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Une fiscalité lourde

Section I Une loi aux objectifs multiples et contradictoires

B. Une fiscalité lourde

La loi d’ouverture à la concurrence insère dans le code général des impôts huit nouveaux articles (302 bis ZG à 302 bis ZN) : il est créé de nouveaux prélèvements sur les paris hippiques et sportifs et sur le poker ; le système en vigueur avant la loi est retouché substantiellement. Les objectifs affichés sont clairs : maintenir les recettes fiscales, sauvegarder voire accroître le financement de missions d’intérêt général, respecter le droit de la concurrence et mettre en place une fiscalité suffisamment lourde pour lutter contre l’addiction.

L’article 47 de la loi d’ouverture à la concurrence des jeux en ligne fixe les taux de prélèvement à 5,7% des sommes engagées pour les paris hippiques et des paris sportifs et à 1,8% des sommes engagées pour le poker.

A ces prélèvements s’ajoutent :

- pour tous les paris sportifs (Internet ou « en dur ») un prélèvement de 1,3% (1,5% en 2011, 1,8% en 2012) au profit de la CNDS

- pour les paris hippiques un prélèvement de 8% des mises au profit de la filière équine.

Pour les paris hippiques, il est prévu une rétrocession de 15% dans la limite de 10 millions d’euros au total (et de 700000 euros par ville) au profit des villes disposant d’un ou plusieurs hippodromes ; un système identique de rétrocessions est prévu pour les taxes sur le poker au profit des villes ayant des casinos et pour le centre des monuments nationaux. De telles rétrocessions – dont le mécanisme d’adoption a été en partie décrypté précédemment – ont été qualifiées par le rapporteur de la loi au Sénat d’affectations « à la légitimité incertaine » dont « l’opportunité est contestable »178 . En

effet, la rétrocession en faveur des communes ayant un ou plusieurs hippodromes est plus ou moins élevée selon le nombre de courses organisées : la justification de cette décision est d’aider les petites communes à entretenir leur hippodrome ; en fait, une telle rétrocession profitera aux villes les plus privilégiées et risque toujours selon le rapporteur de constituer « une simple aubaine sans contrepartie. »179 Quant à la

rétrocession sur les casinos, le rapporteur souligne que « l’accueil d’un casino ne

saurait garantir des ressources permanentes et comporte une part de risques qu’il

177 « Prélèvement sur les jeux et paris : modèle et lieu de dépôt de la déclaration mensuelle et taux de la

redevance sur les paris hippiques en ligne », Droit Fiscal, 2/09/2010, act.301

178

François TRUCY, rapport sur l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, tome 1. p268

importe d’assumer, le cas échéant par des pertes de recettes lorsque la fréquentation diminue »180 Ces amendements que l’on peut qualifier de « cavaliers », au bénéfice de parlementaires également élus locaux, ont résisté à ces remarques du rapporteur au Sénat.

S’ajoutent à ces taxes les prélèvements sociaux CSG (2,2% des mises pour les paris sportifs, 1,33% pour les paris hippiques, le poker n’y est pas assujetti) et CRDS (0,3% des mises pour les paris sportifs, 0,35% des mises pour les paris hippiques, et 0,12% pour le poker).

Le total des prélèvements (taxation et prélèvements sociaux compris) s’élève à 9,3% des mises pour les paris sportifs, 15,5% des mises pour les paris hippiques et 2% des mises pour le Poker.

Reste à savoir si ces taux de prélèvement permettent le maintien des recettes fiscales de l’Etat. Aussi élevée soit-elle par rapport à d’autres pays d’Europe, la nouvelle fiscalité entraine une baisse des prélèvements en ce qui concerne la FDJ et le PMU : les monopoles étaient taxés respectivement à hauteur de 14 et 11% (hors prélèvements sociaux) ; ils vont l’être aujourd’hui à hauteur de 5,7%, une baisse que le législateur espère compenser par la taxation des jeux en ligne que la loi légalise. Tandis que le rapporteur au Sénat voit dans la nouvelle loi « un rendement fiscal constant selon

des hypothèses prudentes »181, Eric Woerth est plus catégorique durant les discussions au Sénat :

« Selon nous, dans un premier temps, 50 % des 3 milliards d’euros que représente le marché des jeux en ligne seront légalisés, conformément à ce qui a pu être observé par ailleurs. Certes, nous perdrons 180 millions d’euros de recettes sur les paris hippiques, car il s’agit pour une large part de paris en dur, dont la fiscalité sera réduite. Mais, dans le même temps, la taxation du marché que nous légalisons devrait rapporter 140 millions d’euros. Nous bénéficierons en outre d’un effet volume sur les jeux et paris proposés par la Française des jeux et le PMU, pour une somme évaluée à 40 millions d’euros. Au total, pour la première année, l’équilibre financier sera donc assuré. »

Une contradiction apparaît ici : une perte fiscale est prévue mais le Gouvernement, pour la compenser, espère des recettes fiscales des jeux qu’il légalise ; il faut donc que le nombre de joueurs reste identique pour les anciens monopoles et que de nouveaux joueurs se lancent dans les jeux en ligne. Eric Woerth table même sur une augmentation des joueurs pour la FDJ et le PMU, augmentation qu’il cache dernière l’expression « effet volume ». Le Gouvernement mise donc sur une augmentation du nombre des joueurs et ce n’est pas dans ces conditions que la lutte contre le phénomène

180 Ibid. 181 Ibid.

de l’addiction sera la plus efficace : plus il y a de joueurs, plus les risques d’addiction sont importants. La contradiction des objectifs de la loi peut se résumer par l’équation suivante : baisser la fiscalité mais tenter de maintenir les recettes fiscales ; lutter contre l’addiction mais compter sur une augmentation du nombre de joueurs pour compenser les pertes fiscales.

Le plafonnement du taux de retour aux joueurs (TRJ), c’est-à-dire de la proportion des mises redistribuées aux joueurs sous forme de gains, est un des dispositifs mis en place pour lutter contre l’addiction : en effet, le Gouvernement estime qu’un fort taux de retour favorise la dépendance. Autre explication à cette limitation du TRJ : plus le Gouvernement le limite, plus sa marge de manœuvre quant à la fixation des taux de prélèvements sera grande. Le « taux de retour à l’Etat »182 est inversement proportionnel au TRJ… Ceci explique les forts taux d’imposition : quand l’Etat français taxe aux taux de 5,7% pour les paris sportifs et hippiques, la taxation des mises en Italie est de 4,5% ; au Royaume-Uni, elle équivaut à 1,5%, et à Malte 0,5% ; la concurrence sera donc rude pour les opérateurs ayant un agrément français. Les joueurs français vont-ils jouer sur les sites français quand le pourcentage de gains sera plus fort sur des sites maltais ou britanniques ? Le législateur français, conscient de cette concurrence internationale, espère que la qualité et la sécurité de l’offre compensera le handicap du prix.183 Notons cependant que la fiscalité française n’est pas la plus élevée puisque la Belgique prélève 11 à 15% des mises pour les paris sportifs et 20% des mises pour les paris hippiques ; le Danemark taxe 30% des mises pour l’ensemble des paris.

§ 2 Créer un marché attrayant et lutter contre l’addiction

« L’assèchement de l’offre illégale » par l’autorisation de la publicité doit être combiné à une baisse de l’offre de jeu (A) ; le plafonnement du TRJ doit permettre la lutte contre l’addiction (B).

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