes, à ceux de l’ingénierie » : le secteur des « données techniques ». Le phénomène aurait même tendance à augmenter devant l’urgence écologique planétaire et la prolifération des réponses technologiques qui lancent sur le marché son lot quotidien de nouvelles prothèses.

Il est possible que ces a priori proviennent d’une mauvaise communication entre le purisme de la recherche et le pragmatisme qui caractérise le milieu des pratiques professionnelles actuelles. Adolphe note la réticence des chercheurs à projeter : « comme si pour être un chercheur objectif et sérieux, il fallait contrôler ses pulsions créatrices (…) c’est dommage car l’on manque un peu de chercheurs fous »114. 110 Adolphe,1998. Op.cit 111 Idem 112

Citons les vrais efforts de transversalités menées entre des ateliers de projet et des laboratoires de recherche notamment à l’Ecole Nationale d’Architecture de Grenoble et de Bordeaux. Paradoxalement la question des ambiances reste peu analysée dans les Ecoles de Paysage en France (cycle dplg).

113

Citons notamment la pléthore de fières tours en projet aujourd’hui qui, très largement ouvertes (vitrées) sur le paysage pour vendre une image labellisée durable, vont être obligées de déployer a postériori une technologie lourde (mais « verte ») pour rafraîchir l’air intérieur

114

L’enjeu de cette recherche s’inscrit dans cette optique en plein essor : nourrir la conception du projet dans son origine par une meilleur connaissance des ambiances (ici celles mise en place par l’architecture émotionnelle de Barragán). « L’ambiance comme instrument de projet, écrit Chelkoff, prend alors toute sa valeur, tant sur le plan de la compréhension des modalités de perception que sur celui des fondements cognitifs mis en œuvre dans le processus de création »115. Il s’agit donc ici davantage de stimuler la créativité en amont que d’offrir une liste de prothèses et de recettes. Nous chercherons à comprendre ses mécanismes et ses limites (notamment dans son érosion) pour évaluer ses possibles héritages et réinventions aujourd’hui.

2.2. Le monde des formes et le monde des

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