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Estimation du taux de rotation des effectifs syndiqués

L'image de la CFDT chez les nouveaux syndiqués

LA ROTATION DES ADHERENTS

B. Estimation du taux de rotation des effectifs syndiqués

L'enquête menée en 1988-89 permet une mesure plus sérieuse du renouvellement des effectifs syndiqués. Grâce à elle, nous pouvons estimer la probabilité de quitter l'organisation que présente un syndiqué en fonction de sa durée d'adhésion. En quelque sorte, nous pouvons construire une «table de mortalité» inspirée de celles qu'utilisent les démographes.

En admettant que les 35 ans relevés dans l'enquête est bien la durée maximum d'adhésion ; que le tableau complet est bien représentatif du phénomène dans toutes les organisations et, en moyenne, pour toute la période ; que le nombre de syndiqués nous est connu pour chaque année depuis 1949, le nombre des syndiqués qui quittent l'organisation au cours d'une année quelconque peut s'exprimer ainsi :

DSn =

i=n-35

i=34

i.NSi où :

DSn : (désyndiqués) nombre de gens quittant l'organisation au cours

de l'année n ;

i : proportion des désyndiqués de l'année n ayant adhéré au cours de l'année i (ce sont les coefficients de la «table de mortalité» ;

NSi : nombre des syndiqués ayant adhéré l'année i, avec : NSn = Sn-1 + NSn - DSn

Le calcul consiste à déduire, par itérations successives, le nombre de nouveaux syndiqués pour chaque année à partir du nombre des désyndiqués calculés sur les nouveaux adhérents des années antérieures. Pour amorcer le calcul, on postule que tous les effectifs de 1949 sont des adhérents de l'année puisque nous n'avons aucune indication sur les années antérieures. On obtient alors le nombre de salariés qui ont été syndiqués à un moment ou un autre depuis 1949 (S) :

S1949-1991 = S1949 +

i=1950 i=1991

NSi

On peut également calculer un taux de rotation annuel suivant la formule donnée plus haut. L'ensemble des résultats sont présentés dans le tableau IV 5.

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Tableau IV.5 Calcul des taux de renouvellement des syndiqués depuis 1949 (nombre "officiel" de syndiqués)

Année Syndiqués depuis 1949

(milliers)

Taux

de départ d'entrée Taux Taux de rotation

1949 5636 1950 6338 9,8 12,2 11,1 1951 6338 18,5 0,0 8,5 1952 6398 11,7 1,4 6,2 1953 6648 11,0 5,9 8,2 1954 6803 9,9 3,9 6,7 1955 7151 7,7 8,7 8,2 1956 7569 8,4 10,2 9,4 1957 7828 7,8 6,4 7,1 1958 7828 11,3 0,0 5,4 1959 8346 9,5 13,7 11,8 1960 8896 9,1 13,9 11,8 1961 9237 8,6 8,6 8,6 1962 9819 9,5 14,0 12,1 1963 10127 11,0 7,7 9,2 1964 10514 9,3 9,6 9,4 1965 10967 11,1 11,2 11,2 1966 11434 9,9 11,4 10,7 1967 11993 8,4 13,0 11,0 1968 12717 9,3 15,7 12,9 1969 13156 11,5 9,7 10,5 1970 13870 9,0 14,9 12,3 1971 14389 9,5 10,7 10,2 1972 14912 8,9 10,6 9,8 1973 15470 8,6 11,0 9,9 1974 15968 9,3 9,8 9,6 1975 16578 9,5 11,7 10,8 1976 17162 9,4 11,1 10,3 1977 17696 9,2 10,0 9,6 1978 18068 9,0 7,1 8,0 1979 18677 8,4 11,3 10,0 1980 18732 9,9 1,1 5,3 1981 19185 8,6 9,1 8,9 1982 19445 10,1 5,5 7,6 1983 19624 9,0 4,0 6,3 1984 19624 11,3 0,0 5,3 1985 19689 10,3 1,7 5,7 1986 19728 9,7 1,1 5,2 1987 19811 9,3 2,6 5,7 1988 19913 9,4 3,4 6,2 1989 19981 9,4 2,4 5,7 1990 20099 9,4 4,4 6,7 1991 20257 9,0 6,0 7,4 Taux moy. - 9,5 7,9 8,7

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D'après ce calcul, il est possible d'estimer raisonnablement que, en France, depuis 1949, le nombre de salariés ayant été syndiqués tourne autour de 20 millions comme hypothèse haute (les déclarations des confédérations). Rapportés aux 33 à 35 millions de personnes ayant été salariées à un moment quelconque de leur vie active depuis la même date, cela donne un taux de syndicalisation compris entre 54 et 60%. Naturellement, ce taux est encore optimiste mais, avant de le discuter, nous voudrions formuler quelques remarques :

— le taux de rotation des effectifs a été inférieur à 9% par an avec un rythme de désyndicalisation moyen inférieur à 10% (la différence des taux s'explique par le fait que, en longue période, les départs excèdent les entrées).

Autrement dit, il faut supposer que certaines organisations bénéficient probablement d'une fidélité de leurs adhérents plus élevée que les moyennes qu'il nous avait été donné d'observer lors de nos précédentes enquêtes… En définitive, cela ne peut surprendre à partir du moment où une partie importante de la main d'oeuvre a bénéficié d'une stabilité d'emploi relativement importante — conquête syndicale ! — et où le nombre des emplois dans la fonction publique a augmenté plus rapidement que la moyenne. Or, nous avons observé que, jusqu'au début des années 1980, les syndiqués de la fonction publique ont fait preuve d'une grande constance dans leur adhésion.

— les taux permettent de localiser avec précision les époques fastes et les années noires. Pour l'après-guerre, les périodes difficiles se situent en 1951-54, 1958, 1980 et surtout en 1983-1989. Ces taux montrent également que, contrairement à l'entre-deux-guerres, le syndicalisme français ne connaît pas de "ruée syndicale" ou de reflux brutaux. Certes, notre méthode "lisse" légèrement les pointes conjoncturelles mais elle met à jour l'essentiel : depuis les années 1950, les évolutions sont relativement lentes et l'orientation générale ne fait pas de doute : sauf pour la période 1959-1978 où la syndicalisation suit l'augmentation du nombre des salariés, la tendance est orienté vers le bas.

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Est-il raisonnable d'admettre que la majorité des salariés a été syndiquée ? En fait les organisations syndicales "embellissent" toujours leurs déclarations aux fins de propagande. Chacune d'entre elles a sa propre "formule" et il serait trop long de les discuter toutes. Le principe est généralement le suivant : on divise le nombre de timbres mensuels vendus par la trésorerie confédérale par un ratio que l'on sait irréaliste (ce qui explique aussi les déclarations sur le renouvellement). Généralement, ce ratio est de six timbres pour un syndiqué, parfois moins (dans le cas de FO où l'on utilise les cartes

commandées). Or nous avons montré que le ratio réel a été

certainement supérieur à 9 timbres dans le passé et qu'aujourd'hui il dépasse dix timbres. Dès lors le lecteur intéressé n'aura qu'à amputer d'un bon tiers les déclarations des syndicalistes pour obtenir une estimation raisonnable. Cela le conduira à la conclusion que le taux réaliste de syndicalisation en France depuis 45 ans oscille entre 41 et 46%. En tout état de cause, on peut affirmer avec certitude, que, en moyenne depuis la Libération, sur 10 salariés, plus de 4 ont été syndiqués à un moment quelconque de leur vie active. Si l'on tient compte de la structure de l'emploi et notamment du fait que les entreprises de moins de 50 salariés ont représenté, sur toute la période, la majorité de l'emploi salarié, on peut estimer qu'il s'agit là d'un taux tout à fait honorable bien qu'en déclin régulier depuis la fin des années 1970.

Ces calculs remettent les choses en place : jusqu'au milieu des années 1980, il est absurde de dire que la France était globalement un "désert syndical". Une grande partie des gens qui pouvaient être syndiqués l'ont été à un moment donné de leur vie active. La question essentielle qui se pose, sur le dernier demi-siècle, n'est donc pas de savoir pourquoi les gens n'adhèrent pas aux syndicats mais pourquoi les syndicats ne sont pas parvenus à garder leurs adhérents durant toute leur vie active. Comme on le voit la question est redoutable ! Elle permet peut-être de comprendre pourquoi les dirigeants syndicaux et les observateurs ont colporté cette fable des "adhérents volages" et des "syndicats passoires". Si ces thèses étaient exactes, les difficultés du mouvement syndical pourraient être imputées aux travailleurs et aux militants de base : les salariés seraient inconstants et les syndicalistes s'épuiseraient à les organiser ; beaucoup de militants ne collecteraient pas sérieusement les cotisations ou — variante cégétiste — ils pratiqueraient la rétention des cotisations. Bref, la ligne serait bonne, c'est l'application qui serait défectueuse…

Contre ce raisonnement, nous dirons que, jusqu'au début des années 1980, la majorité des salariés ont été adhérent à un moment

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quelconque de leur carrière ; que les syndiqués ont été relativement fidèles puisqu'en moyenne ils sont restés adhérents entre huit et dix ans soit environ pendant un quart de leur vie active et, enfin, qu'il est probable que les raisons pour lesquelles ces adhérents sont partis relèvent sans doute autant de la dynamique interne des organisations que de la conjoncture économique et sociale ou de l'air du temps…

En dehors des jeunes salariés, le potentiel de "vrais-nouveaux adhérents" est donc probablement plus limité qu'on le pense. Dans l'industrie, le secteur public et les grandes entreprises, lorsqu'un militant s'adresse à un salarié de plus de trente-cinq ans, il parle probablement à quelqu'un qui a déjà été syndiqué. Dans cette perspective, la question de départ de l'enquête mérite d'être complétée par une seconde interrogation : pourquoi les syndicats ne parviennent- ils pas à mieux conserver leurs adhérents au long de leur vie active ?

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CHAPITRE V