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Dans les médias, les hackers sont souvent confondus aux pirates, c’est-à-dire à de petits magouilleurs sans scrupules qui s’infiltrent par infraction dans des institutions importantes comme les banques ou les gouvernements afin de voler des informations confidentielles et de les revendre aux plus offrants. À la recherche de gloire, ils finissent par se faire prendre en se vantant de leurs actes. Ce sont des criminels narcissiques.

Cette description n’a rien à voir avec le hacker qui se définit obligatoirement par son idéologie. L’idéologie des hackers est divisée, selon Yannick Chatelain et Loïck Roche, en quatre points. Ces points sont fortement inspirés des écrits d’Eric Raymond, un des théoriciens du monde des hackers et des logiciels libres. En ce qui nous concerne, ce sont les points un et quatre qui nous intéressent :

1. Tous les « hackers » cherchent à construire quelque chose.

4. L’esprit du « hack » fait référence à un certain nombre de valeurs :

• la gratuité de l’information sur Internet,

• la propriété intellectuelle doit appartenir à tous ceux qui en ont la compréhension,

• les grandes entreprises ne sont pas dignes de confiance, • les grands gouvernements le sont encore moins,

• Toute tentative de légiférer et donc de restreindre le cyberespace doit être combattue,

• Le savoir-faire technique est la vertu qui doit être la plus valorisée.115

Si la plupart des hackers n’ont pas pour ambition de détruire, l’idéologie à l’origine du mouvement est fortement marquée par la pensée gauchiste et anarchiste qui caractérise les années 60. […] Persuadés que la lutte contre l’ordre établi du monde capitaliste passe par le piratage mais aussi par la capacité à démocratiser l’information, les hackers militent, le plus souvent au sein de sous-groupes underground, pour la gratuité des logiciels et la libre utilisation par tous de tous les programmes informatiques.116

On ne peut véritablement comprendre le monde hacker sans avoir lu le livre L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information de Pekka Himanen auquel se joint Linus Torvalds117 et Manuel Castells. Il s’agit d’une analyse très complète qui fait le tour de

différents aspects.

L’éthique du hacker

Selon Pekka Himanen, l’éthique du hacker est confrontée à l’éthique définie par la religion. Pour le Christianisme, le but de la vie c’est le dimanche, et si vous vous conduisez mal dans votre vie, vous allez travailler dans la prochaine. De son côté, la société protestante a une éthique différente dont les paramètres sont définis par Max Weber : « le travail doit être considéré comme une fin en soi; au travail, on doit faire sa part du mieux possible et le travail doit être vu comme un devoir que l’on doit accomplir parce qu’il le faut. ».118 Dans

115 Yannick Chatelain et Loïck Roche, Hackers ! Le 5e pouvoir, Paris, Maxima, 2002, p. 49-50.

116 Ibid, p. 64-65.

117 Linus Torvalds est certainement le hacker le plus respecté suite à la création du système d’exploitation Linux en 1991 alors qu’il est était toujours étudiant à l’université d’Helsinki.

ce contexte, Sisyphe est devenu un héros. L’éthique hacker se résume très bien par cet extrait de la philosophie Unix écrit par Eric Raymond :

Pour être un bon philosophe Unix, tu dois être loyal. Tu dois penser qu’un logiciel est un objet qui vaut toute l’intelligence et la passion que tu peux y consacrer… La conception de logiciel et de sa mise en œuvre devraient être un art jubilatoire, et une sorte de jeu de haut de gamme. Si cette attitude te paraît absurde ou quelque peu embarrassante, arrête et réfléchis un peu. Demande-toi ce que tu as pu oublier. Pourquoi développes-tu un logiciel au lieu de faire autre chose pour gagner de l’argent ou passer le temps? Tu as dû penser un jour que le logiciel valait toutes tes passions… Tu as besoin de penser aux autres. Tu as besoin de jouer. Tu as besoin d’avoir envie d’explorer.119

Le rapport au temps

Dans notre monde de plus en plus technologisé, nous serions tenté de croire que le rapport au temps a changé vers une plus grande liberté notamment avec l’avènement du télétravail par exemple. Pour Pekka Himanen, c’est une illusion :

L’industrie de haute technologie réclame encore la production de matériel au sein duquel on donne un rôle minimal aux êtres humains et on leur enseigne la meilleure façon de gagner du temps. Ainsi, une version moderne du taylorisme, méthode d’optimisation du temps imaginée par Frederick Winslow Taylor pour le capitalisme industriel, est toujours vivace dans la société en réseau.120

Il y a ici l’émergence d’une nouvelle culture de la vitesse. Cette culture devient pernicieuse par l’arrivée des technologies mobiles qui conduisent à la disparition de la frontière entre le travail et la vie privée.

Le danger avec la vitesse, c’est qu’elle tend à faire disparaître l’éthique pour une recherche de stabilité, « la survie au moment immédiat ». C’est cette « logique du réseau et de

119 Ibid, p. 25. 120 Ibid, p. 41.

l’ordinateur [qui] nous empêche de nous préoccuper des autres alors que c’est la base de tout comportement éthique. »121

Le rapport au temps est très différent chez le hacker. « Dans la version hacker du temps flexible, différentes séquences de vie comme le travail, la famille, les amis, les hobbies, etc. sont mélangées avec une certaine souplesse de telle sorte que le travail n’occupe jamais le centre. »122 La pointeuse n’a aucune utilité chez les hackers. « Notre objectif au travail est-il

de “passer du temps” ou de faire quelque chose? ».123 C’est un combat entre deux visions du

temps entre le temps c’est de l’argent, et le temps c’est ma vie.

Pierre Lévy est plus optimiste dans son rapport au temps. Pour lui, c’est avec l’écriture que l’Humanité est entrée dans l’Histoire. Les peuples de la Bible ont inventé la conscience actrice et observatrice d’une histoire orientée dans un sens. Avec l’imprimerie, le temps est devenu révolutionnaire. Avec le cyberespace, « La vitesse ordinaire de l’évolution culturelle a cédé la place au temps réel. ».124 Avec ce nouveau temps, Lévy avance qu’il n’y

a plus de différence entre le temps de l’idée et sa réalisation. C’est le moteur du logiciel libre où les nouvelles idées sont publiques et se répercutent dans de nouvelles améliorations. « Le temps réel est essentiellement une nouvelle vitesse d’apprentissage collectif. ».125

Le rapport à la motivation

Si à l’époque de Weber le travail était une fin en soi, il semble qu’aujourd’hui ce soit l’argent. Le travail devient un moyen pour nous permettre de consommer. Au niveau des États, la motivation suprême est maintenant d’ordre économique, ce qui ne demande aucun changement en profondeur dans le monde. Dans ce contexte, la stabilité est préférable, pour les affaires, à la justice et à la paix. C’est le cercle vicieux du capitalisme qui a bien des choses à cacher. Pour Pekka Himanen :

121 Ibid, p. 132. 122 Ibid, p. 47. 123 Ibid, p. 52. 124 Ibid, p. 23.

Le capitalisme actuel est fondé sur l’exploitation du communisme scientifique! Profiter de toute l’information produite par tout le monde en cachant toute l’information produite individuellement pose un problème éthique. Celui-ci prend de l’ampleur au rythme des progrès enregistrés à l’ère de l’information puisqu’une part de plus en plus importante de la valeur des produits est liée à la recherche. »126

Pour le hacker, la motivation suprême, c’est le plaisir. Selon Pekka Himanen : "Il est assez facile d'acheter la survie, mais il est beaucoup plus difficile d'acquérir des liens sociaux et le plaisir. En particulier, le Plaisir avec un grand P, celui qui donne un sens à votre vie."127

Le plaisir, dans ce contexte, n’est pas tributaire des miettes de temps dédiées aux loisirs :

Pour les hackers, le loisir n’a pas plus de sens que le temps de travail. Leur attrait dépend de la façon dont on les occupe. Dans l’optique d’une vie sensée, la dualité travail/loisir doit être abandonnée. Tant que nous vivons notre travail ou notre loisir, nous ne vivons pas vraiment. Le sens ne peut pas être trouvé dans le travail ou le loisir mais découle de la nature de l’activité elle-même. De la passion, de sa valeur sociale, de la créativité.128

Le rapport à l’apprentissage

Pour Eric Raymond, « la véritable innovation de Linux n’est pas technologique mais sociale : c’est la manière nouvelle et totalement ouverte de son développement.»129

C’est ici la rencontre entre deux cultures d’apprentissage et de recherche : l’une ouverte (académique, scientifique ou hacker), et l’autre fermée et hiérarchisée comme un monastère. Pekka Himanen va encore plus loin en avançant que les nouveaux professionnels de l’ère de l’information doivent être autoprogrammables selon les demandes de la technologie, de l’information et la vitesse des changements. À l’instar de ces demandes, plusieurs best-sellers expliquent comment se programmer soi-même.

125 Ibid. 126 Ibid, p. 71 127 Ibid, p. 17. 128 Ibid, p. 147. 129 Ibid, p. 76.

« Un point fort important du modèle hacker d’apprentissage réside dans le fait que l’apprentissage d’un hacker sert de base à l’enseignement des autres. »130 Tout comme à

l’Académie de Platon, les étudiants sont considérés comme des compagnons dans l’apprentissage et le professeur les « aide à donner naissance à des choses de leur propre chef ».131

[…] il serait étrange de continuer à donner aux élèves des résultats sans leur en apprendre davantage sur le modèle académique lui-même qui est fondé sur la démarche collective visant à poser des problèmes, à les discuter et à apporter des solutions – un processus guidé par la passion et la reconnaissance en fonction des fruits qu’en tire la société.132

Le rapport à l’éthique du réseau

Il s’agit ici de passer d’une politesse d’utilisation du Net à une éthique du Net. Internet, surtout depuis la guerre du Kosovo, est un vecteur incontournable de la liberté. Quand les régimes autoritaires imposent la censure, le réseau devient la seule porte de sortie car il est difficile à filtrer. XS4ALL est un bon exemple d’organisme qui, grâce à la technologie RealPlayer permet à des radios censurées de diffuser à travers le monde. Cependant, même dans le monde libre, et comme nous l’avons vu précédemment, Internet tend à devenir un outil de contrôle de la vie privée, ce qui est devenu, par la force des choses, le cheval de bataille de plusieurs groupes de cyberpunks qui travaillent à l’instauration d’outils de communications anonymes.

La vie privée assure à chacun la possibilité de se créer un style de vie personnelle alors que la surveillance est utilisée pour persuader des gens de vivre d’une certaine façon […]. L’auto-activité met l’accent sur la réalisation d’une passion personnelle au lieu d’encourager une personne à être un simple receveur passif.133

130 Ibid, p. 82. 131 Ibid, p. 83. 132 Ibid, p. 86. 133 Ibid, p. 108.

Les sept valeurs de l’éthique hacker

Toujours selon Pekka Himanen, les sept valeurs dominantes de la société en réseau et de l’éthique protestante sont : l’argent, le travail, l’optimalité, la flexibilité, la stabilité, la détermination et le contrôle du résultat. Les sept valeurs de l’éthique hacker peuvent, à leur tour, être résumées ainsi : la passion, la liberté, la motivation de l’acte n’est pas l’argent, mais la valeur sociale et une dimension d’ouverture, la néthique définie par les valeurs d’activité et d’attention à l’égard des autres, et enfin la valeur suprême, la créativité.

Les valeurs de l’éthique hacker nous montrent que de nouvelles formes d’actions politiques sont possibles. Ces formes ne sont pas tant tributaires des nouvelles technologies de communication que d’une redéfinition complète et logique du rôle du citoyen dans son rapport au pouvoir.