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Un revirement de jurisprudence ?

Section II Les conséquences

B. Un revirement de jurisprudence ?

Les arrêts Gambelli100 et Placanica101, qui affinent la jurisprudence, vont être un véritable déclencheur de la mise sur l’agenda, et être vécus par les différents

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CJCE, 24 mars 1994, Schindler C-275/92. Rec. I-1039 ; D. 1994. IR. 100

98 CJCE, 21 septembre 1999, Läärä C-124/97. Rec. I-6067 ; D. 1999. IR. 257

99 CJCE, 21 octobre 1999, Zenatti C- 67/98 Rec. I-72289 ; D. 1999. IR. 254 ; Actualité du droit communautaire,

AJDA 2000. 307

100 CJCE, 6 novembre 2003, Gambelli, C-243/01 Rec. I-13031 ; D. 2003. IR. 2868 ; Actualité du droit

communautaire, AJDA 2004. 315

101 CJCE, 6 mars 2007, Placanica, C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Fabrice PICOD Rev. aff. eur. 2007, n° 1,

p. 127 ; Luc GRYNBAUM, RLDI 2007/26, n° 849 ; Thibault VERBIEST et E.HEFFERMEHL, RLDI 2007/27, n° 901, note ; D.SIMON, Europe, 2007, n° 5, p. 17 ; Jean-Louis CLERGERIE, D. 2007, n° 19, p. 1314,. ;

Gouvernements français comme un appel au changement de législation. Pourtant ces arrêts, s’ils introduisent des nuances et des conditions aux atteintes au traité notamment à la liberté d’établissement (article 43 du traité CE, article 49 depuis le traité de Lisbonne) et à la libre prestation de service (article 49 du traité CE, article 56 depuis le traité de Lisbonne), sont loin de constituer des revirements de jurisprudence.

Dans la première affaire, il s’agissait d’une entreprise nommée Gambelli gérant des agences de transmissions de données qui collectait par Internet des paris sportifs pour le compte d’un bookmaker britannique, la société Stanley établie à Liverpool et titulaire d’une licence conforme à la législation britannique. L’entreprise Gambelli était alors poursuivie pour violation de la loi italienne qui interdit de telles activités en l’absence des conditions de concessions et d’autorisations prescrites par le droit interne.

La Cour relève tout d’abord l’atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation de service que constitue cette législation. Ces atteintes peuvent-elles être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général ? C’est aux juridictions internes de l’apprécier affirme la CJCE qui ajoute une précisions déterminante : « Si dans les

arrêts précités Schindler, Läärä e.a et Zanetti, la Cour a admis le fait que les restrictions aux activités de jeu peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général (...), encore faut-il que les restrictions fondées sur de tels motifs et sur la nécessité de prévenir les troubles à l’ordre social soient propres à garantir la réalisation desdits objectifs en ce sens que ces restrictions doivent contribuer à limiter les activités de paris d’un manière cohérente et systématique102. » Il s’agit d’une

application cohérente et logique de la jurisprudence sur les raisons impérieuses d’intérêt général. Le premier critère cité par la Cour est que la restriction doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi : dans l’arrêt Gambelli, elle constate que le Gouvernement contrôle de près le marché des jeux pour des raisons d’intérêt général mais que de l’autre côté il développe une politique d’expansion de ce marché en incitant les joueurs à jouer toujours plus. Il y a donc un problème de cohérence du Gouvernement italien qui révèle l’insincérité des poursuites contre l’entreprise

Gambelli. Pour faire bref, plutôt que de protéger l’ordre public, l’Italie cherche plus à

contrôler de près le marché pour le bien de ses finances publiques…

Ne surestimons pas l’importance de cet arrêt qui ne fait, après tout, que constater que le premier critère selon lequel les restrictions doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi n’est pas rempli. Certes, pour la première fois la Cour n’applique pas aux jeux les raisons impérieuses d’intérêt général justifiant des dérogations au droit communautaire, mais il ne s’agit que d’une application logique des E.BROUSSY, F.DONNAT et Ch.LAMBERT, AJDA 2007, n° 21, p. 1122.

critères de la jurisprudence antérieure : affirmer qu’elle incite par cet arrêt à la libéralisation du secteur des jeux, c’est déformer le sens de sa jurisprudence103.

Quant à l’arrêt Placanica, il s’agissait également d’une affaire impliquant l’Italie qui organise les jeux de hasard par l’octroi de concessions et d’une autorisation de police. La société Stanley, société basée à Liverpool et agissant selon la législation anglaise, souhaitait participer aux appels d’offres italiens mais en était exclue. Y a-t-il une raison impérieuse d’intérêt général justifiant l’exclusion du marché ? La Cour affirme que la législation italienne va « bien au-delà de ce qui est nécessaire pour

atteindre l’objectif visant à éviter que des opérateurs (…) soient impliqués dans des activités criminelles ou frauduleuses » (point 62) ; c’est donc ici le critère de la

proportionnalité qui empêche l’application des raisons impérieuses d’intérêt général, alors que dans l’arrêt Gambelli, le critère de la nécessité des mesures par rapport à l’objectif était plutôt visé. Dans les deux cas, il y a application de la jurisprudence antérieure. Mais le fait que la Cour exige une certaine cohérence des Etats – cohérence entre les objectifs affichés de protection de l’ordre public et comportement réel de l’Etat sur le marché des jeux - et refuse par deux fois de donner raison à l’Etat italien va être vécu comme un revirement de jurisprudence. En effet, l’examen des réactions politiques aux arrêts Gambelli puis Placanica révèle que ces arrêts ont eu un impact considérable, peut-être injustifié (voir chapitre 1 de la partie 2). Ce constat d’une surestimation des conséquences de ces arrêts est d’autant plus simple à dresser que la Cour saura quelques années plus tard par un arrêt - que d’aucuns trouveront mal venu - rappeler que le droit communautaire interdit les droits exclusifs confiés à des opérateurs nationaux, mais peut les autoriser pour des raisons impérieuses d'intérêt général. Ainsi le monopole confié à Santa Casa se trouve justifié selon la CJCE.104

Conclusion

Les évolutions technologiques, économiques et sociales ; l’apparition de l’offre illégale et le renforcement de l’offre légale ; l’émergence du problème de l’addiction ; autant de faits qui ont provoqué l’ébranlement juridique et l’émergence d’une pression communautaire suffisante pour remettre en cause notre modèle multiséculaire. Si ce schéma est en partie vrai il pourrait être un peu simpliste pour deux raisons liées : la

103 L’arrêt Gambelli réaffirme : « les particularités d’ordre moral, religieux ou culturel, ainsi que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société qui entourent les jeux et le paris, pouvaient être de nature à justifier l’existence au profit des autorités nationales d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comporte la protections du consommateur et de l’ordre social »

première est l’apparente objectivité de tels faits qui sont bien souvent des désirs volontaires d’acteurs libres ; la deuxième, ce que nous nous proposerons d’étudier dans le chapitre 2, est la confrontation et la coalition d’intérêts politiques et économiques autour de ces faits « objectifs ».

Chapitre 2 : Les enjeux économiques et

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