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Ordre public et évasion fiscale : l’Etat en question

Section II Les conséquences

B. Ordre public et évasion fiscale : l’Etat en question

Parler de jeux, c’est parler de l’Etat dans ses attributions les plus régaliennes : le monopole de la contrainte (respect de l’ordre public) et la levée d’impôt (fiscalité inhérente au régime des jeux). Cette proximité - Etat/jeux - facilite donc la mise sur agenda. Le droit communautaire laisse entièrement libres les Etats de leur politique de jeux : le principe de subsidiarité est la règle et le principe de reconnaissance mutuelle ne s’applique pas en l’espèce. L’Etat est donc pleinement souverain dans sa politique des jeux.

En matière d’ordre public, l’univers des jeux a toujours été entouré d’affaires rocambolesques : remontant au début du XXème siècle, le rapport Bauer91 recense les principales fraudes, parmi lesquels le scandale de « Bride Abattue » en 1973, impliquant des mafieux français qui avaient mis la main sur l’inventeur d’une formule mathématique de probabilités pour parier… On a vu (supra) les risques d’ordre public qu’ont toujours provoqué les jeux. L’arrivée d’Internet a réactivé « les vieilles

combines ». Les opérateurs ne sont pas – dans la plupart des cas – les fautifs directs92

(Bwin par exemple signale les parieurs suspects) : c’est l’augmentation de ces paris, grâce à Internet qui a entraîné l’apparition de nouvelles affaires notamment dans le

90 CE, sect. 9 mai 2008, Société Zeturf Limited, n° 287503. AJDA 2008. p.961 ; D. 2008. p.1869, note Jean-

Louis CLERGERIE ; CE juill. 2008, p. 34 note J. DEBET

91

Alain BAUER, Rapport au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, Jeux en ligne

et menaces criminelle, La documentation Française, 2009.

92 Seule la société britannique BetOnSports pour racket et fraude est poursuivie par la justice américaine qui

milieu du tennis ; des joueurs français ou d’autres nationalités (parmi lesquels des joueurs de premier plan) ont reconnu avoir été approchés tandis qu’un joueur russe est soupçonné de s’être laissé battre (Davindenko) pour les besoins d’un pari.

Les jeux ont toujours attiré des organisations mafieuses : c’est une constante et Internet ne pouvait échapper à la règle. Le rapport Bauer avertit clairement du « risque

d’infiltration par le crime organisé, sans protection pour les joueurs, et un accès incontrôlé pour les enfants ou les personnes vulnérables ». Il insiste : « les activités concernant les jeux et les paris ont depuis toujours été dans le viseur des organisations criminelles. L’évolution technique entraînant la mise sur Internet de ce type d’activité est donc logiquement regardée de près par ces mêmes organisations. Si celles-ci perdent le bénéfice des transactions en liquide, elles gagnent en audience et en manque de transparence. »93

L’autre compétence régalienne concernée par les jeux est celle de la fiscalité ; c’est clairement une des causes majeures de la mise sur l’agenda d’une nouvelle loi. Selon le rapport du CERT-LEXSI5 l’activité illégale des jeux en ligne, en 2005, représente en France entre 300 et 400 millions d’euros annuels de produit brut des jeux (l’activité légale représente en France 110 millions d’euros de PBJ). Le constat est sans appel : 75% de l’activité des jeux à distance en France est illégale actuellement mais surtout 75% du PBJ des jeux en ligne échappe au FISC.

La France a toujours eu une forte fiscalité sur les jeux et le « le maintien du

niveau des recettes publiques constitue un enjeu important » selon le rapport Durieux.

Les taux d’imposition n’ont rien à voir avec ceux des Etats à l’offre attractive. Le rapport Durieux prévient : « le Royaume-Uni a mis en place à partir de 2007 une taxe

sur les jeux à distance, (…) équivalent à un taux de taxation d’environ 1,05% des mises, soit 27 fois moins que pour la FDJ, 20 fois moins que pour le PMU et 4 fois moins que pour les casinos… » Il préconise une limitation du taux de retour aux joueurs94 pour lutter contre l’addiction et le blanchiment d’argent. Ce plafonnement se fait par voie réglementaire mais aussi par la fiscalité. Le taux de retour moyen en France est ainsi de 73% pour les paris hippiques et de 70% pour les autres paris sportifs alors que les sites illégaux redistribuent environ 95% des mises.

Dès lors, les pouvoirs publics français doivent concilier plusieurs objectifs assez inconciliables : établir une taxation suffisante pour maintenir au moins le niveau de ses recettes actuelles ; rendre possible en France une offre attractive des opérateurs afin d’empêcher les joueurs de se connecter à des sites illégaux (cela ne passe que par l’allégement de la fiscalité, un fort TRJ…) ; baisser les occasions de jeux pour lutter

93 Alain BAUER, rapport précité.

contre l’addiction (cela passe par un TRJ plafonné). Il est évident que l’offre illégale sera toujours plus attractive que l’offre légale. Une alternative se présente : soit libéraliser complètement (et perdre fiscalement), soit lutter de front contre l’offre illégale et renforcer les monopoles (poursuites, blocage des sites…). Une solution serait de stopper net toute politique de jeu : mais le poids du passé (recettes fiscales, institutions et sociétés créées désormais solides) - en dépit des abus (dynamisme commercial des monopoles entraînant l’apparition du problème de la santé publique) – empêche tout abandon du secteur des jeux. Pris dans un engrenage infernal, les pouvoirs publics ne peuvent qu’essayer de maintenir un équilibre impossible à trouver. La politique des jeux modernes (années 1970) alliée à la société de consommation, de loisirs et paradoxalement de précarité a abouti à cette situation ubuesque, dont il est impossible de se dépêtrer, l’Etat continuant sans cesse à vouloir ménager la chèvre et le chou.

§ 2 La position du droit communautaire

Il s’agit ici de dresser un bilan de la situation communautaire avant le fameux arrêt « Santa Casa » : en effet, ce dernier est survenu alors même que l’inscription sur l’agenda était acquise et que la procédure législative s’apprêtait à débuter : or on évoque ici que la période préalable à l’engagement de la procédure parlementaire. Les fondements de la position communautaire (A) ont-ils été remis en cause par un revirement de jurisprudence (B) ?

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