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Un modèle épidémiologique avec plusieurs souches

5.3.1 Structures et variables du modèle épidémiologique

Pour comprendre l’effet des infections multiples sur l’évolution de la virulence, il nous faut modéliser les dynamiques épidémiologiques. Nous utilisons ici un modèle SI classique (schématisé sur la figure 5.3.1) qui est semblable à celui de Van Baalen et Sabelis (1995a), à ceci près que l’ordre d’arrivée des souches de parasites dans l’hôte est pris en compte car il affecte probablement le déroulement de l’infection, comme le suggèrent plusieurs études (Read et Taylor 2001, Hood 2003,de Roode et al. 2005b).

Nous lions ici les paramètres épidémiologiques qui caractérisent l’hôte (les divers αi et βi) à l’état des dynamiques intra-hôtes. En faisant dépendre la virulence (α) et la transmission (βi) des taux de croissance intra-hôte des parasites (ϕi), nous introduisons indirectement un lien entre virulence et compétition intra-hôte Ce problème important souligné par Read et Taylor(2001) et plus récemment des études sur des infections multiples de Plasmodium chabaudi ont montré une corrélation positive entre virulence et compétitivité intra-hôte (de Roode et al. 2005b, Bell et al. 2006).

Nous évaluons la virulence en supposant que les effets négatifs ressentis par l’hôte sont propor-tionnels au taux de réplication global des parasites (ϕii) et à la densité des lymphocytes (yj), afin d’incorporer des phénomènes d’immunopathologie. D’un point de vue mathématique, la virulence d’un hôte infecté par des souches i et j s’écrit

αm = u ϕixi+ u ϕj xj+ w nc

k=1

yk (5.5)

où u reflète l’effet délétère des parasites qui se répliquent et w l’effet délétère des lymphocytes. Ces constantes sont supposées ne pas varier entre souches ou entre clones car ce qui nous intéresse c’est l’effet des dynamiques intra-hôtes.

La transmission, elle, est proportionnelle à la densité intra-hôte d’une souche ; c’est-à-dire que la transmission d’une souche g dans un hôte infecté par des souches i et j est donnée par

βg[i j] = a xg (5.6)

où a est une constante de transmission et g est soit i soit j.

Si l’on suppose que l’on est à l’équilibre intra-hôte, on peut calculer directement les paramètres épidémiologiques en remplaçant les densités intra-hôtes par leurs valeurs d’équilibre (cf. chapitre III). Nous verrons par la suite comment faire dans le cas où ce n’est pas possible (si une souche remplace l’autre très lentement).

5.3 UN MODÈLE ÉPIDÉMIOLOGIQUE AVEC PLUSIEURS SOUCHES 91

S

µ

I

r

α

r

+µ

I

m

α

m

+µ

D

rr

α

rr

+µ

α

rm

+µ

D

rm

D

mr

α

mr

+µ

D

mm

α

mm

+µ

λ

r

λ

r

λ

m

λ

m

λ

r

λ

m

FIG. 5.3 – Modèle épidémiologique avec infections multiples.

Les hôtes sains (S) peuvent devenir infectés (Ir et Im) et ensuite doublement infectés (Drr, Dmr, Drm et Dmm). Les flèches indiquent des événements infectieux tandis que les carrés indiquent des événements de mortalité. Le taux de mortalité de base des hôtes (µ) est de 0,02. Tous les hôtes se reproduisent avec un même taux ρ = 0,05. λ est la force de l’infection et α est la virulence.

Notre but est de calculer la valeur sélective d’une souche mutante (m) qui apparaîtrait dans une population d’hôtes infectée par une souche résidente (r) à l’équilibre épidémiologique. Nous étudions le système juste après l’apparition du mutant, de telle sorte que sa présence n’a pas encore affecté le système et que l’interaction entre le parasite résident et les hôtes est encore à l’équilibre (S = S, Ir = Ir et Drr = Drr). Si le mutant est rare, on peut aussi supposer que la probabilité qu’un mutant infecte deux fois le même hôte est négligeable, donc que Dmm= 0. Dans un souci de simplification, nous supposons que les hôtes doublement infectés par la même souche (Drr), sont en tout point identiques à ceux infectés simplement (Ir), c’est-à-dire que αrr= αr et βrr= βr.

5.3 UN MODÈLE ÉPIDÉMIOLOGIQUE AVEC PLUSIEURS SOUCHES 92 de base (R0), c’est-à-dire le nombre de nouvelles infections engendrées par un hôte infecté arrivant dans une population saine. Ici, nous ne pouvons pas utiliser cette définition car le mutant envahit une population déjà infectée par un autre parasite. De plus, il existe des complications dues à la présence de deux routes de transmission (l’une via les hôtes sains et l’autre via les hôtes déjà infectés). Le moyen le plus simple de résoudre ce problème est de se placer au niveau de la propagule qui vient d’être relâchée par un hôte (Van Baalen et Sabelis 1995a). La propagule est la forme de dispersion du parasite qui colonise de nouveaux hôtes. On peut alors définir le R0comme le nombre de nouvelles propagules qu’une propagule va engendrer. Si le R0 du parasites est plus grand que un, il est capable de se maintenir dans la population, sinon il disparaît.

5.3.2 Taux de reproduction de base du mutant (R

0

)

Tout commeVan Baalen et Sabelis(1995a), nous introduisons la contribution des deux routes de transmission pour calculer le taux de reproduction de base (R0) de la souche mutante. En notant le facteur de transmission inter-hôtes pour les cas où le mutant est arrivé en premier BSet le facteur de transmission inter-hôte pour les cas où le mutant est arrivé en second BI, on peut écrire le R0de la souche mutante

R0 = BSS+ ε BI Ir (5.7)

où ε est un facteur représentant la quantité de ressources disponibles pour un parasite arrivant dans un hôte déjà infecté. Pour plus de simplicité, nous appellerons ce facteur le bénéfice de l’infection multiple. Notez qu’ε peut être plus grand que 1 si une infection facilite les infections futures. Ici, S est la densité des hôtes sains à l’équilibre et Ir la densité à l’équilibre des hôtes infectés par la souche résidente.

Les facteurs de transmission BS et BI dépendent des dynamiques intra-hôtes. Comme nous l’avons évoqué, les approches classiques des infections multiples simplifient les dynamiques intra-hôte à l’extrême, supposant un remplacement immédiat dans les cas de superinfection, ou l’éta-blissement instantané d’un équilibre intra-hôte dans les cas de coinfection. Les modèles emboîtés permettent une approche plus réaliste. Prenons le cas d’une souche qui envahit un hôte déjà infecté par une autre souche, mais très lentement (par exemple parce qu’elle est similaire à la première souche). Dans ce cas, la première souche ne « ressent » pas la présence de la seconde souche pen-dant un certain temps. La virulence subie par un hôte doublement infecté est alors fortement déter-minée par la première souche. De même, la transmission de la première souche n’est pas affectée par la deuxième souche. À l’opposé, l’apport d’un hôte déjà infecté à la seconde souche peut ne pas être négligeable, du point de vue de cette seconde souche. Si les hôtes infectés sont suffisamment communs, ils représentent alors une ressource de valeur, même si la valeur de chaque hôte (BI) est faible.

Puisque nous nous concentrons sur le cas où mutant et résident ne sont pas très différents, nous pouvons supposer que lorsqu’un mutant est le premier à infecter un hôte, il ne sera pas significati-vement affecté si l’hôte subit une seconde infection (par le résident). Ainsi, si le mutant arrive en premier, son facteur de transmission inter-hôte (BS) est donné par le produit du taux de transmission et de la durée attendue de l’infection (Van Baalen et Sabelis 1995a) :

BS = βm

5.4 ÉVOLUTION DE LA VIRULENCE 93 où αm est la mortalité de l’hôte due au parasite, βm la transmission du parasite et µ la mortalité naturelle de l’hôte. Nous supposons que le terme de guérison est constant et l’incluons donc dans la constante de mortalité.

L’inverse n’est bien sûr pas vrai : une souche qui arrive dans un hôte en deuxième doit faire face à un système immunitaire déjà activé (yj = ˜yj) et son taux de réplication s’en ressent. Si les deux souches se ressemblent, la seconde infection aura un taux de croissance net proche de zéro. Soit ∆ϕ la différence entre les taux de croissance du mutant et du résident et soit ∆σ la différence antigénique entre les souches. En utilisant un résultat démontré par Stollenwerk et Jansen(2003), nous montrons (annexeA.9) que le taux de croissance intra-hôte du mutant peut être approché par

∀ t ∈ R+ xm(t) ≈ ι e(∆ϕ − ∑ncj=1∆σ ˜yj) t

(5.9) où t est le temps depuis lequel la seconde souche est dans l’hôte et ι = xm(0) est la densité intra-hôte initiale du mutant.

Afin de calculer le facteur de transmission inter-hôte pour ce cas-ci, il est utile d’introduire une fonction de survie (Fs) qui dépend du taux de mortalité naturelle de l’hôte (µ) et de la virulence du parasite résident (αr), de telle sorte que

∀ t ∈ R+ Fs(t) = e−(µ+αr)t (5.10) En utilisant cette définition, le facteur de transmission BI, qui est proportionnel à toutes les propagules que le parasite arrivé en second produit pendant la durée d’une infection, peut s’écrire

BI =

Z

0

Fs(t) amxm(t) dt (5.11)

En remplaçant Fs(t) et xm(t), on obtient (annexeA.9) : BI = amxm(0) µ + αr− ∆ϕ + ∑nc

j=0∆σjj (5.12)

En utilisant les expressions pour les facteurs de transmission inter-hôte, la valeur sélective du parasite mutant est donc

R0 = βm µ + αmS+ ε amxm(0) µ + αr− ∆ϕ + ∑nc j=0∆σjjI r (5.13)

Notez que la valeur sélective du mutant dépend explicitement de l’état du système immuni-taire dans les hôtes déjà infectés. Nous utiliserons par la suite cette expression pour étudier les valeurs sélectives d’invasion de mutants et déterminer les stratégies de virulence correspondant à des singularités évolutives.