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Les incohérences juridiques

Section II Les conséquences

A. Les incohérences juridiques

L’augmentation de l’offre commerciale a pu remettre en cause le monopole public. Cette « croissance démesurée » reposant d’ailleurs sur des bases juridiques plus qu’incertaines : la loi de finances du 31 mai 1933 autorisait le Gouvernement et lui seul à créer une loterie. Le Conseil d’Etat a justifié cette expansion commerciale à propos de la création du loto par la SLNLN en 1975 : « à travers l’habilitation donnée au

Gouvernement pour créer une loterie, la loi de finances du 31 mai 1933 n’a pas entendu donner valeur législative au seul système dit de loteries simples du décret du 22 juillet 1933 et a reconnu explicitement au Gouvernement le pouvoir de diversifier le mécanisme de la loterie d’origine en permettant aux titulaires de billets de miser sur les résultats du tirage supplémentaire de l’une des tranches de la loterie nationale. »81 Le

Conseil d’Etat considère donc le Loto comme une variante de la loterie nationale d’origine ; Charles-Edouard Matot82 affirme pourtant que le loto est fondé sur un

principe mathématique différent de la loterie nationale. A la suite du loto, s’engouffrera

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Michèle DELAUNAY, avec qui nous avons pu nous entretenir, parle de cette opération avec énervement :

« On m’a piégé dit-elle ; je pensais que Marc Valleur, le chef du service d’addictologie, était contre la loi. Son attitude critique durant les auditions parlementaires m’a dupée. Mais il a suffi que l’on mette les caméras sur lui pour qu’il se prononce en faveur de la loi »

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CE, 22 mars 1978, société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France, rec.p.147

une kyrielle de nouveaux jeux : on compte trente-cinq jeux début 2009 soit une moyenne de création d’un peu plus d’un jeu par an.

De plus, en 1976 les émetteurs autorisés à commercialiser la loterie nationale (regroupés en GIE deux années auparavant) sont désormais une société anonyme. Depuis, l’expérience a montré qu’une des premières étapes sur le chemin d’une ouverture est la transformation du statut juridique en société de droit commun. En 1976, l’entrée dans l’ère de l’ouverture à la concurrence des services en réseau n’avait pas encore eu lieu ; or, trente ans après, la plupart de ces services ouverts à la concurrence, il s’avère que la transformation en société de droit commun (transformation d’établissement public comme EDF ou France Telecom, en société anonyme) est une des premières étapes de l’ouverture à la concurrence. Cette première étape a considérablement facilité la mise sur l’agenda gouvernemental de l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne.

L’histoire du PMU rappelée dans le chapitre préliminaire ne laisse également aucun doute sur la logique privative des paris sur les courses de chevaux : dès Charles X, une société d’encouragement d’amélioration de la race des chevaux avait vu le jour et concurrençait l’Etat dans l’organisation des courses ; et l’arrêté du 28 avril 1887 avait autorisé les principales sociétés de courses à établir et exploiter elles-mêmes le pari mutuel. Depuis 1983, le PMU revêt le statut de GIE, statut de droit privé. Même si l’Etat a un droit de regard assez présent sur le PMU (forte présence dans le conseil d’administration, tutelle des ministères de l’agriculture et du budget, agréments de ces deux ministères pour la nomination du PDG), il n’en demeure pas moins que le premier obstacle juridique à l’ouverture à la concurrence est ici levé pour le PMU comme pour la FDJ.

S’ajoute à cette logique privative, un élément capital : le monopole de la FDJ a été déstabilisé dès lors que le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la nature de sa mission qu’il n’a pas reconnue comme étant un service public. La FDJ ayant un monopole, ne s’était pas posé la question de la nature de son activité qui était considérée à l’époque comme un service public. De plus, les casinos sont des sociétés privés bénéficiant de délégation de service public ; or, casinos comme FDJ avaient la même mission de service public : l’organisation de paris, de jeux de hasard et d’argent.

L’arrêt de 1999 Rolin83, intervenant après deux décennies de droit communautaire et d’évolution de la notion de service public, remet en cause cette

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CE Sect. 27 octobre 1999, Rolin. Rec. Lebon, p. 327, concl. Agnès DAUSSUN ; Droit adm., 1999, no 274, et 2000, chron. no 11, Jean-David DREYFUS ; J.C.P., 2000, II, 10365, note Vincent CORNELOUP ; R.D.P., 1999, p. 269, note Gabriel ECKERT ; R.F.D.A., 1999, p. 1295

« évidence » en ne considérant pas comme mission de service public l’activité de la Française des jeux. Dès lors, découlait de l’arrêt du Conseil d’Etat la conclusion suivante : la FDJ est une société anonyme qui ne remplit pas une mission de service public mais dispose néanmoins de la prérogative de puissance publique par excellence : le monopole.84 On sait que la qualification d’un service public dépend de la réalisation de trois conditions : l’activité doit être d’intérêt général, gérée directement ou indirectement par une personne publique qui doit disposer de prérogatives de puissance publique.85 S’il s’est arrivé que le Conseil d’Etat qualifie de service public une activité en l’absence de prérogatives de puissance publique86, l’inverse est aujourd’hui indéfendable juridiquement. 87

Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de refuser la qualification de service public du PMU. 88 Comme la FDJ, le PMU est une personne morale de droit privé, bénéficiant d’un monopole d’organisation des paris en dehors des hippodromes, n’exerçant pas une mission d’intérêt général. Si en 1979 (date de l’arrêt du Conseil d’Etat) les conséquences juridiques n’avaient pas été tirées, l’arrêt Rolin – intervenant 20 ans plus tard – ne manquera pas de réactiver les questions que l’on aurait du se poser à l’époque.

Ce climat d’incertitude juridique favorisera la multiplication des affaires dans la décennie 2000, pas seulement au niveau communautaire. Le contentieux Zeturf (société créée en France, rachetée par des allemands et des maltais, fixée à Malte et proposant des paris sur les courses françaises) contre PMU résume bien les griefs réciproques et les hésitations du juge : la Cour de cassation renvoie au juge du fond le soin de vérifier que « les restrictions à la libre prestation de services intracommunautaires répondent

au souci de réduire véritablement les occasions de jeux de façon cohérente et systématique, d'autre part, de vérifier que les raisons impérieuses d'intérêt général invoquées pour justifier les restrictions ne sont pas déjà sauvegardées par les règles auxquelles le prestataire de service est soumis dans l'État membre où il est établi».89

Quant au Conseil d’Etat, il pose deux questions préjudicielles à la CJCE sur la compatibilité du monopole du PMU avec le principe communautaire de libre prestation

84 concl J. Kahn sur TC 8 septembre 1969, Cts Arcival, RDP 1970 p 142 : « La possession d’un monopole est

dans la doctrine du Conseil d’Etat la prérogative de puissance publique par excellence » concl J. Kahn sur TC 8 septembre 1969, Cts Arcival, RDP 1970 p 142

85 CE Sect. 28 juin 1963, Narcy 86

CE, 20 juillet 1990, ville de Melun

87

Voir en ce sens Charles Edouard MATOT, mémoire précité.

88 CE 9 fevrier 1979, Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France, rec.p.46 89 Cass, com, 10 juillet 2007. Juris-data n° 06-13986 ; D. 2007. Jur. 2359, note Jean-Louis CLERGERIE

de services et les modalités d’appréciation d’une atteinte à la libre prestation de services.90

Une plainte de la FDJ contre Bwin provoquera la garde à vue d’un cadre de la société en 2005. Les casinos tentent également de ne pas se laisser déborder : le 28 mars 2006, le Syndicat moderne des casinos de France (SMCF) - une structure dont 50 des 70 adhérents sont des établissements du groupe Partouche – dépose une plainte contre l'État Français auprès de la Commission européenne. Dans le même élan, le SMCF dépose, devant le Conseil d’Etat, un recours pour excès de pouvoir contre « la décision

implicite de refus d’abrogation, par le Premier ministre, du décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978, modifié par le décret n° 2006-174 du 17 février 2006 confiant à la française des jeux le monopole de l’offre de jeux de loteries sur autorisation de l’article 136 de la loi de finances du 31 mai 1933 ». Le groupe Partouche n’attend pas que la

législation évolue : basé à Gibraltar, il propose une offre de jeu en ligne par sa nouvelle filiale Partouche Interactive.

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