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Un système d’entraide économique réellement mondial

Nous nous pencherons au cours de ce chapitre sur les principales institutions internationales qui ont encadré les politiques économiques des États, des organisations régionales et des organisations internationales depuis 1945.

Il s'agira de procéder à un concis rappel de l'histoire de ces institutions, puis à un effort d'appréciation de ce qu'elles ont apporté à l'humanité. Cette démarche devrait ainsi nous offrir des éléments pour une critique lucide et féconde au regard du Coopératisme.

Historique et évaluation des institutions existantes

C'est une pensée économiquement et politiquement libérale qui dicte la paix après 1945. Le mot d'ordre américain fut donné pendant la guerre même : l'instauration d'une gouvernance internationale libérale, fondée sur des normes concurrentielles, est le prélude nécessaire à la libération et à la prospérité des sociétés. Notons d'ailleurs ici une première contradiction entre l’idée d’une concurrence internationale généralisée, et les prétendus bienfaits du « doux

commerce » (Montesquieu) censé pacifier les relations entre les Etats. Les Conférences entre

Alliés de Bretton Woods, de Dumbarton Oaks, de Yalta et de San Francisco, tenues en 1944 et 1945, ont pour dessein de définir concrètement ces principes, que devront représenter et imposer des instances universelles. Ces rencontres accouchent après la Seconde Guerre mondiale de plusieurs institutions internationales qui subsistent encore pour la plupart. (Banque mondiale, Fonds Monétaire Internationale, Organisation des Nations Unies, …)

Le rôle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), héritière du GATT, est d'aider, à travers la réduction des obstacles au libre-échange, les acteurs économiques (producteurs, exportateurs et importateurs) à mener leurs activités. Elle doit se comprendre comme un cadre de négociation. Son champ de compétence recouvre les marchandises, les services et la protection de la propriété intellectuelle. Si l'OMC constitue avant toute chose un cadre global de négociation internationale, il existe des accords plurilatéraux engageant une quantité limitée d’états sur des sujets particuliers. Selon les textes, l'OMC fonctionne sur un modèle démocratique, où chaque État se voit attribuer une voix égale aux autres et peut solliciter l'Organe de règlement des différends (ORD) pour résoudre les litiges commerciaux. Mais, dans les faits, l'OMC ne parvient pas à dépasser le cadre des rivalités de puissances souveraines qui ne souhaitent pas

toutes libéraliser et commercialiser leurs services ou leur agriculture (par exemple les États-Unis ou l’Union Européenne, ou encore l’Inde), suscitant par là de nombreuses critiques visibles à travers les blocages sur beaucoup de dossiers. Il est patent que l'OMC favorise tendanciellement les pays riches et les gros producteurs, que l'adhésion en son sein n'est pas politiquement neutre, que l'institution présente un déficit de prise en compte des problématiques sociales et environnementales au profit des intérêts commerciaux, du fait même que ces problématiques ne relèvent pas de son domaine d’intervention, mais de celui d’autres organisations (on serait en droit de se demander s’il est pertinent de dissocier ainsi les différentes problématiques qui s’imposent à notre monde). Le libre-échange bénéfique à tous que promeut l'OMC n'atteint pas véritablement les « petits pays », qui peinent à peser dans les groupes de discussions et de décisions. Enfin, force est de reconnaître les dysfonctionnements de l'ORD, qui n'a presque jamais satisfait les parties plaignantes, favorisant mécaniquement les pays puissants et riches, pour une raison technique fort simple : les petits États, notamment africains, ne possèdent pas les ressources pour disposer de suffisamment de fonctionnaires afin de traiter efficacement l’ensemble des dossiers débattus à l’OMC.

Le Fonds Monétaire International (FMI) fut créé pour réguler le système monétaire international de change fixe, initialement fondé sur la convertibilité du dollar en or. Or, depuis 1971 et la fin de la convertibilité du dollar en or décidée unilatéralement par les États-Unis, le FMI, de concert avec la Banque Mondiale, a muté en instrument de recapitalisation des pays en développement qui affrontent un déficit budgétaire. A titre de préliminaire, détaillons le cadre conceptuel qui a façonné cette organisation, autrement dit le « Consensus de Washington ». Il s'agit d'une idéologie qui place, entre autres, la réduction des dépenses publiques, la privatisation des entreprises publiques, l'allégement de la fiscalité, la libéralisation des échanges extérieurs et la libéralisation financière au cœur des mesures réglementaires que doivent adopter les pays pour prospérer.

Le FMI est aujourd’hui un agent de change qui permet aux différents Etats d’acquérir des devises étrangères. Or, en cas de balance des comptes déficitaire (importations bien supérieures aux exportations de façon récurrente), un Etat demandera toujours plus de devises étrangères, au risque de déstabiliser l’économie internationale. L'institution conditionne donc l'octroi de ses aides au rétablissement (c’est-à-dire des prêts de devises), par les pays bénéficiaires de l'équilibre de leur balance des comptes. Ainsi sont imposées des politiques d’ajustement structurel et d'austérité budgétaire (aux conséquences sociales dramatiques) à des pays déjà en

crise. L’approche comptable adoptée le FMI et le système de conditionnalité de ses « aides » en ont fait un parfait agent de recouvrement de la dette des Etats, utilisé comme tel par différents créanciers. Dans les années 1990, nombre d’États du Sud ont réclamé l'aide du Fonds pour se délester du poids de leur dette publique, avec les résultats que l'on connaît : privatisations massives, dévaluations, mise en avant des exportations au détriment des demandes locales intérieures, mesures budgétaires draconiennes, mouvements et tensions sociales, etc. Le FMI agit en quelque sorte comme créancier qui échange des ressources économiques contre l'engagement de se conformer à son modèle de politiques économiques néolibérales. Sur le plan institutionnel, le FMI s'appuie sur les ressources données par les États-membres (quote-part), la part de ces dernières dans le total des ressources décidant de leur capacité d'emprunt et de leur poids dans les décisions politiques. Concrètement, les États-Unis disposent à eux seuls d'un droit de veto de

facto (une part des voix suffisante pour empêcher la majorité d’être atteinte), qui, par

conséquent, leur permet de ratifier ou de rejeter les propositions d'attributions de prêts. Avec le temps et l'évolution des rapports de force internationaux, de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer une réforme du système du FMI afin de procéder à un rééquilibrage équitable des pouvoirs. Ce rééquilibrage a eu lieu en 2010, sans toutefois remettre en cause les axiomes du fonctionnement du FMI.

Le Groupe de la Banque Mondiale fonctionne sur un modèle analogue à celui du FMI: elle doit favoriser l’extension du capital là où il n’irait pas de lui-même, en accordant des prêts concessionnels (prêts avec un taux d’intérêt plus faible que celui pratiqué par le secteur privé) et conditionnés à des Etats (pour la BIRD et l’AID, deux « guichets » de la Banque Mondiale) qui ne pourraient pas s’endetter à des conditions raisonnables sur le marché financier privé. Elle n’a pas toujours favorisé les pays dans le besoin. Elle finança par exemple les projets des puissances coloniales et transféra leur dette en direction des États pauvres une fois ceux-ci émancipés. Avec le FMI, la BM a par ailleurs financé des régimes dictatoriaux soutenant et soutenus par les États-Unis pendant la période de la « Guerre froide ».

Nous nous arrêterons ici dans la présentation des institutions mondiales. Nous renvoyons le lecteur à d’autres ouvrages (par exemple La stratégie du choc : montée d’un capitalisme du

désastre, de Naomi Klein) s’il souhaite approfondir une point en particulier, car nous n’avons pas

Remarques à la suite de ces quelques considérations

Nous constatons aisément que les institutions économiques que nous avons dépeintes souffrent de trois principaux défauts.

Les politiques du FMI, de la BM et de l'OMC ne parviennent pas à dissiper le flou qui persiste quant à leurs conceptions des relations entre économie et politique. Un jeu de balancier semble caractériser la politique économique de ces institutions, alternant entre conditionnement politique de l'aide et prétendu soutien aux démocraties méritantes. Cette ligne se voit perturbée au gré des intérêts nationaux et des circonstances internationales.

Cette incohérence rejoint un deuxième problème : la prépondérance des intérêts nationaux dans des institutions qui s'affirment universelles. En soi, ces deux aspects n’apparaissent pas contradictoires, mais l'état d'esprit des pays membres les conduit à privilégier la coopération internationale seulement dans la mesure où leurs intérêts sont préservés, une partie de la « communauté internationale » dans son ensemble dût-elle en souffrir. Il n'est pas contradictoire pour certains États de mener des politiques internationales contradictoires qui soient les conséquences de leurs décisions nationales (que l'on pense au FMI venant en aide aux pays endettés après que les États-Unis ont accru leurs taux d'intérêts en 1979, ce qui provoqua par la suite une crise dans ces pays dont la dette était indexée sur ces taux d'intérêts… et les incita à réclamer l'aide du FMI dominé par les États-Unis).

Enfin, comment concilier les institutions établies sur des axiomes économiquement libéraux, qui portent au pinacle le principe de concurrence et imposent indistinctement le Consensus de Washington, avec les axiomes coopératistes ?

Soulignons que nous n'avons pas cherché à disserter sur la situation des organisations économiques régionales existantes, dans la mesure où elles restent globalement similaires aux organisations universelles existantes (exception faite de l'Union Européenne, qui adjoint un projet politique à celle d’union économique et monétaire).

De la nécessité d’un système économique réellement mondial

La finalité de l’économie est la satisfaction des besoins des individus. Aussi, considérant que n’importe quel être humain peut autant revendiquer le droit qu’un autre à voir ses besoins

satisfaits, nous proposons la mise en place d’un système économique réellement mondial, respectueux des principes présentés dans le livre II du présent ouvrage.

L’objectif ultime est d’assurer l’autosuffisance de chaque continent, et, dans une certaine mesure, de zones géographiques plus restreintes. Autosuffisance n’est pas autarcie : elle implique seulement que le libre échange entre continents et entre États ne doit servir que de complément et d’appoint, dans les situations où le continent concerné serait dépourvu de certaines ressources nécessaires à la satisfaction de ses besoins. A notre sens, une certaine forme de libre échange se révèle utile dans ce cas précis.

Pour atteindre cette autosuffisance, il conviendrait de favoriser au maximum la demande interne des États et des continents, d’où la hausse du niveau de vie et du pouvoir d’achat généralisée sur l’ensemble de la planète. L’autosuffisance continentale passerait d’abord par la constitution politique d’une économie de blocs, à travers la répartition équitable de l’appareil de production entre États membres. En effet, il faut toujours chercher à produire localement pour réduire le transport des marchandises et l’impact environnemental qui en résulte. Seule la production qui ne peut être assurée au niveau des villes, régions ou États (du fait des forts investissements préalables qu’elle exige) serait organisée et répartie au niveau du continent. C’est déjà le cas pour la production aéronautique, par exemple, ou de la production automobile. Cela étant, l’idée de produire localement n’exclut pas la possibilité pour des entreprises étrangères de produire sur des territoires autres que leur territoire d’origine. Il existerait deux conditions pour cela : ne pas faire concurrence à des entreprises locales, et concéder suffisamment d’autonomie à leurs filiales pour que ces dernière emploient de la main-d’œuvre locale et réinvestissent dans leur zone d'activité locale leurs profits, conformément aux principes de la démocratie économique Coopératiste.

Pour favoriser l’autosuffisance continentale, il serait judicieux d’instaurer une monnaie commune à l'échelle de chaque continent, coexistant avec des monnaies nationales et régionales. Renoncer au projet d'une monnaie mondiale se justifie par le fait qu’en cas de crise monétaire grave, comme ce fut le cas en 1998 en Russie, seule une aide extérieure pourrait être envisagée, idée proprement impensable dans le cadre d'une monnaie unique internationale.

C’est dans le même ordre d'idées qu’est pensée l’autosuffisance : en cas de catastrophe naturelle, la perte d’une partie de l’appareil de production d’un continent ne nuira pas ou peu aux autres continents comme ce serait le cas dans un monde interdépendant avec une spécialisation accrue des États comme le présupposent les théories libérales. Mieux encore, avec

l’autosuffisance continentale, l’ensemble des continents épargnés par une catastrophe pourraient venir en aide au continent sinistré, afin de se substituer temporairement aux entreprises détruites et alimenter le marché.

Il va de soi qu’un tel système d’autosuffisance, de hausse accrue du niveau de vie et d’entraide internationale n’est possible qu’à la condition que la concurrence n’existe plus, qu’elle ne soit plus institutionnalisée au niveau du monde. Avant d’arriver au stade idéal d’une autosuffisance continentale généralisée, il conviendrait d’assurer la transition et le développement de l’ensemble des États Coopératistes sur Terre. D’un côté, les États aujourd’hui développés seraient associés à des pays en voie de développement et inciteraient leurs entreprises à investir massivement dans ces États. Ces derniers devraient s’engager à mettre en place des mesures de redistribution sociales efficaces, et à faire augmenter progressivement mais rapidement les salaires de leur main d’œuvre, tout cela dans une totale transparence afin d'éviter toute forme de corruption et de détournement de fonds. En parallèle, il incomberait à ces investisseurs de développer des infrastructures pour garantir un cadre économique propice au développement. Nous précisons ici que nous rejoignons et désirons approfondir les conceptions du développement durable élaborées à partir des années 2000.

La concurrence nuit à toute forme d’aide internationale dans la mesure où les États développés ne sont pas incités à aider les États en développement, ces derniers pouvant devenir des concurrents en se développant par ces aides, ce qui aboutit à une situation indésirable pour les Etats fournisseurs de l’aide. Ainsi, nous proposons d’établir un nouveau système d’aide qui limite le recours aux prêts concessionnels et concentre les ressources en direction de domaines non concurrentiels. Le tourisme, les énergies, et l’implantation de filiales dans le but d’instaurer une production locale constituent des exemples de domaines non concurrentiels.

Un des principaux problèmes réside aujourd’hui dans la détention de la technologie : les entreprises des pays développés ont consenti à de forts investissements en matière de recherche et développement, mais elles ne sont pas disposées à effectuer des transferts de technologies en direction des pays en développement. Puisque l’essentiel de la recherche et développement pourrait s’effectuer en commun, par le biais de l’Agence d’État, ces transferts pourraient être effectués à moindre coût dans le cadre d’un système Coopératiste. En contrepartie, les pays bénéficiaires pourraient accorder des avantages économiques temporaires aux entreprises qui installeraient des filiales, tels que des allègements fiscaux ou des réductions dans les achats de matières premières. A noter que ces avantages seraient temporaires et uniquement destinés à

compenser le transfert de technologie ; ils ne devraient en aucun cas nuire à la hausse du niveau de vie du pays aidé. En contrepartie de ce soutien, les pays bénéficiaires de l’aide devraient s’engager à importer les biens qu’ils ne peuvent produire localement depuis le territoire du pays développé pourvoyeur de l'aide. Toutefois, l’aide ne devrait être qu’assurée provisoirement et selon une tendance décroissante, jusqu’à ce que le pays bénéficiaire soit développé et apte à assurer seul la viabilité économique de sa société.

Un système économique mondial ne peut s’organiser qu’autour de la volonté des États et du bon vouloir d’entreprises. Les liens économiques tissés et la mise en œuvre d’une économie continentale ne peuvent se concevoir qu’en parallèle de la mise en place d’un système économique supranational, voire mondial.