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Le poids de l'environnement professionnel

LES DEMANDES DES NOUVEAUX ADHERENTS

A. Le poids de l'environnement professionnel

L'environnement professionnel est assurément le domaine où les réponses sont les plus homogènes. A l'exception des salariés d'un atelier protégé qui se plaignent tous des difficultés de leur travail, ironisent sur le qualificatif “protégé” et vont, pour deux d'entre eux, jusqu'à se comparer à des esclaves, la quasi-totalité des personnes interrogées se disent plutôt ou très satisfaites de leur travail, qu'elles présentent souvent comme “intéressant” ou “enrichissant”. Plusieurs insistent sur le fait qu'elles ont choisi d'exercer ce métier, d'autres se

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contentent de signaler quelques désagréments en faisant remarquer, toutefois, qu'“il est bien naturel que tout n'aille pas parfaitement”.

Mais au-delà de l'expression d'une satisfaction largement majoritaire, on repère aisément trois types de critiques qui semblent avoir joué un rôle déclencheur dans l'adhésion : des perspectives de carrière médiocres, des relations conflictuelles avec la hiérarchie, et une inquiétude plus ou moins diffuse quant à l'avenir professionnel.

1. Des perspectives de carrière médiocres

Les problèmes de carrière se présentent bien entendu de façon spécifique, pour chaque salarié, en relation avec le type d'emploi exercé et le niveau de qualification professionnelle. Pour deux ouvriers de la métallurgie (Haute-Savoie), la préoccupation est surtout de conserver leur travail jusqu'à l'âge de la retraite :

“Je n'ai pas d'avenir professionnel. En usine, on n'a pas de projet. On cherche à avoir un boulot, et après on cherche à le garder”.

“Je n'ai pas vraiment de projet professionnel. J'ai quarante ans, j'ai trouvé une entreprise, je reste, je finirai mes jours ici (...). Mes projets commencent quand je sors de l'usine”.

Pour un fonctionnaire peu qualifié (catégorie C) de l'Ain, les espoirs de promotion semblent bien lointains, sinon chimériques :

“Mon avenir professionnel, je l'imagine mal. J'essaie d'ailleurs de ne pas l'imaginer car c'est déprimant. Il faut des qualifications extraordinaires pour réussir des concours. C'est faramineux. Il ne suffit pas d'avoir une expérience professionnelle, il faut aussi avoir des qualifications, des diplômes. Donc, j'imagine mal ma carrière. D'ailleurs, je ne l'imagine pas.”

Quant au personnel plus qualifié, tel cet agent de maîtrise d'une entreprise métallurgique de l'Isère, le problème tient plutôt à ses yeux à la pyramide des qualifications, qui ne laisse pour l'avenir que de vagues perspectives :

“L'avenir professionnel est un petit peu bouché dans la mesure où l'on ne donne pas de perspectives aux agents techniques, aux agents de maîtrise ayant déjà un niveau Bac plus quelque chose. Actuellement, pour tous les gens qui ont une formation de base assez sérieuse, les débouchés pour des postes à responsabilité avec plus d'ouverture et plus de commandement sont assez limités. C'est un peu ce qui pêche dans nos entreprises. Il n'y a pas de phénomènes d'élévation des niveaux car toute la hiérarchie est déjà en place. Elle-même est un peu bloquée dans la structure existante. Cela nous donne l'impression qu'il y a des bouchons au-dessus de tout ça. Tant que ces bouchons ne sautent pas, tout ce qu'il y a derrière, tous les jeunes qui arrivent

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sur le marché du travail, qui ont déjà montré des compétences et des capacités, restent bloqués sur un niveau et ils n'en sortent pas.”

2. Des relations conflictuelles avec la hiérarchie

Deuxième motif de récrimination : les relations avec l'encadrement, la hiérarchie : là encore, il s'agit d'un sujet largement abordé, avec quelques variantes.

Tantôt est évoqué un accrochage ponctuel, un différent bien précis qui peut se révéler l'élément décisif de l'adhésion :

“C'est un peu à cause de ma hiérarchie que je me suis syndiqué. J'ai eu des problèmes de santé qui étaient dus à l'air ambiant de mon ancien bureau d'études. Il y avait de la laine de verre qui tombait. Je faisais des allergies et je ne demandais qu'une chose à ma hiérarchie : qu'on me mute dans un autre bureau. C'est ce qu'ils ont fait à la fin. Mais, au début, ils ne voulaient pas du tout en entendre parler. J'ai été obligé de faire intervenir les syndicats pour avoir gain de cause”.

A d'autres reprises, c'est davantage un climat, une ambiance, qui sont dénoncés, plus qu'un élément particulier. Ainsi, une adhérente d'Interco se plaint de ce qu'“une partie du travail soit rendue impossible par un chef de service assez despotique”. “Cela pourrait être bien”, ajoute-t-elle, “mais la présence de ce chef contribue à rendre le climat vraiment détestable” (ce que confirme l'une de ses collègues qui regrette que “le climat au sein du service fasse que l'on n'ait pas envie d'y aller tous les matins !“). Sur un registre proche, mais avec des griefs différents, un employé d'une grande librairie regrette que les rapports avec la hiérarchie ne soient pas faciles :

“Il n'y a guère de répondant au-dessus de nous. L'encadrement n'est pas crédible. On a l'impression qu'ils n'osent pas prendre la moindre décision. On est obligé de tout assumer ; quand ça marche mal, on se fait réprimander, mais quand ça marche bien, personne ne semble s'en apercevoir”.

Dans un certain nombre de cas, la critique de la hiérarchie peut revêtir un caractère particulièrement virulent, qui n'est pas sans rapport avec la dénonciation de la culture d'entreprise que nous avons plusieurs fois repérée :

“Je suis déçu de la hiérarchie maintenant que je me suis un peu approché d'eux en étant ingénieur. J'ai côtoyé la hiérarchie en étant technicien et à l'usine T. (car je n'ai que cet exemple-là) c'était une caste. La hiérarchie était composée de cadres ou d'ingénieurs qui avaient été promus. Ils avaient très peu de contacts avec les techniciens. On nous laissait libres et on pouvait avoir des illusions. On pouvait se dire que si ils étaient comme ça c'est parce

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qu'ils savaient plus de choses que nous et parce qu'ils étaient plus forts, qu'ils avaient plus de capacité... ça n'a pas été mon raisonnement. Je pense que c'est parce qu'ils avaient plus d'informations qu'ils pouvaient faire plus”.

“Je me dis que leur caste ne mérite pas d'exister. Ils ne sont pas supérieurs aux autres. C'est bien beau d'avoir acquis un certain nombre de connaissances théoriques mais ce qui fait la force d'une hiérarchie, pour moi, c'est sa capacité à gérer les hommes, d'avoir des relations humaines. Parmi les ingénieurs et les cadres de l'entreprise, il n'y en a pas beaucoup qui ont cette compétence-là”.

3/ Une inquiétude plus ou moins diffuse

L'inquiétude quant à l'avenir professionnel constitue une troisième constante, qu'elle soit liée à un objet précis ou, plus simplement (et plus souvent) diffuse.

Illustrations du premier cas de figure : la crainte d'une privatisation de leur service, exprimée par plusieurs employés municipaux (à la suite d'un changement de municipalité intervenu en 1989), ou par des agents de nettoyage dans un centre hospitalier ; ou bien encore les interrogations de salariés d'une grande usine qui affirment savoir que, suite aux changements intervenus à la direction du groupe, “des choses importantes se trament, dont on ne nous dit pas tout”.

Exemples caractéristiques d'une inquiétude plus diffuse : celle d'un employé d'une grande entreprise commerciale qualifiant la situation d'“assez mystérieuse” et les déclaration de la direction de “pas très rassurantes” ; celles de salariés d'une association d'aide sociale qui voient “un risque pour l'avenir”, admettent que “pour l'instant ils ont quelque chose de pas trop dégradé” mais craignent “une détérioration dans le futur”...

De façon bien naturelle, ces anticipations pessimistes suscitent des demandes d'informations sur l'évolution des entreprises : “on veut savoir ce que sera demain”, “des décisions vont se prendre, qui risquent de nous coûter cher, je veux pouvoir être tenu au courant et savoir quel sera mon devenir”. Ainsi, autour des divers aspects de l'environnement professionnel, à partir des insatisfactions que le travail peut susciter, et surtout des demandes d'informations sur ses droits et sur son avenir, tous les salariés interrogés se rejoignent-ils pour voir une raison essentielle de l'adhésion, la raison la plus commune assurément.

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Mais il est d'autres motivations à l'adhésion, moins axées sur le “concret quotidien”, davantage liées à la personnalité de chacun, que l'on peut regrouper autour de la notion de “valeurs syndicales”. Le sentiment que seul on ne peut rien, la confiance dans l'action collective ou, tout simplement, une sorte d'intuition : adhérer est une évidence quand on est salarié !...