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Un syndicalisme d'ouverture

L'image de la CFDT chez les nouveaux syndiqués

LES STRATEGIES DE SYNDICALISATION

C. Un syndicalisme d'ouverture

Le dernier modèle émergeant concerne des entreprises modernes dans lesquelles le principe même du syndicalisme pose problème. Dans notre échantillon, ce cas de figure est représenté par une grande entreprise de l'électronique appartenant à une multinationale américaine. Sur ce site industriel, l'entreprise compte trois usines, chacune ayant une production propre avec, sur le plan institutionnel, une association inter-CE, à la fois culturelle, sportive et sociale.

Les militants de la CFDT y ont adopté une stratégie assez différente des précédentes. Elle consiste à utiliser les IRP pour tenter de retrouver un espace pour l'action syndicale, d'où le qualificatif que nous proposons pour ce dernier type : «le syndicalisme d'ouverture». Nous avions également pensé à le qualifier de «résiduel» tant il semble, à

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première vue, se résumer à un vestige d'un passé glorieux. Mais il est plus que cela : il montre que le syndicalisme peut survivre à la disparition de certaines de ses fonctions essentielles.

En effet, dans cette entreprise, le syndicat a totalement perdu sa fonction de recours et de défense individuelle au profit de la hiérarchie. Interrogés à ce sujet, les nouveaux adhérents nous ont tous confirmé ce point : les problèmes de carrière, de rémunération, de statuts sont discutés en toute confiance avec les "superviseurs" et personne ne semble envisager même que l'on puisse se faire assister dans ces démarches par un délégué. On continue pourtant à élire des DP mais leur fonction première paraît oubliée. Ajoutons que l'entreprise a tendance à prendre en charge une partie des loisirs pour forger une sorte de "culture commune". Dès lors, le CE n'est pas forcément identifié clairement comme une instance indépendante de la direction.

Dans ces conditions, que reste-t-il au syndicalisme ?

Tout d'abord il lui reste des sujets de négociation ponctuels mais qui peuvent être valorisants si la solution obtenue correspond aux attentes : organisation des transports, date des congés du personnel de production, politique d'embauche liée à la réduction du temps de travail1, etc… Cette activité assure au syndicalisme un espace de

survie. La direction sait qu'elle ne peut rien entreprendre dans ces domaines sans consulter la section. Cependant, il s'agit d'événements ponctuels qui n'assurent pas une continuité suffisante pour nourrir une véritable vie syndicale. C'est pourquoi, pour l'instant, la section a fait le choix d'être une structure de réflexion, capable d'attirer les salariés préoccupés par la situation générale de l'entreprise, mais aussi ceux qui s'intéressent aux problèmes généraux, extérieurs à l'entreprise. Selon les propos du secrétaire de section, en effet, celle-ci développe une information de qualité : "Nous montrons qu'une structure de réflexion existe, qu'elle se consacre à des problèmes de société. Les gens se disent qu'avec nous, ils pourront réfléchir dans le cadre d'un groupe". Cette volonté d'ouverture se manifeste aussi dans les comportements vis-à-vis des IRP. Comme dans le modèle gestionnaire, les sympathisants deviennent candidats aux postes de DP où ils font leurs classes avant d'exercer d'autres responsabilités au CE et à l'instance inter CE. Mais la gestion ne se fait pas dans une autonomie repliée sur elle-même car :

1 Du fait de l'évolution du marché de la micro-informatique, l'entreprise envisageait

de soustraiter une partie de sa production ce qui menaçait un certain nombre d'emplois. A l'issue de la négociation sur une solution alternative (le passage en équipe), la CGT et la CFDT ont obtenu un aménagement des horaires et un certain nombre d'embauches (Le Monde, 15 janvier 1993).

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"Les contacts avec l'extérieur se sont intensifiés... Nous entretenons des relations suivies avec l'UD. En plus, nous avons des contacts inter- sections... nous rencontrons également des syndiqués qui viennent d'horizons différents. Nous pourrons ainsi bâtir, à l'extérieur de l'entreprise, des projets qui correspondent plus à l'esprit CFDT alors qu'à l'intérieur de l'entreprise nous sommes un peu contraints par la réalité. La section a fait l'effort d'aller voir ce qui se passait ailleurs."

Mais cette ouverture ne s'étend pas au-delà du cadre de l'agglomération et du département, tant la fédération et la confédération apparaissent lointaines et d'un fonctionnement complexe : "On a du mal à expliquer tout ça. Les structures sont tellement complexes. Nous sommes très éloignés de tout cela !" Il s'agit ici d'un véritable obstacle culturel : fédération et confédération appartiennent à un univers si éloigné des modes de pensée et d'action propres à leur vie professionnelle qu'elles leur semblent indéchiffrables.

Le travail syndical se fait, ici aussi, sur une base collective, sans une répartition précise des tâches, avec cependant un cumul des mandats pour les militants comme dans l'élite gestionnaire.

La syndicalisation se réalise surtout en période électorale, par sollicitation auprès des sympathisants. Par exemple, un militant actuel évoque son adhésion de cette manière : "Cette personne du syndicat savait que j'étais sympathisant. Nous avions discuté souvent ensemble, l'élection des DP fut l'occasion de franchir le pas". Pourtant, en dehors des périodes électorales, selon le même témoignage, les efforts pour la syndicalisation ne sont pas intenses : "C'est un point sur lequel nous devons travailler. C'est vrai que de ce côté-là, on ne fait pas beaucoup d'efforts... personne n'a pris ça en charge... c'est à l'ordre du jour". Le taux de syndicalisation est ici le plus bas qu'il nous ait été donné d'observer dans une entreprise de cette taille — moins d'une centaine de syndiqués à la CFDT et à la CGT réunies pour plus de 1.500 salariés — et son avenir semble menacé par une sorte de manque d'oxygène et ceci malgré l'imagination et le dynamisme dont font preuve les militants.

On peut penser que ce dernier exemple est caricatural. Il ne fait pourtant que grossir les conséquences bien visibles des «nouvelles relations sociales dans l'entreprise» — faites de «direction participative» et de «gestion des ressources humaines» — qui donnent le pas à la hiérarchie sur les représentants du personnel. En fait, cette situation est, plus ou moins, en germe dans pratiquement toutes les sections visitées. Ainsi, l'un des militants de la section prise comme exemple pour illustrer le syndicalisme de masse — dans une grande

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usine traditionnelle aussi éloignée que possible de l'entreprise électronique qui vient d'être décrite — nous déclarait pourtant à propos des ouvriers :

"On nous demande énormément de renseignements sur la législation, les conventions, la préretraite, le travail à mi-temps, les évolutions de carrière, les salaires, mais les personnes nous demandent très souvent de ne pas intervenir sur leur problème personnel. La plupart du temps, elles savent à qui s'adresser et elles craignent qu'une intervention directe de notre part ne les pénalise"…

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III. INTERPRETATION ET ELARGISSEMENTS

Avant ce clore cette typologie, nous voudrions souligner un point commun à tous les types : le rôle clef des institutions représentatives du personnel (aussi bien dans le privé que dans le public) qu'elles soient électives ou non. Nous envisagerons rapidement ce point puis nous discuterons la portée de notre typologie : quelle valeur lui attribuer et quelles conséquences en tirer ?

A cette première interrogation il faut ajouter une remarque. Nous nous sommes essentiellement limités aux sections. Au-delà de celles- ci, la réflexion doit prendre en compte le rôle des autres organisations : comment les syndicats, les fédérations, les équipes interprofessionnelles peuvent-elles utiliser les caractéristiques des différents types dans leur action de resyndicalisation ?