• Aucun résultat trouvé

2. A propos des résultats

2.3. Un vécu ambivalent des affects contre-transférentiels

Les deux 1ers points de cette discussion dressent un tableau de la médecine générale dans son ensemble et ses particularités. La relation médecin-patient y tient une place essentielle. Elle est « l’attribut » du médecin généraliste, l’espace d’accueil et d’expression du patient, la voie de l’alliance thérapeutique, le fruit de la rencontre de leurs deux subjectivités. Nous arrivons maintenant au cœur de notre étude. Comment le médecin appréhende-t-il sa propre subjectivité ?

81 2.3.1. Une place controversée dans la relation médecin-patient

Un point capital de notre étude est la place infiniment variable des affects du médecin généraliste au sein de la relation médecin-patient. Le ressenti même du professionnel concernant ses propres affects diffère d’un praticien à l’autre.

Pour certains praticiens, ils sont un écueil, pour d’autres, ils sont essentiels. Pour certains, ils sont reconnus, pour d’autres, ils sont irréfléchis. Certains les ignorent délibérément, d’autres les prennent en compte comme inéluctables et d’autres encore les utilisent comme un outil au service de la relation. Enfin, chez tous, ils sont présents.

Cette ambivalence dans le vécu de leurs propres émotions avait été retrouvée dans le travail de M. Elefterion Herault [71]. On peut y voir le reflet d’une éducation biomédicale, avec une médecine toute puissante, un médecin infaillible, dans laquelle rationalité rime avec efficacité et émotion rime avec vulnérabilité [1, 3, 6].

D’un autre côté, dans notre étude, la relation médecin-patient est envisagée comme une relation de confiance par une grande majorité. Or la confiance est un phénomène transféro-contre-transférentiel. En effet, une des particularités du contre-transfert est qu’il apporte un sentiment de responsabilité individuelle au praticien envers un patient déterminé [55]. Ce sentiment de responsabilité revient bien dans notre étude et les affects contre-transférentiels sont clairement considérés par certains comme une base relationnelle. La plupart les utilisent sans même y penser.

On observe également l’utilisation, plutôt spontanée, du lien transférentiel comme d’un outil diagnostique et thérapeutique. La plupart des interviewés prescrivent bien le « remède-médecin » de M. Balint [44].

2.3.2. Une approche selon la nature de l’affect et la personnalité du soignant

Dans notre étude, le vécu des affects contre-transférentiels apparaît comme dépendant de la personnalité du médecin généraliste. C’est sa conception de la médecine, de son statut de sujet- soignant et de la place de sa subjectivité dans le soin qui le guide dans son approche.

Trois attitudes se dessinent le long des interviews :

Contenir ses affects selon un schéma préétabli ;

Laisser libre cours à ses affects par la parole et/ou l’attitude ;

Prendre du recul sur ses affects. Ce travail peut se faire avant, pendant et/ou après la consultation. Dans cette 3ème attitude, l’objectif est double :

o Observer une neutralité bienveillante envers le patient, o Se servir des affects comme d’un outil thérapeutique.

On retrouve bien les approches, spontanées ou étudiées, décrites dans la littérature psychanalytique [39, 40].

Suivant le contexte, la nature de l’affect, chaque médecin peut opérer selon chacun de ces trois modes. Selon le médecin, selon sa propre histoire et son expérience, certains affects seront plus difficiles à distancier que d’autres.

82 patient. Tant qu’ils exercent au sein de ce canevas, l’appréhension des affects contre-transférentiels se fait naturellement. Lorsque la relation médecin-patient se joue hors de ces limites, le vécu des affects contre-transférentiels est plus délicat et requiert leur considération. Dans notre étude, les médecins rapportent être plutôt en difficulté dans le cas d’affects désagréables en miroir avec ceux du patient.

2.3.3. La crainte du débordement

Le débordement du sujet-soignant

Chez les interviewés, la notion de débordement du cadre de la relation médecin-patient semble contiguë avec celle de leur propre débordement psycho-affectif. Ici, les médecins généralistes craignent l’identification, la séduction, l’usure, la tristesse, le burnout. Dans une étude sur la prévalence du burnout, la surcharge émotionnelle était mentionnée comme un facteur de cause [51]. Là encore, la « juste distance » permettrait de juguler ce risque.

La rupture de la relation médecin-patient

Les interviewés craignent également la mésalliance thérapeutique. D’un côté la « juste distance » est encore une mesure de protection. D’un autre côté, les conflits entre le médecin et son patient sont des situations particulièrement délicates qui peuvent déboucher sur une rupture.

Le vécu de la rupture de la relation médecin-patient est inégal d’un interviewé à l’autre. Véritable préjudice moral pour certains, en concordance avec les études [45], éventualité parfaitement acceptable ou fatalité parfois inévitable, la rupture entre un médecin et son patient reste une réalité plutôt désagréable.

À l’initiative du médecin, elle nécessite une conscience claire des limites de son style relationnel et de son « moi personnel ». À l’initiative du patient, elle est généralement mal perçue et entraîne une rupture de la confiance.

2.3.4. Des solutions personnelles

D’une manière générale, l’appréhension des affects est un exercice complexe pour les médecins généralistes. Les solutions mises en place sont des procédés personnels, congruents avec la personnalité du praticien. Chacun progresse dans sa manière de faire selon son expérience professionnelle. C’est avant tout leur expérience qui leur confère une assurance dans l’appréhension de leurs ressentis.

Pour contenir leurs affects

Pour contenir leurs affects, les interviewés maintiennent généralement le patient à une certaine distance. Ce procédé, assimilable à un mécanisme de défense, est évoqué dans le travail de M. Elefterion Herault [71]. Le long des interviews, on retrouve différentes recettes :

 La différenciation médecin-malade ;  Le circuit de soin utilisé comme un filtre ;

 Le réinvestissement du « moi professionnel », bio-technicien ;  Minuter le temps consacré à la relation médecin-patient.

83 En maintenant le patient et sa subjectivité à distance, le médecin est moins soumis aux réactions de sa propre subjectivité.

Pour prendre du recul

Pour prendre du recul sur leurs affects, les recettes sont multiples et s’entremêlent souvent :  L’expression des affects en dehors de l’espace relationnel :

o mentalement, pour eux-mêmes ;

o verbalisation dans la sphère privée ou professionnelle.  Le recours à l’humour ;

 Le réinvestissement du « moi professionnel », technicien relationnel ;

 Modulation du tempo de la consultation pour s’accorder un temps de réflexion ;  Avoir fait un travail personnel préalable.

Pour réinvestir leur « moi professionnel », sans les mentionner, les interviewés se servent souvent des principes éthiques :

 Rester bienveillant ;

 Ne pas juger pour ne pas devenir maltraitant ;  Respecter le patient dans son autonomie.

Tous ces procédés permettent aux praticiens de se distancier de leurs affects sans pour autant se distancier de leurs patients. La verbalisation et le travail sur soi avaient été retrouvés également dans le travail de M. Elefterion Herault [71].

Pour préserver le sujet-soignant

Que ce soit pour contenir ses affects ou prendre du recul, le praticien a besoin d’être disponible et un minimum reposé. Les problématiques relationnelles liées au médecin concernent son niveau de préoccupation et de fatigue professionnelle et personnelle. Dans notre étude, les praticiens maintiennent leur équilibre psycho-affectif en se ménageant des conditions de travail tolérables et des espaces récréatifs.

2.4. De l’expérience de la relation à la nécessité d’une formation